Un ancien terrain agricole est en train d'être aménagé pour devenir le Centre d'enfouissement technique «La proximité de ce projet est étouffante. Est-il raisonnable d'aménager une décharge publique à quelques pas des maisons?», s'indignent les citoyens. A Bensaïdane, dans la commune de Réghaïa (est d'Alger), c'est la consternation: après plusieurs sit-in de protestations, les travaux de réalisation d'une décharge publique, que seule la voie ferrée sépare du quartier, ont démarré, signe évident du rejet de leur demande de délocalisation du projet. Le décor est irréel, en face des maisons dont certaines à l'aspect cossu, un ancien terrain agricole est en train d'être aménagé pour devenir le Centre d'enfouissement technique (CET) de Réghaïa, c'est-à-dire une des quatre décharges publiques programmées par la wilaya d'Alger pour suppléer à la fermeture de celles d'El Hamiz et Ouled Fayet, après plus de trois années de mobilisation des habitants de ce lieu. Le quartier de Bensaïdane est en fait séparé du futur CET par la voie ferrée et une route déformée par des nids-de-poule. Les travaux de cette prochaine décharge publique ont démarré depuis trois mois, selon le chef de projet, Mohamed Hamza. «Cette proximité (du CET) inquiète au plus haut point les riverains qui se voient déjà supporter à longueur d'année les émanations nauséabondes, outre les effets sur la santé des enfants, qui s'échappent de cette décharge», explique un habitant du quartier. «La proximité de ce projet est étouffante. Est-il raisonnable d'aménager une décharge publique à quelques pas de maisons? Nous avons vu comment les gens souffraient des odeurs pestilentielles de la décharge d'Ouled Fayet qui se répandent à des kilomètres à la ronde», s'interroge Sofiane, rencontré à Bensaïdane. Mais, il ne se fait pas d'illusions: «Si la décharge est maintenue dans cet endroit, aucune vie ne sera possible à Bensaïdane. Le projet doit être délocalisé tant qu'il est encore temps, sinon ce sera aux habitants de quitter les lieux après sa mise en service.» «Cette perspective hante les habitants du quartier», explique Sofiane, la trentaine. Il ajoute: «La plupart ont investi leurs économies dans la construction de leurs maisons, et ils ne sont pas prêts à les quitter.» Sur place, une atmosphère lugubre règne. Sur la voie ferrée, des agents de la Société nationale des travaux ferroviaires (Sntf) s'employaient à réparer des poteaux de caténaires sous la protection de gendarmes, alors qu'en face, une grappe d'habitants oisifs suivaient sombrement la réparation de ces équipements électriques, objet «d'un acte de malveillance», selon cette entreprise. En face de cette toile animée, qu'un soleil printanier rendait vraiment ubuesque, les travaux de réalisation du CET tournaient à plein régime. Mohamed, un autre habitant du quartier, estime que ce projet, s'il est réalisé, risque de poser aux riverains un problème de santé publique avec les émanations toxiques qui vont être dégagées par cette décharge, et se demande «si les autorités, qui ont programmé le projet, avaient pris en considération la présence d'habitants près du site du CET». Ras-le-bol des usagers du train Leur inquiétude est d'autant plus vive que les responsables du chantier eux-mêmes ne donnent aucune garantie à ce sujet. «Pour le moment, nous n'avons aucune information nous permettant de certifier qu'il n'y aurait pas d'odeurs qui se dégageraient du CET», affirme le chef du projet. Mise sous pression par plusieurs mois de protestations et de sit-in sur la voie ferrée des habitants, l'APC de Réghaïa a sollicité, en décembre 2013, la wilaya d'Alger, à travers une demande de constitution d'une commission d'enquête sur les conditions d'implantation du projet. «Pour le moment, aucune suite n'a été donnée à cette requête», déplore le président de l'APC, Fadel Abdessamad Mahmoudi. Pour autant, cette situation a provoqué une sourde colère des usagers du train, obligés de rallier Thénia ou Boudouaou, de descendre à Réghaïa et prendre le bus pour terminer tard dans la soirée une dure journée. En fait, ce sont tous les trains se dirigeant vers l'est du pays qui ont été bloqués lors des manifestations de protestations des habitants de Bensaïdane, organisées sur la voie ferrée. «Je suis solidaire avec les habitants (de Bensaïdane) quand ils protestent contre ce projet de décharge publique. Mais je condamne fermement le recours au blocage des trains. Ils nous rendent la vie impossible par de tels agissements», s'emporte Hamid, rencontré dans une rame du train Alger-Thénia. «Ils pensent faire ainsi pression sur l'Etat, alors qu'en réalité ce sont des milliers de simples gens comme eux d'Alger et de Boumerdès qu'ils prennent en otage. Ils doivent mettre un terme à cela», ajoute-t-il. La Sntf limite la circulation «Le mieux à faire, propose Mehdi, c'est de s'adresser directement à l'APC, la wilaya déléguée ou la wilaya, quitte à y organiser des rassemblements de protestation si leurs démarches n'aboutissent pas par le dialogue». Les habitants du quartier «en colère contre le projet du CET» affirment être «conscients» des conséquences des perturbations du trafic ferroviaire. Mais, ils estiment avoir épuisé «toutes les voies de recours» avant de décider de perturber la circulation des trains entre Réghaïa et Thénia, pour faire aboutir leur revendication de délocalisation du projet. Depuis trois mois, le trafic ferroviaire dans la banlieue Est d'Alger est soumis par intermittence à des perturbations du fait du blocage de la voie à Bensaïdane, obligeant la Sntf à limiter la circulation des trains entre Alger et Réghaïa. La situation a cependant pris une autre tournure dans la nuit de mercredi à jeudi derniers, lorsque des inconnus s'étaient attaqués aux installations électriques de la voie ferrée pour empêcher tout trafic ferroviaire. Des individus ont également tenté d'attaquer avec des cocktails Molotov la base de vie du chantier, selon le chef du projet. Les travaux de réalisation se poursuivent normalement sur une vaste superficie agricole abritant des bidonvilles dont les habitants possèdent des têtes de bétail qui paissent au milieu des décharges sauvages. Confié en 2009 à un groupement algéro-espagnol (Ethpe/Impulsa), le projet du CET de Réghaïa qui s'étend sur une superficie de 25 hectares, a redémarré fin décembre 2013, après plusieurs arrêts, avec comme objectif d'achever les travaux dans 14 mois, explique M.Hamza. Le centre sera principalement doté de casiers d'enfouissement des déchets équipés d'un système de protection de la nappe phréatique (géotextile), de deux hangars de tri (48 000 m2), d'un bassin de stockage des lixiviats et d'une station pour leur traitement, selon la fiche technique du projet. Les travaux consistent actuellement à achever la construction de la base de vie du chantier et à réaliser une clôture en dur du CET sur une longueur de deux kilomètres, a-t-on constaté. «Le plan d'aménagement du CET a été approuvé le 2 mars dernier. On attend l'approbation du plan d'exécution du projet pour procéder aux études géotechniques avant d'entamer la réalisation des hangars de tri et du casier principal (30 000 m2) qui longe la voie ferroviaire», détaille le chef du projet.