Dans leur vie, c'est un euphémisme de le rappeler, il y a un avant et un après-séisme du 21 mai 2003. Cette nuit-là, la plupart d'entre eux ont perdu maisons et parents. Recasés six mois plus tard dans des sites de chalets, qui ont remplacé les camps de toile, les sinistrés d'Alger et de Boumerdès n'ont plus, aujourd'hui, ce regard des survivants d'un cataclysme qui a fait plus de 2300 morts, des milliers de blessés et de sans-abri. Mais le relogement dans des habitations décentes est attendu avec une impatience grandissante. Au site de Figuier 2, sur la route reliant Boumerdès à Zemmouri, Mohamed, la cinquantaine entamée, se sent un peu soulagé après avoir modifié l'aspect de son chalet. Il s'est aménagé un petit jardin où des plantes vertes, sans fleurs, grimpent tout le long d'un mur et d'un toit qu'il a construits à ses frais. «L'arrangement est introduit, dit-il, pour jouir d'un peu de repos et, surtout, préserver l'intimité du logis». Il peut, effectivement, placer une table dans la petite cour à l'abri de la canicule, des intempéries et des regards. Au plan de l'aspect extérieur, les rangées de fil de fer servant d'enceinte aux chalets réceptionnés il y a 8 mois, sont considérées comme un signe indiscutable de dévalorisation par les sinistrés. Les multiples réclamations d'une clôture en béton n'ont pas eu de suite, «alors j'ai réagi à ma manière», conclut notre interlocuteur sur un ton de modestie. Suivant son exemple, trois autres personnes embellissent, ici aussi, leur espace vital. Et au moins deux autres effectuent actuellement des travaux de maçonnerie pour pouvoir disposer d'une pièce supplémentaire. Mais ce site regroupe plus de 200 familles sinistrées, qui ne cessent de réclamer l'aide des autorités sans laquelle, affirment-elles, «rien ne peut changer». La liste des doléances reste ouverte. Car, «nous sommes constamment confrontés à de nouvelles épreuves», clame Ahmed, un fonctionnaire qui résidait à la cité des 1200 Logements de Boumerdès, presque entièrement rasée par le séisme. Ceux qui ont tendance à voir tout en noir, oublient vite apparemment l'enfer des camps de toile et qualifient, sans hésiter, ces chalets de «cadeaux empoisonnés». En ces jours de canicule, la température avoisine, qui plus est, 50°C à l'intérieur du logis en préfabriqué, de surcroît exigu. Et «durant l'hiver dernier, on avait l'impression de vivre dans des frigos», ajoutent d'autres sinistrés. Le délai du 5 septembre 2005 est officiellement retenu par le ministère de l'Habitat et de l'Urbanisme pour le début du relogement progressif des familles concernées. Mais au site de Figuier 2, comme dans d'autres camps similaires, les sinistrés craignent d'être oubliés dans ces cubes en acier d'une superficie de 36 m², séparés par des cloisons en préfabriqué. «Ils (les responsables locaux) auraient dû, au moins, installer des climatiseurs dans ces réduits censés nous abriter», s'écrie une vieille dame. On se préoccupe évidemment de la santé des enfants dans ce site où la viabilisation est mal conçue. Les eaux usées sont déversées dans un petit ravin, juste à côté d'un bloc de chalets. Cet égout à ciel ouvert ne contribue certainement pas à rendre le sourire aux sinistrés du coin. «Ça grouille de gros rats et de cafards», se plaint, à juste titre, une maman qui étreint son gosse de 5 ans. Mêmes réactions, pratiquement, au site voisin baptisé Figuier 1, surplombant la plage d'El-Kerma. «Même si l'on éprouve tout l'amour du monde pour ses enfants, ce serait difficile de les éduquer en pareille circonstance», s'inquiète Fatiha. Ayant perdu son mari, lors de l'effroyable nuit du 21 mai 2003, cette femme de 40 ans environ, s'est retrouvée seule, avec trois enfants à charge. Mais les problèmes qu'elle pose sont plutôt d'ordre psychologique: «A peine âgé de 17 ans, mon premier veut tracer, raconte t-elle, ma ligne de conduite au lieu de suivre mes conseils. Mes deux autres enfants, un garçon et une fille, âgés respectivement de 8 et 4 ans, réclament constamment des divertissements que ce lieu n'a pu assurer». Comprendre le psyché des enfants sinistrés puis les orienter dans le bon sens par le biais de moyens thérapeutiques appropriés, relèvent d'un travail des médecins de l'âme. Mais là, et sans doute dans d'autres sites du même type, les parents n'ont pas revu l'ombre d'un psychologue, depuis qu'elles ont quitté leurs tentes. Certes, ce camp a bénéficié d'une école primaire et d'une électrification, ses ruelles sont goudronnées, l'eau coule dans les robinets en moyenne trois fois par semaine. Et puis, tous les résidents, durant cette saison estivale, peuvent faire trempette, juste en bas, à quelques mètres. Mais les sinistrés sont (toujours) à la recherche d'un mieux-être. «Je n'ai eu droit qu'à un seul chalet, alors que ma famille est composée de 8 membres», se désole Rabah, un mécanicien. Et il signale qu'un bon nombre d'autres familles infortunées s'entassent à plus de 10 personnes dans la loggia qui compte deux minuscules pièces, une cuisine et une salle de bains dont une partie est utilisée comme lieu d'aisance. Il y a eu, à intervalles réguliers, durant ces derniers mois, des explosions de colère des sinistrés. On dénonçait et les atermoiements des pouvoirs publics quant au suivi des multiples doléances et l'attribution des fameux chalets aux personnes non touchées par la catastrophe naturelle. Une enquête diligentée par la wilaya, fin mars dernier, en vue d'assainir la liste des ayants droit au recasement, a, semble-t-il, calmé les esprits. Et cet été, dès les premiers rayons de soleil d'une nouvelle journée, les sinistrés habitant les sites du littoral s'étendant de Boudouaou El-Bahri à Dellys ne donnent qu'un tour de clé à leur porte pour se retrouver, cinq ou dix minutes après, sur la plage. Puisque les sites ne disposent, hélas, d'aucune structure de sécurité, l'on s'arrange bien sûr, dans chaque famille, pour désigner, à tour de rôle, le membre qui assure la garde du chalet. Se forme alors une brigade de sécurité ayant pour tâche principale de prévenir les larcins et autres sabotages. Sur le versant sud, précisément au site Derriche jouxtant un bidonville, les sinistrés ont plutôt peur des incursions de sangliers et de chiens errants. Surgissant des bois avoisinants, «ces dangereux animaux se pavanent parfois en plein jour à proximité de nos chalets», s'inquiète Noureddine Bounab, vice-président du comité local des sinistrés. Il se bat pour la réalisation de quelques classes pédagogiques, ici, pour éviter aux enfants, notamment les nouveaux inscrits, cette trotte de 3 km jusqu'aux établissements scolaires du centre-ville de Boumerdès. Les travaux de viabilisation du site n'ont pas encore été achevés et les chalets se transforment en fournaise, en milieu de journée. Au camp voisin de Haï El-Louze, coincé à la limite d'un maquis entre Tidjelabine et Thenia, on ne peut guère avoir le coeur aux plaisirs du farniente. «La sécurité et l'installation d'une structure médicale passent en priorité», nous a-t-on déclaré.