Une journée dont le souvenir reste ineffaçable dans la mémoire des garçons. C'était la veille du 27ème jour du Ramadhan. Une journée particulière pour les musulmans, car elle témoigne du jour de la Révélation du Coran au prophète Mohammed (Qssl). Pour moi, dont ce fut le jour de ma circoncision. Il conserve, le moins que l'on puisse dire, sa singularité Par cette circoncision, j'entrais donc ce jour-là de plain pied dans la cour des pratiquants de l'Islam et des adultes. C'était une sorte de défi pour moi que d'enjamber ce passage incontournable vers le terrain sacro-saint de mes aînés. Pour fêter cet événement exceptionnel, ma famille, dont le train de vie à l'époque était respectable matériellement parlant, s'offrirent à eux-mêmes, m'offrirent à moi aussi, et à tous les voisins et amis venus en nombre pour assister à cette fête, une vraie «nouba» animée par une troupe de «zarnadjia» qui est l'orchestre à vent algérois jouant flûte et tambourins traditionnel accompagné d'autres instruments à percussion. Ce divertissement s'alternait avec celui qu'offraient les «m'ssamaâ», orchestre féminin qui donnait l'occasion aux femmes, jeunes et moins jeunes, ravies par cet agréable interlude, de «youyouter» à tire-larigot. Sans oublier les quelques pas majestueux de danse effectués au milieu du somptueux patio de notre chère «douira» de la Casbah. Elles exécutaient ces élégants pas de danse souvent beaucoup plus pour leur propre plaisir que pour les nombreuses voisines ou amies venues se délecter un moment de ces instants enchanteurs. Chéchia «stamboul», boléro brodé de fils d'or, petit pantalon «kaâda» en soie... soucieuses sûrement des qu'en dira-t-on, mais aussi par fierté et amour, ma mère et mes soeurs ne laissèrent rien au hasard pour la réussite de cette circoncision. Même le henné avait pris malicieusement place au creux de la paume de ma main droite délicatement «enturbannée» de morceaux de tissus en soie pour permettre au henné de bien «prendre» (se fixer). Je fus installé d'autorité sur une chaise haute confortable d'où je trônais du haut de mes courts sept printemps. Il est vrai que le coeur n'était pas à la fête. Je n'arrêtais pas en effet de penser et de me souvenir «cruellement» du sort de mon p'tit cousin Omar qui était passé «au bistouri» une année auparavant. En guise de bistouri, le «Hadjam», nom donné au maître chargé de la circoncision, était lui «armé» d'un rasoir bien effilé pour s'emparer avec assurance de mon petit bout de peau. Je ne le sus que plus tard de quoi il était «armé», lui, qui n'était autre que le barbier du quartier ou plutôt le coiffeur qui ne m'avait jamais fait part auparavant de ses intentions «belliqueuses», dirais-je, lorsque j'accompagnais parfois mon père pour sa coupe de cheveux. Des friandises ou quelquefois une pièce de monnaie, oui, il m'en donnait de temps en temps, mais jamais un traite mot sur le baptême ne sortit de sa bouche, même par inadvertance, devant moi. J'oserais qu'il était venu ce jour-là comme pour se «venger» peut-être de moi qui gardait encore une chevelure blonde et soyeuse par la volonté élégante de ma mère et mes soeurs. C'était lui qui, enfin, eut l'insigne honneur de me coiffer pour la première fois de ma vie. Des bouclettes soyeuses dansaient au rythme de ses ciseaux qui cliquetaient sur un air ravissant autour de mes oreilles avant de tomber sur le pagne qu'on m'a fait porter pour la circonstance. Des youyous ininterrompus battaient la mesure de cet étrange et non moins agréable morceau de musique. Peu après vint le moment fatidique dont je ruminais l'instant avec beaucoup d'appréhension. Mes deux oncles, paternel et maternel, vinrent me saisir fermement les bras tandis que j'étais coincé entre les genoux, la gandoura relevée et les jambes tenues en l'air par une personne dont je ne me souviens plus de qui il s'agissait. Malgré mon pseudo courage, je finis par éclater. Mes cris et pleurs implorant aide et pitié ne firent pas bouger d'un cil mes «bourreaux». Mais les pleurs silencieux et éloignés, de joie sûrement, de ma mère et mes soeurs que j'entrevoyais à peine à travers mes yeux imbibés de larmes, furent les seuls sentiments de compassion dont je me souvienne. Ce fut court, très court. L'instant d'après, fusèrent les youyous stridents de presque toutes les femmes présentes à cette cérémonie dont j'étais encore ébahi comme une bête à l'autel du sacrifice. La suite est indescriptible. Des cadeaux, des bisous à ne point en finir, des serre-mains par les «zarnadjia» qui ne manquèrent pas d'exécuter un morceau spécial en mon honneur, par les hommes présents, des aspersions de parfums et d'eau de fleurs d'oranger...Ce dont je me rappelle le plus, fut le moment où mes camarades du quartier et quelques-uns de l'école que je fréquentais, vinrent me féliciter humblement et avec, pour quelques-uns, une sorte d'appréhension et de crainte mal cachée quand arrivera... leur tour béni.