Si l'on évoque la Kabylie aujourd'hui, c‘est pour parler de ses villages magnifiques et de ses villes ainsi que des autres lieux qui donnent à la région un aspect si particulier, à nul autre pareil! Il semble que pour présenter la Kabylie, il n'y a pas mieux que d'emprunter la description de Mouloud Mammeri, ce grand écrivain doublé d'un chercheur et d'un linguiste qui a donné à tamazight ses lettres de noblesse disant de la Kabylie dans Inna Yas Ccix Muhend: «Cheikh Mohand a dit»: «Dans tous les sens cent kilomètres au plus, un îlot menu, mais il est vrai, intensément visité. Les chiffres peuvent ici faire illusion, dans ce cadre restreint, chaque colline porte un village et chaque village est un monde. Un sol bourré de valeurs, de traditions, de saints lieux, de saints hommes, de misère grandiloquente, d'honneur ombrageux, de folles légendes et de dures réalités...» Une fois que l'on a dit cette belle présentation que Mammeri fait du pays kabyle, il semble que l'on ait tout dit. La nature est belle mais la terre ingrate et dure, les hommes sont pétris du devoir et du sens de l'honneur mais la plupart sont des démunis! Dieu que la montagne est belle mais combien aussi elle est dure! les cent kilomètres du pays kabyle sont en fait un mouchoir de poche mais la région est pleine de contrastes. Si la Kabylie du Djurdjura est un pays de montagnes et de collines, le pan contenu dans la wilaya de Bouira comprend quelques vallées et celui de Boumerdès est également riche en terres fertiles. La Kabylie n'a jamais compris pourquoi Béjaïa est appelée la petite Kabylie alors que les deux, petite et grande, ne font en réalité qu'un seul et même pays: celui des hommes libres! Si l'on évoque la Kabylie aujourd'hui, c‘est pour parler de ses villages magnifiques et de ses villes ainsi que des autres lieux qui donnent à la région un aspect si particulier, à nul autre pareil! Les villages: les Républiques sérénissimes! Accrochés aux flancs du Djurdjura, les villages, qui sont autant de joyaux dans un bel écrin de verdure, des lieux de vie où l'humaine condition de l'homme se dévoile entièrement et souvent brutalement. Ici on joue franc jeu avec la nature. C'est la poésie dans toute son horreur! De loin les gens doivent se dire: «Ces gens-là doivent vivre heureux et se la couler douce!» En fait, même si l'eau a fini par arriver dans les tuyaux jusque dans la maison et si la fée électricité a remplacé la lampe à huile ou le quinquet, il semble que tout reste à faire. C'est l'aire de jeux pour les enfants qui demande à être aménagée, le téléphone qui tarde à sonner ou encore tout simplement l'école qui est éloignée des maisons. Certes, dans les gros villages, le médecin privé commence à s'installer et la poste existe déjà en certains endroits grâce à l'agence postale mais parlons de la poste par exemple: pour effectuer la moindre opération postale d'importance, retrait d'argent, envoi de colis express ou encore retrait de lettres importantes, que sais-je encore...le déplacement vers la recette de la ville s'avère une impérieuse nécessité. Les villageois disent entre eux de ce genre de bureau de poste: «La poste pour rire.» Si encore le courrier était réellement distribué aux villageois passe encore, mais le facteur s'ingénie à donner toutes les lettres du village à un commerçant chez qui tout le monde est comme tenu de faire une virée. Faute de quoi, il risque de ne jamais recevoir son courrier! Cela ne serait rien si la chose s'arrêtait aux bureaux de poste. Le phénomène généralisation s'est, en fait, étendu à tous les autres services de l'Etat. Aussi quand la djemaâ se réunit pour examiner les affaires courantes de la communauté, c'est avec un certain sourire que l'on parle de ces choses. Désormais, il y a comme un air de déjà vu quand on évoque n'importe quel problème! Les douze tamens, généralement les têtes chenues, ne savent plus comment expliquer aux responsables que le village n'est pas un quartier mais pratiquement une République sérénissime! Le maire, pourtant issu, comme les paysans de