Le pavé jeté par le ministre de la Justice, lors d'une conférence de presse organisée au siège de son département à El-Biar, et concernant Ali Benhadj, laisse les observateurs perplexes et ce, pour plusieurs raisons. En affirmant que Ali Benhadj ne sera pas libéré avant la fin de sa peine de douze ans qui arrivera à expiration en juin 2003 et prenant un grand détour pour éviter de parler de la réconciliation nationale, Ouyahia donne libre cours à toute sorte d'interprétations quant à ses dispositions personnelles envers toute démarche réconciliatrice. A commencer par le contenu de son discours, qui tranche nettement avec les tendances à l'apaisement qui imprègnent le discours officiel du Président de la République. Il y a aussi - et surtout - à relever le contexte dans lequel intervient cette prise de position. A l'heure où le forcing terroriste se fait de plus en plus sanglant, et à quelques jours d'une rentrée sociale qui s'annonce périlleuse, il n'était certainement pas de bon ton d'en rajouter. Il n'est pas inutile de préciser que le retour au calme reste l'option première et capitale du Président de la République, qui en a fait son mot d'ordre et son challenge. Il n'est pas exagéré non plus qu'il en ait fait une condition nécessaire à toute relance économique et l'axe central autour duquel s'articule toute sa politique, aussi bien intérieure qu'extérieure. Si donc, la nécessité de réunir le maximum de conditions pour faire aboutir une réconciliation nationale véritable converge vers l'élargissement du n°2 de l'ex-FIS, le Président n'hésitera pas à prendre cette décision, quelles qu'en soient les objections des uns et des autres. C'est le prix à payer. Dans ce cas précis, il appartient au Président de la République de prendre les mesures que dicte le contexte politique. C'est le premier magistrat du pays, et en tant que tel la Constitution lui confère tous les droits, toutes les prérogatives qui pourront pousser le pays vers une voie pacifique, et personne ne peut, légitimement, s'ingérer dans ses prises de décision. Abassi Madani a bénéficié d'une remise de peine, commuée en résidence surveillée, depuis juillet 1997, et il n'y a pas de raison qui exclue que son dauphin ne puisse bénéficier d'une décision similaire ou autre, qui pourrait abonder dans un sens d'apaisement général. Les diverses correspondances théologico-politiques envoyées par Benhadj au Président de la République ont renseigné sur le contenu mesuré, mûri de ces missives. L'homme se montre plus que jamais disposé à contribuer à trouver une solution à la crise algérienne dans la mesure de ses possibilités. «Je sais que la solution reste possible», répétait-il dans sa septième lettre au Président de la République. Pendant ce temps, Bouteflika, alors qu'il considérait «le dossier de l'ex-FIS clos», conditionnait tout élargissement de Benhadj par le mea culpa que celui-ci devait prononcer pour reconnaître la culpabilité de son parti dans la tragédie que le pays vit depuis une dizaine d'années. Mais attention, l'élargissement de Benhadj n'implique par la réhabilitation de l'ex-FIS. La précision est de taille. D'ailleurs, de l'avis même de ses leaders politiques, le parti dissous ne redeviendra jamais ce qu'il a été. Dans sa dernière lettre adressée à Ali Djeddi, un membre dirigeant de l'ex-FIS installé à Genève, insiste sur le fait que le parti a perdu sa base et ses dirigeants. Dans l'état actuel des choses, toutes les options restent ouvertes et il est du domaine de la spéculation de retenir ou d'éliminer telle ou telle décision à prendre, et il ne faut revenir qu'aux deux ou trois dernières années pour se convaincre que tout - ou presque - a été fait pour ramener le pays vers une sortie de crise. On serait tenté de se demander pourquoi Ouyahia a adopté ce ton péremptoire et engagé. Etait-ce pour revenir en force après ses déboires de ces derniers jours, notamment parmi ses pairs à la direction du RND? ou alors était-ce un discours à consommer de préférence chaud? Osons croire que les divergences ne vont pas plus loin que les simples formulations de circonstance et que l'écart d'Ouyahia n'en est pas réellement un.