«Il ne s'agit pas d'un constat d'échec de la révolution ou de l'indépendance mais celui du rapport entre deux amis...» dira le réalisateur. Il est à la fois touchant et drôle, mais aussi cruel et ombrageux. Complexe et impétueux comme l'est finalement l'être humain avec ses joies et sautes d'humeur, ses faiblesses et arrogance, colérique et intransigeant. Avec la guerre d'indépendance comme toile de fond, El Wahrani qui a valu récemment à son auteur aussi acteur dans le film, Le Valois de la meilleure interprétation à Lyes Salem, a été projeté hier matin devant un parterre de presse tombé sous le charme d'aucuns appelleraient «le film algérien de l'année». El Wahrani est le second long métrage réalisé par Lyes Salem, après le succès mérité de la comédie Mascarades. Bien que le burlesque y est bien discernable dans ce film (Lyes reconnaît volontiers aimer ce trait dans le cinéma américain) où l'on rit souvent de bon coeur, le drame surgit des ténèbres du passé pour souvent venir rejaillir sur notre présent pas encore résolu. Et comme le fait bien remarquer Lyes Salem, il s'agit bien ici de «s'accaparer de notre mémoire qu'elle soit belle ou moche» tenter de la questionner, sans pour autant juger, mais, chercher à comprendre ce qui a bien pu arriver durant ces cinquantaines d' années pour en arriver là. Il temporise au départ et nuance surtout: «Il ne s'agit pas d'un constat d'échec de la Révolution ou de l'indépendance, mais celui du rapport entre deux amis, deux personnages fictifs qui ont suivi des parcours différents, certains illégitimes en suivant des chemins de traverse». Et Khaled Benaïssa ce charmeur volubile, doué d'une forte personnalisé alias Hamid d'avouer: «J'ai le sentiment que le personnage comme Hamid, il en existe encore aujourd'hui. Il n'a pas été digne de la Révolution. Les deux amis ont pourtant fait le plus difficile? mais le plus simple s'est dérobé de leur main...» «De quoi parle EL Wahrani au juste? C'est l'histoire de deux amis, Djaffar alias Lyes Salem homme enrôlé presque malgré lui dans la guerre et Hamid, charmeur volubile et militant chevronné qui finira après l'indépendance par briguer le poste d'un fort homme d'Etat puissant. Le film décrit les premières années euphoriques qui vont suivre l'indépendance, de ces années fastes jusqu'au désenchantement et les illusions trahies, chute et déclin psychologiques symbolisés par le début de perte de mémoire de Hamid. Et cet indice et quel indice: l'eau qui ne coule plus dans le robinet dans cette maison qui respire pourtant le luxe. Mais derrière cette fresque de cette gentille saga familiale où de nombreuses personnes font des pique-niques et rigolent à gorge déployée, il y a le mensonge et la trahison, véritable noeud de l'histoire qui va se resserrer et poursuive ces deux amis pour toujours. Lourd secret qui revient comme un boomerang et sera fatal dans la vie de l'un comme de l'autre. La guerre a ses secrets d'arme faite de souillure à l'âme et au corps. 1957 sera l'année fatidique où ces deux amis iront s'engager dans le maquis laissant une femme déshonorée par un Français qui viendra venger son père. De cet amour illégitime naîtra un garçon, Bachir que Djaffar sera amené à accepter comme son fils et composer avec, à son retour, pour avancer et faire son deuil. Hamid a su ce qui s'est passé lors de cette funeste nuit, mais a préféré se taire et ne rien dire à son copain, craignant qu'il ne se rende au foyer et se faire capturer par l'armée française. «J'aime tous mes personnages. Hamid n'est pas un méchant. Il avait 10 mn pour choisir et prendre sa décision et il l'a fait!» Tôt ou tard, l'histoire nous rattrape, nous dit un peu beaucoup ce film alors pourquoi le cacher plus longtemps? La force du film, son secret si l'on puisse dire est dans sa façon de dire des choses si lourdes, si graves avec tellement de légèreté, parfois de désinvolture non dénuée de profondeur et de malice. Une façon simple finalement de dire qui nous sommes réellement sans nous travestir avec parfois des petites maladresses gauches, mais humaines qui rappellent combien l'homme n'est rien devant la vérité. Dans sa façon poétique aussi de traiter les choses avec théâtralité et justesse, émotion et rocambolesque, situations qui font la touche suprême du réalisateur. Sans être historique le film El Wharani se veut nullement brandir un tract, malgré ses relents politiques bien assumés par son réalisateur, mais surtout nous amener à penser notre vécu avec sérénité. «Il ne sert à rien d'oublier. Il ne faut pas vivre ce qu'on porte en nous comme une maladie, mais il faut l'accepter. C'est quand on s'arrête de se poser des questions qu'il y aurait un problème...» Aussi, le thème de l'identité est le moteur crucial d'El Wahrani qui recoupe toute sa trame.. Exemple concret, la question de la langue française bien palpable dans le film. «Parler le français c'est une richesse, en ne se trompant pas sur la langue du pays qui reste algérienne. Mais je voulais aussi me questionner par rapport à mon père qui vient d'une famille populaire algérophone et qui, à un moment se mettait à parler français, je voudrais comprendre comment s'opère ce glissement. La question de la langue est vaste en Algérie, c'est ça aussi l'identité de ce pays. On ne peut pas la tronquer. Tout comme les pieds-noirs font partie de notre patrimoine, on ne peut pas l'occulter.». Aussi, Lyes Salem a osé aborder le sujet de la berbérité de l'Algérie quand aujourd'hui encore définit-on l'Algérie par le qualificatif «arabe». Courageux avec une évidence désopilante, El Wahrani met en scène un jeune loufoque des service secrets, incarné par Idir Benaïbouche, première apparition de ce genre de personnage de l'ombre à l'écran, qui malmène un journaliste qui fouille dans le passé des deux hommes. Dans cette bulle des sentiments opaques, surgit de la nuit des effluves enchanteresses des cabarets de l'Oranie, la voix d'un homme comme venu de nulle part pour nous narrer: «Non je n'ai pas oublié. Il en est, en quelque sorte, l'âme rebelle et le coeur battant de ce film, pas du tout provocateur, mais un rien sensible et méditant à la fois. Il s'agit de Amazigh Kateb qui malgré une courte apparition parvient pourtant à marquer les esprit avec une interprétation des plus lancinantes d'un titre qui en fera frissonner plus d'un (e). Très belle prestation dans un film encore plus beau qui fera date dans le cinéma algérien. «Je suis Algéro-Français. C'est pourquoi mon film sortira toujours en Algérie et en France, il est lié à l'histoire commune de ces deux pays d'ailleurs..» à noter que le nouveau film de Lyès Salem fera l'ouverture ce soir des rencontres cinématographiques de Béjaïa.