la même culture et du même sol, a fini lui aussi par perdre le savoir ancien. Il se met à réfléchir comme ceux de la ville et souvent se permet de taquiner les traditions! Le code de conduite des villages est pourtant un réel code d'honneur que les villes gagneraient à imiter! La femme, l'enfant, l'homme, la bête, tout le monde y trouve sa place et chacun son respect! On dit tellement de choses sur les villages, l'irrespect des uns va jusqu'à trouver que les villageois sont des gens incultes et pour preuve brandissent la fameuse déshérence des femmes! Cet article du droit coutumier introduit relativement récemment dans le canon kabyle est au contraire une façon de sauvegarder l'unité des villages. Dans les temps anciens, on a trouvé que les femmes ayant hérité tout, comme les hommes ramènent avec leurs maris le moyen de dépecer en fait la terre, une terre si chiche! La femme se fait souvent déposséder de ses biens par l'époux qui se hâte de vendre la terre et c'est ainsi que naquit l'idée de déshérence: la femme garde la possibilité de revenir dans la maison de son père en cas de divorce et personne n'est en mesure de lui interdire de vivre dans la terre de ses parents! En somme et pour l'époque, une sorte de caisse de solidarité! La poésie de la vie dans les villages et ces magnifiques panoramas coûtent en fait trop cher! C'est souvent l'eau qu'il faut, en fait, aller chercher assez loin en été, lors des longues coupures qui peuvent durer des semaines, une eau que l'on peut aussi acheter chez ces revendeurs qui peuvent vous fourguer une eau douteuse à prix fort! C'est le malade qui doit attendre la bonne volonté du taxieur du village pour se faire conduire à l'hôpital, c‘est aussi le collégien ou la lycéenne qu'il faut faire héberger par des parents ou des relations en ville quand la problématique place à l'internat se pose et les désagréments ne manquent pas! Dans les villages, la seule compensation, c'est ce sentiment de vivre dans un cocon protecteur certes un peu étouffant où il fait bon se sentir protégé. En ville, les choses sont tellement différentes! Si la vie dans les villages est rude, elle présente néanmoins et par bien de ses aspects, des choses très intéressantes. Certes on a tendance à vivre pour les autres tellement la vie privée est ici une chose presque incongrue. Mais en ville, c'est l'égoïsme dans toute sa splendeur. Chacun vit pour soi, les gens se disent à peine bonjour et les bonnes manières et la civilité en prennent un sacré coup! Dans les villes de l'intérieur, les gens gardent encore un soupçon d'humanité. Des bijoux mal entretenus Le vernis citadin n'a pas encore chassé la solide culture paysanne. Ici, c'est plutôt la rudesse de la vie de tous les jours qui enseigne les «mauvaises manières». En ville donc, chacun vit pour soi! L'eau coule bien dans le robinet, du moins certaines heures de la journée mais l'eau est aussi chère et bien moins douce que celle de la montagne! Un ami à qui on expliquait à quoi servaient les stations d'épuration, a si mal compris que depuis ce jour, il jura de ne plus boire l'eau de la ville croyant sincèrement qu'elle provenait en fait des égouts! La saleté est bien proverbiale, les rues mal nettoyées et les citoyens si peu respectueux de l'environnement que l'on se demande comment faire le jour où enfin tout sera propre! En ville, le marché remplace le jardinet et les légumes bien moins frais que ceux cultivés, sont si chers pour les bourses moyennes. Certes, l'école, le collège et le lycée sont à deux pas, mais les diverses tentations et les fréquentations des garçons surtout sont un tel casse-tête! Alors qu'au village c'est un peu toute la communauté qui participe à l'éducation des enfants. Bref, la vie en ville est loin d'être rose. Elle a ses avantages mais comparée à la vie au village, elle paraît si triste. En ville, le travail n'est pas si simple à trouver et sans revenus réguliers c'est la dèche et avec elle la déchéance certaine avec toutes ses conséquences! En ville il faut aussi habiller les enfants et pas