La manipulation de l'islamisme radical par les services secrets européens n'a jamais été un secret pour personne. L'ambassadeur de Belgique à Alger, M.Philippe Colyn, a été reçu, dimanche, par la ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Mme Khalida Toumi. L'Algérie a-t-elle saisi l'occasion pour protester officiellement contre la tenue d'un congrès clandestin à Bruxelles? Il semble que oui, bien qu'aucune information n'en fasse état. En fait, la tenue de ce congrès a laissé perplexes beaucoup de connaisseurs. Dans un contexte politique et sécuritaire qui réagit encore à l'onde de choc provoquée par les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001, il était pratiquement impensable de pouvoir organiser des réunions, aussi, restreintes soient-elles, dans une capitale européenne. Ainsi, la tenue du congrès « clandestin » du conseil de coordination du FIS à l'étranger, parrainé par Mourad Dehina, a-t-il été un bien gros morceau pour passer inaperçu. Un responsable de la direction d'Alger du parti dissous, outre qu'il a qualifié ce congrès de «suspect», de «nul et non avenu» et de «congrès de fantômes» (au vu de l'absence de pratiquement tout le majliss echouri de l'ex-FIS), a carrément établi un lien entre les initiateurs du congrès et les services spéciaux belges. Le «deal» passé entre les deux parties semble être, d'un côté, la permission de tenir un congrès sur le sol belge, avec la garantie que les services de police bruxellois, fermeront les yeux, et d'un autre côté que les autorités belges seront prémunies contre toute malveillance terroriste ou extrémiste qui viserait le territoire ou les citoyens belges. Même si cette éventualité est improbable, il serait alors carrément hors de propos de croire que les services spéciaux belges n'étaient pas au courant de la tenue d'un congrès islamiste qui mettrait en danger les relations algéro-belges et, surtout, qui mettrait les services belges dans une position inconfortable. En réalité, le souhait des services de sécurité était plus la volonté de connaître que le désir de manipuler. Car en laissant les congressistes faire, ils avaient à portée de main, d'ouïe et de vue et devant eux une image nette de la toile d'araignée islamiste affiliée au CC-FIS. En mettant tout sur écoute ; en filmant tous les débats, les participants et les invités; en enregistrant les appels ; en décryptant les codes en téléchargeant les fax partants et rentrants et en y mettant des hommes qui leur sont acquis sur les travaux, les services belges avaient un microcosme de la mouvance FIS sur écran, ou tout, absolument tout, est affiché. On n'aurait pu espérer mieux dans un contexte de concurrence féroce entre les services secrets européens. Bien sûr, il reste à prouver tout cela, mais - on l'aurait deviné - ce genre de manipulation est invérifiable. Quant à affirmer que les services secrets belges n'étaient pas au courant du congrès, cela équivaut à les qualifier d'incompétence caractérisée et cela est - aussi - hors de propos. Quelques jours seulement avant la tenue du congrès du CC-FIS, la justice belge avait mené une vaste perquisition dans les milieux islamistes. Le motif apparent était une enquête déclenchée à la suite d'un braquage spectaculaire d'un fourgon de transport de fonds, et «qui aurait servi à financer un réseau islamiste». La police belge avait craint l'existence d'un lien entre ce braquage et le financement des opérations qu'allait déclencher Nizar Trabelsi, un Tunisien arrêté le 13 septembre 2001 à Bruxelles et soupçonné d'avoir préparé un attentat contre l'ambassade des Etats-Unis à Paris. Mais finalement, en s'appuyant toutefois sur cet alibi, la police belge, munie d'un mandat de perquisition pour toutes les personnes soupçonnées, peu ou prou, d'activisme islamiste, a passé au peigne fin Bruxelles et trois villes de sa périphérie, Vilvorde, Wavre et Nivelle. C'est pratiquement dans cette lourde atmosphère d'hostilité intérieure et internationale qu'est intervenu ce congrès du CC-FIS. Il est vrai qu'une sénatrice socialiste, Anne-Marie Lizin, s'était empressée, au lendemain de la clôture des travaux du congrès de parler de la non-connaissance totale de la tenue des travaux du CC-FIS, et avait demandé l'ouverture d'une enquête, là encore, tout le monde aura remarqué que l'événement est trop apparent pour passer inaperçu.