Cette situation pourrait constituer une bombe à retardement. Sommes-nous en face d'une appropriation insidieuse du foncier agricole frontalier par des sujets marocains qui, sous le couvert de prête-noms, sont en train de «marocaniser» des territoires algériens? C'est la question que se posent de nombreux agriculteurs de la région frontalière, qui ont remarqué, ces dernières années, des transferts douteux de propriétés vers des individus qui leur sont inconnus. Ces derniers ne cachent pas leur appréhension de voir les parcelles de terre fertile de la bande frontalière tomber entre les mains des Marocains qui n'hésitent pas à payer le prix fort pour faire ces acquisitions qui risquent, à l'avenir, de compromettre le tracé de la ligne frontalière. Aujourd'hui, le Tout-Maghnia parle de ces propriétaires terriens qui ont vendu leurs terres à haute valeur financière à des individus étrangers à la région. L'Union des fellahs indépendants algériens (Ufia), créée au lendemain de la promulgation de la loi portant restitution par l'Etat des terres agricoles nationalisées dans le cadre de la révolution agraire, a tiré la sonnette d'alarme en mettant en exergue un véritable trafic de terres agricoles incluses dans le périmètre de Maghnia, créé en 1974 dans le cadre de la loi portant remembrement des terres. Ces derniers attributaires se sont lancés dans un véritable bradage, selon les termes d'une lettre ouverte adressée au chef de l'Etat en date du 15 mai 2004, et attirent l'attention du premier magistrat sur le silence des autorités locales qui entoure ces transactions douteuses. Cette association révèle que ces terres publiques sont devenues un fonds de commerce qui compromet l'avenir de la région. Elle invite les pouvoirs publics à concéder des aides pour la stabilité des fellahs des régions frontalières et l'extension du périmètre agricole de la région à 15.000 ha au lieu des 42.000 qui sont recensés actuellement. Cette extension devrait inclure, selon la lettre ouverte, les régions de M'zaïda, M'samda, Bounaïm, Ouled Ziane, Ouled Mellouk, Chebikia, Zeriga et toute la zone frontalière. Cette extension permettrait, selon des sources locales, de mettre à l'abri des appétits des sujets de Sa Majesté, ces terres fertiles, puisqu'elles seront sous la protection de la loi portant préservation des terres agricoles. Un fellah, membre de l'Union des fellahs indépendants algériens, précisera que de riches Marocains achètent des terres à des Algériens en usant du stratagème du prête-nom. Le nouveau propriétaire des lieux remet une somme d'argent à un fellah qu'il charge ensuite de lui trouver d'éventuels vendeurs. La transaction au cours de laquelle n'apparaît pas l'identité du nouveau propriétaire est réalisée de gré à gré sans que les actes soient enregistrés au niveau des services des domaines ou chez un notaire. Cette façon de faire assure l'anonymat au vendeur tout comme au nouveau propriétaire des lieux. «Certains faux fellahs, qui ont bénéficié de l'aide de l'Etat dans le cadre des différents plans de développement de l'agriculture, sont les premiers responsables de ce transfert du patrimoine foncier agricole frontalier. Ces derniers, dénoncés dans les nombreux communiqués de notre association pour le mal qu'ils ont fait et qu'ils continuent de faire à l'agriculture dans la région, sont à l'origine du recul de la production de la pomme de terre à Maghnia, qui était pourtant réputée pour l'importance de sa production. Cet état de fait a été provoqué pour inonder le marché algérien de pomme de terre et autres légumes produits au Maroc», dira notre interlocuteur. Le tracé des frontières entre l'Algérie et le Maroc, qui reste l'objet de négociations âpres entre les gouvernements des deux pays, pourrait être altéré si de part et d'autre, surtout du côté marocain, on ne fait pas preuve de bonne volonté. Les frontières héritées du colonialisme, considérées comme base de travail par les Algériens, sont remises en cause par Rabat qui avait motivé son agression de 1963 contre la jeune République algérienne par cet argument. Depuis, les Marocains considèrent que la seule base de travail reste un tracé réalisé en 1880 et un autre réalisé en 1930, quelques années avant l'affranchissement du Maroc de la tutelle française. Cette situation, l'achat de terres algériennes par des sujets marocains, pourrait constituer une bombe à retardement qui pourrait à l'avenir envenimer les relations entre les deux pays et renvoyer aux calendes grecques le tracé des frontières entre l'Algérie et le Maroc. Mais en attendant, le Tout-Maghnia ne parle que de ces «fantomatiques colons» venus de l'Ouest qui risquent, un jour, de leur réclamer un droit de jouissance sur leurs terres, puisque ce jour-là, des individus sans foi ni loi auraient vendu des terres algériennes depuis des millénaires à des individus, sujets d'un autre pays.