Aux yeux du successeur du général Lamari, l'ANP se fixe pour objectif premier de finir «d'éradiquer» le terrorisme en Algérie. Fait inédit dans les annales algériennes, qui inaugure une ère nouvelle dans les pratiques démocratiques, le général Lamari a lui aussi publié un ordre du jour dans lequel il dresse le bilan de ses onze années à la tête de l'institution avant de s'appesantir sur les raisons de son départ. Ainsi donc, le voile est en grande partie levé sur les raisons qui avaient motivé le départ, somme toute précipité du général Lamari et son remplacement, au pied levé, par le commandant des forces terrestres, Gaïd Salah. Dans sa dernière livraison, la revue El-Djeïch, organe central de l'ANP commence par l'ordre du jour du chef d'état-major partant, avant d'enchaîner sur celui de son remplaçant. Curieusement, la revue, régulièrement transmise à tous les organes de presse le même jour, a fait un retard de 24 heures pour la majeure partie des quotidiens nationaux, sans que l'on en sache la raison. C'est dans le strict respect des règles démocratiques les plus usitées que la passation des pouvoirs s'est faite entre Mohamed Lamari et Gaïd Salah, sous l'oeil vigilant de Bouteflika. L'ensemble des observateurs, toutes tendances politiques confondues, s'accordent à admettre que cet événement annonce une ère nouvelle dans les relations, souvent tendues, entre les politiques et les militaires. Il est vrai que les deux chefs militaires, Mohamed Lamari et Gaïd Salah, se gardent bien d'évoquer le rôle politique passé de cette institution, depuis le congrès de Tripoli jusqu'à la première élection de Bouteflika en passant par l'arrivée de Ben Bella au pouvoir, puis le putsch de Boumediene, la montée de Chadli, puis celle de Zeroual, en passant par la fameuse interruption du processus électoral, en janvier 1992. Sans heurts aucuns, et dans une subtilité sémantique qui vous fait immanquablement lire entre les lignes, les deux généraux-majors ont exposé leurs points de vue, l'un justifiant en quelque sorte les «incursions politiques» du passé, et l'autre traçant les «lignes rouges» que l'Armée devra désormais s'imposer. Le fait même que ces profondes mutations intervinssent quelques jours avant la célébration du 20 Août, et alors que les préparatifs vont bon train pour le cinquantenaire de la guerre de Libération nationale, renseigne assez sur le côté symbolique qu'accorde le président aux plus importants, voire historiques, de ses actes. Pour revenir au contenu à proprement parler de la revue El-Djeïch, Gaïd Salah, dans une adresse légèrement plus courte que celle de Lamari, rend un hommage appuyé à son prédécesseur, avant de mettre en avant les tâches que le président Bouteflika assigne à l'ANP, désormais sous son commandement. «En priorité, il s'agira de la poursuite de la lutte contre le terrorisme.» Il n'en précise pas moins qu'il «n'en subsiste que des groupuscules réduits au brigandage et à la rapine, de plus en plus insignifiants mais encore capables de nuisance contre nos populations isolées». Le constat est certes très proche de la vérité. Il n'en demeure pas moins que les terroristes profitent de chaque instant, de chaque occasion, pour porter également des coups contre les forces de sécurité comme cela a été le cas durant le week-end passé. Les ultimes «mises au point» de Lamari Parallèlement à cette activité, qualifiée donc de prioritaire, Gaïd Salah indique aux officiers et aux hommes de troupe qu'ils doivent «parachever le processus, désormais irréversible, de modernisation et de professionnalisation d'une armée républicaine, fière de son passé, mais résolument tournée vers l'avenir». Avant le chef d'état-major actuel donc, son prédécesseur le général Mohamed Lamari, commence par souligner avec force que ce départ s'est fait à sa demande express, venant contredire ainsi la rumeur qui avait couru sur de possibles divergences apparues entre lui et le président de la République, également ministre de la Défense et chef suprême des forces armées. Il est toutefois curieux de relever que tout au long de sa longue lettre, le général Lamari se garde de relever les «raisons de santé» que la présidence de la République avait soulevé dans son communiqué daté du 3 août passé pour justifier la démission du chef d'état-major. Mieux, Lamari, dans sa «dernière bataille» apporte la contradiction, de manière diplomatique certes, en évoquant, comme on le verra plus loin, d'autres justificatifs à cette démission certes devenue beaucoup moins énigmatique qu'elle ne l'était au tout début. Lamari, qui revient longuement sur le long combat mené contre le terrorisme et la subversion, ne manque pas de souligner qu'il a bien souvent été mené dans une isolement terrible à assumer. «Parfois, nous nous sommes retrouvés seuls, terriblement seuls», souligne celui qui a régné à la tête de l'armée depuis 1994. L'homme, qui ne peut laisser indifférent aucun observateur, admet que ce combat a dû s'accommoder de quelque «sévérité», sans pour autant que «l'honneur» et les «lois de la République» n'en aient été transgressés. Lamari, qui persiste et signe dans sa démarche, s'en prend une nouvelle fois aux islamistes accusés de vouloir dénigrer des actions venues «sauver la République et la démocratie». Dans sa lettre, Lamari qualifie ces gens de «hérauts» les chantres de cette mouvance criminelle, de même que leurs alliés et tous ceux qui avaient un compte à régler avec l'ANP. Lamari revient également sur le processus de modernisation de l'institution militaire, de même que sur l'ensemble des réalisations et actions de coopération que cette institution a accompli durant cette période avec des armées «des pays frères et étrangers». Un processus de longue haleine... Lamari, qui estime que sa mission est accomplie, même s'il donne l'air de garder une certaine prudence sémantique vis-à-vis de la concorde civile, dont les résultats sont, selon lui, appréciables, dresse donc un bilan «globalement positif», d'où sa décision de quitter son poste de chef d'état-major. Ainsi, même si le ton s'est voulu apaisant, il apparaît clairement à travers cette adresse qu'il ne partage pas la nouvelle orientation du président relative à la réconciliation nationale. Laquelle vient, en quelque sorte, accorder la part belle à ceux que tous les éradicateurs, officiers et politiques compris, considèrent comme étant leurs adversaires directs. Désormais, donc, le président aura les coudées beaucoup plus franches pour accélérer la mise en place de sa politique portant réconciliation nationale globale. Partant, les spéculations vont bon train sur le futur et heureux bénéficiaire du grade de général de corps d'armée, prévu dans l'organigramme et dont seul Mohamed Lamari était détenteur jusque-là. Une pareille promotion, que les observateurs attendent à l'occasion du 1er Novembre prochain, serait fortement révélatrice quant aux orientations futures que devrait prendre cette institution, désormais scrupuleusement respectueuse des lois de la République. C'est pour cette raison, au reste, que les spéculations vont également bon train sur la probable nomination d'un ministre de la Défense civile dès le prochain remaniement ministériel que des sources recoupées prédisent pour cette rentrée sociale. Le processus de modernisation et de professionnalisation de l'institution militaire passe immanquablement par ça.