n'importe comment! Ici aussi, les loisirs ne sont pas légion, le cybercafé, le stade ou encore la télévision et circulez, il n'y a rien à voir! Il faut dire que certaines villes de Kabylie comme Aïn El Hammam, Larbâa Nath-Irathen, Azazga ou encore Draâ El Mizan ou Boghni et Tadmaït ont su allier la ruralité à la citadinité! Cet harmonieux mélange participe d'ailleurs à la bonne ambiance de ces villes. A Tadmaït par exemple on ne saurait assez louer la conduite et la bravoure des habitants. Tout en étant citadins, il savent se conduire avec le credo des villageois de la montagne! Ce n'est pas à Tadmaït par exemple qu'une femme faisant seule ses courses pourrait être ennuyée par des garnements! Et à Tadmaït les vols ne sont guère légion, quand un larcin est signalé tout le monde sait que des jeunes gens étrangers à la ville ont fait le coup! La même situation est à noter pour Aïn-El-Hammam où, il n'y a pas si longtemps encore, les marchands de fruits et légumes pouvaient laisser leurs étals non gardés durant la nuit ! Et les étals sont en plein air au marché s'il vous plaît! Depuis les douloureux événements qu'a connus la région, les choses ont quelque peu changé! D'abord la police arrive difficilement à maîtriser la situation, si elle le fait, et souvent ses efforts sont magnifiques, c'est au détriment de la circulation routière! A Tizi Ouzou ville par exemple la police est sur le qui-vive de jour comme de nuit! Mais la ville donne cette nette impression de n'être guère gardée, les policiers qui ne peuvent être derrière chaque citoyen sont souvent dépassés par le surcroît de travail. Sur un autre plan, les villes souffrent atrocement! Elles sont de plus en plus sales car difficiles à nettoyer avec un personnel sous-payé et des moyens réduits! Les rues deviennent à la longue des genres de venelles puantes et répugnantes! Quand il pleut, les rues et ruelles se transforment en ruisseaux ou même en torrents charriant des boues et autres saletés achevant de boucher les regards et autres avaloirs en fait toujours mal nettoyés sinon pas du tout! Les citoyens participent allègrement à ces agressions de l'environnement en jetant un peu n'importe quoi et n'importe où! Il faut dire que les services de la voirie ne sont guère excusables, aucune corbeille où jeter des papiers sales n'existe à Tizi Ouzou ville, les trottoirs sont donc ainsi jonchés de papiers huileux! Il faut aussi assister au nettoyage des rues pour comprendre pourquoi cet état de saleté! Les balayeurs ne font que passer leur balai sur les ordures sans jamais se soucier de faire place nette! Le lendemain ils reviennent dessus pour ne prendre que le gros! Pourquoi en effet doivent-ils penser, s'amuser à nettoyer un endroit qui va être de nouveau sali! Le maire de Tizi Ouzou, contacté, dira que le reproche n'est pas exagéré mais réplique que la ville manque cruellement de moyens et que seule la prochaine ouverture du centre d'enfouissement technique pourrait régler le problème! En attendant? Eh bien patience, demain on rasera gratis! La Kabylie est belle et les paysages qu'elle présente sont magnifiques et ravissent le regard! Mais les hommes chargés de la maintenir en l'état semblent fatigués de veiller sur ce bijou et c'est tant pis pour la région! Personne ne peut dire quand la Kabylie retrouvera enfin ses marques. Elle semble traîner les pieds et s'enfermer chaque jour dans une carapace qu'elle n'a jamais eue. Les pouvoirs publics longtemps absents pour des raisons de colère citoyenne ne semblent guère pressés de reprendre du collier, la population assiste effarée à l'effondrement des valeurs. Un effondrement qui charrie avec lui d'autres maux. Des maux qu'elle n'avait jamais connus auparavant, du moins pas de cette ampleur. La drogue, la prostitution, la rapine, l'usage de la violence sont monnaie courante. La Kabylie pleure les temps anciens et se met à rêver des temps nouveaux ; elle pense être à même de guérir les plaies qui saignent encore! L'espoir est là, elle sait que demain sera sûrement meilleur et elle attend.