Il est facile de deviner les pensées des dix anciens combattants qui doivent se réjouir déjà du spectacle et des honneurs qui les attendent. Soixante ans après le débarquement allié en Provence, des anciens combattants algériens vont enfin être décorés de la Légion d'honneur, demain par le président français Jacques Chirac. Ils étaient une dizaine à être reçus, hier à l'ambassade de France à Alger, avant de s'envoler vers la France. Image émouvante que de voir ces héros, qui, en dépit du poids de l'âge, ont répondu à l'invitation des autorités françaises. Le meilleur cadeau que l'on puisse leur offrir, eux qui avaient contribué à la libération de la France. Coiffés pour certains d'un calot blanc, parfois coloré, ayant, pour la plupart, une canne à la main, les dix hommes, dont l'âge moyen tourne autour des 80 ans, ne cachent pas, devant les objectifs des photographes et de cameramen, la satisfaction qu'ils éprouvent. Ils n'hésitent cependant pas, sous la cascade de questions, à exprimer une certaine amertume. «ça fait plaisir. C'est une véritable reconnaissance pour tous ceux qui ont combattu pour la France. Mais ça vient un peu tard quand même», déclare Bouhenni Azzaz, 85 ans, qui doit être décoré de la Légion d'humeur. Pour lui, voir les présidents algérien et français s'asseoir côte à côte est «un très grand honneur». Engagé volontaire en 1938 au 9e Régiment d'artilleurs près d'Oran, ayant fait toute la Seconde Guerre mondiale, de Tunisie jusqu'en Allemagne, après avoir débarqué près de Marseille, puis la guerre d'Indochine, il arbore fièrement ses décorations et médailles militaires, dont la Croix de guerre. Cependant, à la fierté se mêle la déception chez cet ancien combattant qui n'a pas manqué de faire part d'une légère amertume vis-à-vis de la France. «J'ai toujours des éclats dans l'oeil où j'ai été blessé pendant les combats», explique-t-il en relevant légèrement ses lunettes. «Cela fait cinq ans que je demande à recevoir des soins en France mais je n'ai toujours pas eu de réponse», confie-t-il, sous le regard de son épouse, visiblement émue. Celle qui devrait l'accompagner dans l'avion emmenant la délégation algérienne vers la France dans l'après-midi d'hier. Pour sa part l'ex-sergent-chef Mohamed Remane, 86 ans, trois décorations de guerre, se déclare également ravi de l'invitation en Provence, où, dit-il, il aura la joie de voir trois bâtiments de la marine algérienne participer au défilé naval d'une trentaine de navires qui longeront les côtes de Cannes à Toulon. Une occasion aussi de rencontrer éventuellement ses camarades de régiment venus de 15 autres pays africains. Pour Remane: «Le devoir de mémoire est toujours présent et ça fait plaisir», n'omettant pas d'évoquer les souvenirs de ses campagnes de Tunisie, d'Italie, de France, et surtout d'Indochine, où il a été blessé et hospitalisé à Saïgon. Une blessure dont il garde toujours les séquelles indélébiles. «Nous sommes longtemps restés oubliés. La pension, avant, c'était zéro, mais depuis juin ils me l'ont augmentée. Alors, je suis satisfait», indique-t-il le sourire aux lèvres. Rappelons que lors de sa dernière visite en Algérie, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre français de la Défense avait affirmé que le gouvernement a voté une enveloppe de 50 millions d'euros en faveur des anciens combattants de 1939-1945. Cependant, la pension est, de l'avis de la plupart de ces héros de la Seconde Guerre mondiale en deçà des besoins. L'ancien combattant Rabah Hout, 83 ans, appelé sous les drapeaux en 1942, embarqué à Oran pour Toulon et blessé au bout de trois mois, n'hésite pas, de son côté, à souligner la modicité de sa pension. «240 euros par trimestre, c'est ridicule vu le coût de la vie en Algérie», lance, dans un français approximatif, cet ancien combattant au visage buriné, portant lunettes, calot et moustache blanche. «C'est une reconnaissance tardive mais ça ne gâche rien. Je suis très content de revoir les côtes de Provence dans ces circonstances», dit-il. Il est facile de deviner les pensées des dix anciens combattants qui doivent se réjouir déjà du spectacle et des honneurs qui les attendent.