Il a, comme on dit, du «ghachi» dans la tête. L'auteur du célèbre Homme jaune est un artiste peu prolixe et à l'apparence taciturne qui aime cogiter ses projets dans le silence et se remettre en question. Il était, du 8 au 10 juin dernier, à Oran où il a pris part à nouveau à la Biennale internationale méditerranéenne d'art contemporain. Licencié en design et spécialisé dans le design d'environnement en cursus de master, il est actuellement enseignant, notamment à l'Ecole régionale des beaux-arts de Mostaganem. Existentialiste jusqu'à la moelle, mais aussi perfectionniste du moins, nous le ressentons comme ça, Yasser Ameur est de ces artistes, aussi bien torturé, introverti, qu'énigmatique, qui tire sa sensibilité entre un Louis Garel et une Ella Fitzgerald, notamment tout en douceur et harmonie. Une violence intérieure, somme toute tue qui tend à s'exprimer en un foisonnement de formes artistiques En plus de la peinture, l'artiste gratte aussi la guitare et chante. Un jeune artiste qui cherche sans doute encore sa voix, mais qui parviendra doucement, mais sûrement à la tracer. Faisons lui confiance... L'Expression: Tout d'abord, qui est Yasser Ameur en quelques mots, car nous ne lui connaissons que sa passion pour cet Homme jaune, le dessin, la peinture et la guitare, mais encore? Yasser Ameur: Mais encore, je suis quelqu'un qui passe ses journées dans les cafés pour dessiner ou pour écrire mais aussi à parler et à apprendre de ceux que j'appelle les gens de peu mais des gens bien et auxquels est quelque part ma conception actuelle de l'art. Sinon j'enseigne à la faculté des lettres et des arts à Mostaganem et à l'Ecole des beaux-arts de cette même ville. Vous habitez à Mostaganem où vous avez dû faire votre cursus universitaire. Comment est venue d'ailleurs cette passion pour les arts plastiques? Mostaganem a été l'endroit idéal pour mon épanouissement artistique, en tant qu'environnement déjà, mais plus encore pour sa réputation, pour le théâtre, le chaâbi... etc. L'élément majeur reste toutefois mon père, lui-même artiste qui m'avait bercé aux croquis et à la peinture depuis mon plus jeune âge. C'est une personne à laquelle je dois mon inspiration première et toute mon admiration. Un mot sur votre participation récemment à la Biennale méditerranéenne d'art contemporain d'Oran et comment pourriez-vous l'évaluer? C'est ma deuxième participation cette année et il est vrai que malgré quelques petites lacunes qui sont inévitables dans ce genre d'événements, ça reste une très bonne initiative de la part de Civ-OEil pour promouvoir l'art contemporain en Algérie. Un effort que je salue d'ailleurs, car la vraie finalité n'est point le résultat concret, mais la somme de rencontres, d'échanges et de liens noués entre ces artistes de la nouvelle génération qui peinent à se regrouper en dehors de ces rencontres. Quel regard portez-vous justement sur la situation des arts plastiques en Algérie? Malheureusement, la politique culturelle en Algérie est une politique de folklore et de loisir. Un drame dans un pays qui regorge d'artistes talentueux, dont beaucoup font parler d'eux à l'étranger. Il faut changer notre acceptation de l'art et l'adapter à notre réalité sociale, pratiquer l'art autrement. Il faut dire aussi que nous, artistes, on passe notre temps à se lamenter de cette situation et on ne fait qu'espérer qu'un jour cette politique changera! On dit d'ailleurs que l'espoir fait mourir et qu'il faut agir». Justement, pour ma part, l'engagement ne se résume pas uniquement à traiter certains sujets d'ordre politique ou social, l'engagement véritable est dans l'action. C'est d'ailleurs ce que j'essaie de faire avec mon Homme jaune que je colle partout sur les villes que je visite. C'est aussi l'objectif du collectif qu'on a monté récemment à Oran, regroupant cinq artistes dont: Meriem Touimer, Houari Rahal, Kamel Bouchama, Mounir Gouri et moi. Nos oeuvres ont été collées simultanément le 20 juin dans les rues d'Alger, Oran, Miliana, Annaba et Mostaganem. Une sorte d'exposition indépendante et nationale dans la rue, «mina chaâb wa ila chaâb». Ce qui nous a permis de nous exposer nous-mêmes, dans plusieurs endroits au même temps dans un pays où on manque inexorablement de salles d'expo. Plus encore, la rue nous permet plus de visibilité et aussi de renouer les liens entre l'artiste et la société. Cette dernière qui, loin des préjugés, est avide d'art et de culture. Quant au collectif, d'autres artistes qui sont dans la même visée nous ont rejoint récemment. Vous préférez sortir des sentiers battus et exposer en dehors des cercles classiques des galeries. Parlez-nous un peu plus de cette vision assez décalée qui vous anime, de cette expérience-là... La rue est loin d'être un choix fortuit, c'est le cheminement d'une série de remises en question, d'expériences, telles qu'Artifariti dans les camps de réfugiés du Sahara occidental et du Festival Raconte-arts avec Denis Martinez en Kabylie. Je ne vous cache pas que c'est aussi une obligation qui m'a poussé du café et de l'atelier à la rue, du fait que je ne trouvais plus d'endroits pour exposer. Et même si on en trouve, ces lieux sont désertés par le public depuis bien longtemps. Je me suis donc mis à coller mes Hommes jaunes peint sur papier journal, un peu partout sur les murs de la ville. Par ces collages de bonhommes bizarres, grotesques et jaunes (qui sont finalement une interprétation personnelle de l'humain que nous sommes devenus) je tends à suggérer une sorte de dédoublement où la réalité humaine et sociale s'affranchit, se transpose et se regarde elle-même au miroir d'un autre monde possible. Pour conclure, je dirai que la vraie place des artistes est dans la rue, reprenons nos rues! C'est là qu'on fera un véritable changement social. Il suffit de vouloir, d'oser prendre des risques et d'y croire de toutes ses forces.