Le président de la République met tous les atouts de son côté pour parer à des situations d'urgence. Aussi bien dans le projet de loi portant paix civile et réconciliation nationale que dans la mouture finale des textes de mise en oeuvre, le président Bouteflika se donne une marge de manoeuvre pour, éventuellement, rectifier, rajouter, corriger ou parfaire des énoncés incomplets. «J'entends être tenu régulièrement informé de la mise en oeuvre de ces dispositions», a précisé le chef de l'Etat lors du Conseil des ministres tenu le 27 février. Le septième et dernier chapitre dispose que «en vertu du mandat qui lui a été conféré par le référendum du 29 septembre 2005, et conformément aux pouvoirs qui lui sont dévolus par la Constitution, le président de la République peut, à tout moment prendre toutes autres mesures requises pour la mise en oeuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale». Cette issue de secours peut être vraisemblablement mise à contribution pour parer à des situations d'urgence, notamment avec les islamistes, que les textes de loi ont complètement mis hors circuit. Car en Algérie, comme d'ailleurs dans les pays du vaste monde arabo-musulman qui l'ont précédée dans des confrontations avec l'islamisme politique et la contestation violente au nom de l'islam, les alliances, les concessions et les ralliements ne sont jamais de trop. Principaux concernés par l'exclusion qui a touché, par le biais des nouveaux textes, tous ceux qui ont appelé à la violence contre l'Etat, les islamistes feront certainement un forcing dans les prochains jours, d'autant plus que leur poids sociologique doit être pris en ligne de compte. Le président de la République, qui est le premier à connaître cette influence des islamistes, a donné dans des textes examinés le même jour par le Conseil des ministres, un gage de son engagement en faveur de la religion. D'abord, en permettant que l'activité religieuse s'inscrive dans son contexte et hors de tout activisme politique, ensuite, en balisant les prosélytismes chrétiens en Algérie, chose qui avait motivé, il y a quelques mois, une levée de boucliers de la part des islamistes. Le Conseil des ministres avait examiné et adopté un projet d'ordonnance fixant les conditions et règles d'exercice des cultes autres que musulman. Ce texte vient à combler un vide juridique quant au cadre d'exercice des activités ou manifestations religieuses autres que musulmanes. Se fondant sur les dispositions constitutionnelles du pays et des conventions internationales pertinentes ratifiées par l'Algérie, l'ordonnance fixe les conditions d'exercice de ces cultes tant au plan des principes que des procédures, confortant ainsi la portée de la Constitution qui proclame l'Islam religion de l'Etat en Algérie. L'ordonnance énonce que «la pratique des cultes autres que musulman s'exerce dans le cadre d'associations à caractère religieux constituées conformément aux lois et aux règlements régissant ce domaine». Cette façon de procéder de la part du président de la République entend faire le distinguo entre la religion et ses adeptes, en suggérant que si la première est sacrée, les seconds ne le sont pas, comme ils ne sont pas à l'abri d'interprétations douteuses. La marge de manoeuvre du président concerne aussi d'éventuels rajouts, relatifs notamment aux indemnisations, au retour des leaders de l'ex-Fis ou au dossier des disparus, de loin le plus dramatique et le plus épineux de tous les dossiers que Bouteflika a eu à gérer depuis 1999. Les nouveaux textes de loi - chapitre 3-3- énoncent des mesures pour prévenir la répétition de la tragédie nationale, en interdisant l'activité politique sous quelque forme que ce soit pour toute personne responsable de l'instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale, ainsi que pour quiconque ayant participé à des actions terroristes, refuse toujours de reconnaître sa responsabilité dans la conception et la mise en oeuvre d'une politique prônant la violence. Si l'on se réfère au dernier paragraphe, on peut y déceler un peu plus de restriction par rapport à la Charte, publiée et diffusée le 14 août 2005, mais l'esprit reste le même: éloigner de toute activité politique ceux qui se sont engagés dans la violence contre l'Etat, et plus, éloigner ceux-là de tout contact avec les citoyens. Les nouveaux textes marquent une stratégie du tout-préventif, mais laissent la porte grande ouverte au président de la République pour prendre les décisions que lui dictera le contexte politique à venir.