Entre lui et la troisième religion monothéiste, s'était tissée une des plus belles histoires intellectuelles du vingtième siècle. Deux admirateurs, disciples chercheurs, Mustapaha Chérif et Jean Sur, ont tenté de dépeindre l'un des plus grands arabisants islamologues du XXe siècle dans un livre coédité sous le titre «Jacques Berque Orient-Occident». Homme de pensée et d'action, Berque a marqué les relations entre l'Islam et l'Occident entre l'Europe et le monde arabe, entre l'Algérie et la France. Né en Algérie, à Frenda dans la wilaya de Tiaret, en 1910 il a eu à coeur de revivifier le dialogue entre les peuples et le rapprochement pour une meilleure connaissance mutuelle. Un livre qui vient à point nommé. Dense et illustré avec photos et lettres manuscrites du savant Berque, il colle à la conjoncture: il est dans l'ère du temps d'alimenter «ouvertement et insidieusement» le sentiment qu'est censé incarner l'Islam. Les deux auteurs proposent, à travers ce livre, un retour à des références crédibles, justes et objectives, capables de nous instruire sur la troisième religion monothéiste. «Une façon de sortir du cycle stérile, subjectif et dangereux des accusations, des peurs et des ignorances», note Mustapha Chérif dans la première partie de l'ouvrage. L'ex-ministre de l'Enseignement supérieur, Docteur d'Etat es-lettres et professeur de philosophie politique a une grande proximité intellectuelle, envers M.Berque. Une profonde convergence de vue et une intimité de 20 ans. Jacques Berque était passionné par l'Islam de la raison. Il s'est trouvé engagé dans des débats internes du monde musulman, notamment après son remarquable Essai de traduction du Coran : «ma traduction aujourd'hui me fait entrer, moi catholique, dans un débat entre Islam des lumières et Islam obscurantiste. J'ai donc eu le privilège -et le risque- d'étudier ces sociétés de l'intérieur». Entre lui et la troisième religion monothéiste, s'était tissée une des plus belles histoires intellectuelles du vingtième siècle. Une histoire vraie, où il avait engagé sa science d'orientaliste, sa lucidité de sociologue et sa ferveur d'islamologue. «Jacques Berque le passeur des deux rives» comme il se définissait lui-même. «Il laissait à d'autres les facilités prétentieuses, les jugements de valeur, les bons et les mauvais points qu'on se croit obligé de distribuer (...)» écrit Mustapha Cherif. Jacques Berque : «avec courage et lucidité, a participé à ces grands débats qui sont au centre de la relation entre l'Occident et l'Islam, à commencer par celui de l'authenticité et de la modernité», «il parlait aux Arabes, il parlait aux Arabes comme personne ne l'a jamais fait avant lui». Berque a tenu à ce que lors de ses obsèques catholiques on lise également sur sa tombe la sourate de l'ouverture, la Fatiha. Beau signe d'oecuménisme. C'est également une marque de tolérance. Dans cette perspective, Jean Sur qui a dialogué pendant longtemps avec M.Berque, avec qui il a publié deux livres d'entretiens, a noté dans la deuxième partie de cette coédition : «Berque a décrit comme personne un Occident européen, sinon persécuté persécuteur, du moins aliéné aliénant». Aliéné : «A l'échelle des pays européens, la révolution technologique ne s'appelle ni européanisation ni dépersonnalisation, mais américanisation». Aliénant : «L'Occident européen, qui s'était arrogé des pouvoirs et profits, est longtemps apparu aux autres peuples, et leur apparaît peut-être encore, comme un exploiteur impénitent, au mieux comme un professeur intéressé». A l'heure des incompréhensions dramatiques, les deux chercheurs évoquent cette grande figure. Ils rappellent son message dans un ouvrage qui livre un visage nouveau des relations entre l'Islam et l'Occident. Mustapha Cherif et Jean Sur Jacques Berque Orient- Occident Editions Anep (mai 2004), 165 pages