Abdel Fatah al-Sissi, ultra-favori de la présidentielle après avoir destitué l'islamiste Mohamed Morsi, a fait de la stabilité sa priorité, prêt à l'obtenir aux dépends des libertés, insistant sur le fait qu'il faudra des décennies à l'Egypte pour devenir une démocratie. Trois ans après une révolte populaire réclamant «la justice sociale» et «la dignité» des citoyens qui a mis fin à trois décennies de pouvoir autoritaire, l'ex-chef de l'armée a expliqué cette semaine à des journalistes égyptiens triés sur le volet que «parler de démocratie» ne devait pas primer sur la «sécurité nationale» et le redressement de l'économie en ruines. «Vous écrivez dans vos journaux +aucune voix n'est au-dessus de la liberté d'expression+. Mais qu'est-ce que ça veut dire? Quel touriste viendrait dans un pays où il y a de telles manifestations? Vous avez oublié que des millions de gens ont perdu leur gagne-pain à cause des manifestations?», a-t-il lancé, après une longue diatribe sur les forces de l'ordre, qui font face à des attaques désormais quasi-quotidiennes et répriment dans le sang les manifestations de l'opposition, notamment pro-Morsi. Depuis la destitution début juillet du seul chef d'Etat jamais élu démocratiquement d'Egypte, «le nombre de télévisions fermées, de journalistes emprisonnés, de détenus politiques incarcérés est sans précédent», estime Oussama Diab, chercheur associé à l'influente ONG Initiative égyptienne pour les droits de la personne (EIPR). Toutes ces mesures -dénoncées par la communauté internationale - valent au maréchal à la retraite une importante popularité, entretenue par des médias unanimement hostiles aux supporters islamistes de M.Morsi et partisans de l'action de l'armée. M. Sissi est donné grand vainqueur face à son seul adversaire, le leader de gauche Hamdeen Sabbahi, lors de la présidentielle des 26 et 27 mai. Si l'ampleur de la répression est inédite, note toutefois M.Diab, l'équation «liberté ou stabilité» n'est pas nouvelle en Egypte: «cela fait 50 ans», dit-il, que les dirigeants égyptiens y ont recours. Selon des extraits de la rencontre avec les journalistes diffusés par une télévision privée, M.Sissi a conseillé aux chefs des principaux médias du pays, lorsqu'ils ont «une information ou un sujet» d'en parler «à l'oreille d'un responsable, plutôt que d'aller l'exposer en plein jour». Un journaliste d'un important quotidien égyptien souligne, sous le couvert de l'anonymat, que «M. Sissi est issu des rangs de l'armée», et pour cela, «il ne tolèrera aucune critique qui pourrait menacer la sécurité nationale». Parce qu'il revient à la rhétorique chère aux chefs d'Etat d'avant la révolte de 2011 - tous issus de l'armée comme M. Sissi - le probable futur président égyptien «a prouvé qu'il n'a pas compris la grande leçon du Printemps arabe, c'est à dire le refus par les nouvelles générations de ce choix imposé entre la stabilité ou la démocratie», estime Karim Bitar, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).