Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse. Ainsi en est-il de la rumeur qui donnait le général Lamari démissionnaire. Insistante, collante, poisseuse comme ces journées chaudes d'été, la rumeur a fini par prendre corps et devenir réalité. L'autre proverbe dit que ne resteront dans le lit de l'oued que ses galets. Avec le départ du général Lamari, c'est tout un pan de l'histoire algérienne qui s'en va. Une page qui est tournée, celle d'une armée toute puissante qui, depuis le congrès de la Soummam, n'a pas cessé d'opposer le pouvoir civil aux militaires, les politiques aux bidasses. Et puis les trois B (Boussouf, Krim Belkacem et Bentobal) avaient décidé à Tunis de faire dévier l'histoire de son cours. Le Congrès de Tripoli ne fit que confirmer cette tendance de la suprématie des militaires sur les civils en prenant fait et cause pour le pacte passé entre Ben Bella et le chef d'état-major Houari Boumediene. Tous les événements qui se sont succédé depuis cette date ont versé dans ce sens. En 1965, Boumediene opère un «redressement révolutionnaire», un coup d'Etat par lequel il dépose son protégé Ben Bella, qui voulait voler de ses propres ailes. A sa mort, le 27 décembre 1978, c'est le colonel Chadli Bendjedid, l'officier le plus ancien dans le grade le plus élevé qui lui succède. A toutes les époques, c'est la même constante: on ne peut devenir chef d'Etat si on n'est pas adoubé par l'armée qui détient les rênes du pouvoir et trace la direction à suivre. Ali Kafi, Zeroual. Et Abdelaziz Bouteflika lui-même a dû suivre ce canal. Mais l'homme s'est cabré, refusant ces règles du jeu. En 1994 déjà, à la conférence de la concorde qui devait désigner un président d'Etat, il avait rejeté l'offre. L'homme ne voulait être le jouet ni le président comparse de personne. Lorsque, enfin en 1999, il se présente à l'élection présidentielle pluraliste, c'est en tant que candidat indépendant qu'il le fait: l'appui des principaux partis et de l'institution militaire lui est nécessaire, mais le seul appui qui l'intéresse c'est le suffrage universel. Hélas, en se retirant de la course, les six candidats rivaux lui ont fait un enfant dans le dos faisant de lui l'otage des militaires. Il aura beau déclarer qu'il refuse de n'être qu'un trois quarts de président, le mal est fait et tout le premier quinquennat sera marqué par le litige réel ou feint entre le chef de l'Etat, pourtant officiellement chef suprême de l'armée et ministre de la Défense, et une institution qui, dans les faits, n'a de comptes à rendre qu'à son responsable hiérarchique direct: le chef d'état-major. Les petites phrases distillées tout au long de ce mandat, genre «le moins mauvais des candidats» et les aveux du général Khaled Nezzar renforceront ce climat délétère entre le président et l'institution la plus prestigieuse de la République. La campagne électorale qui s'est ouverte pour un deuxième mandat a exacerbé ces rapports déjà tendus. Tout en affirmant à plusieurs reprises sa neutralité, l'armée est soupçonnée d'avoir déjà choisi et de garder un joker dans sa manche. Aujourd'hui, on peut dire que les choses se sont bien passées. Pour la première fois depuis l'indépendance, un président élu a récupéré la mise. Sans dommage collatéral. C'est-à-dire que l‘armée accepte d'elle-même le verdict des urnes, comme l'avait promis le général Lamari lui-même dans ses différentes interviews (El Djeïch, Le Point...). En employant la formule: «L'armée retourne dans les casernes», on veut tout simplement dire qu'elle retourne à ses missions constitutionnelles qui sont celles de défense du territoire et du caractère républicain de l'Etat. On peut dire que désormais, la balle est dans le camp du président Bouteflika, garant de la Constitution et chef suprême des armées. La séparation des pouvoirs inscrit dans le système républicain a prévu suffisamment de garde-fous pour que chacun puisse faire son travail sans empiéter sur le domaine du voisin ni sans marcher sur ses plates-bandes.