«Les tortionnaires 1830-1962» de Boualem Nadjadi est un terrible réquisitoire contre les abus de pouvoir de certains officiers d'une armée coloniale couverte par les plus hauts responsables de l'Etat français. Les tortionnaires 1830-1962 est un ouvrage qui mérite qu'on s'y attarde. Ecrit par Boualem Nedjadi, retraité de l'Armée nationale populaire (ANP) avec le grade de commandant, ce livre a nécessité des années de recherches, pour recueillir documentations, et témoignages... C'est un terrible réquisitoire contre les abus de pouvoir de certains officiers de l'armée française qui s'adonnaient à la pratique de la torture durant la lutte de Libération nationale, couverts qu'ils étaient par les plus hauts responsables de l'Etat français. Parmi ces tortionnaires, il est à noter les noms de Pélissier, Bigeard et Aussaresses dont le récent et effroyable aveu a fait couler beaucoup d'encre. Divisé en trois parties, l'ouvrage propose d'abord un éclairage sur les violences durant la conquête et la colonisation de l'Algérie notamment le code de l'indigénat que l'auteur qualifie d'«apartheid». La seconde partie intitulée: La répression et les tortures durant la guerre de Libération, décrit des cas et des formes de torture avec toutes les précisions possibles de lieux et d'instruments... et donne la parole aux divers témoins qui ont subi la torture durant la guerre de Libération nationale. Enfin la troisième partie est consacrée à quelques aveux reconnaissant avoir porter atteinte à la dignité humaine. L'auteur retrace au départ les étapes successives par lesquelles sont passées les Algériens pour arracher leur indépendance sans oublier les énormes sacrifices consentis pour parvenir à recouvrir leur liberté et leur dignité. Bien sûr, documents à l'appui et surtout à l'aide de plusieurs témoignages de survivants, le livre nous éclaire davantage sur la nature des exactions commises sur les Algériens en pleine période de guerre. Il dénonce ainsi les innombrables tortures qu'ont subies dans leur chair, les colonisés dans les différents centres et les spécificités de ces dernières: méthode de l'électricité, de l'eau, de la baignoire... méthode du feu, de la corde, supplices psychologiques, passage à tabac... sans oublier les différents types de violence commis par ces tortionnaires (violence judiciaire, administrative, culturelle, religieuse...). «Le manque de cas de conscience et l'absence de remords de la majorité des tortionnaires doivent être dénoncés avec force», avertit l'auteur au tout début de son oeuvre. Il pose en outre avec acuité une série de questions: «Si des services spéciaux chargés de macabres besognes étaient structurés dans l'organigramme de l'armée d'occupation, la hiérarchie de celle-ci n'est-elle pas responsable? La torture n'était-elle pas tolérée et par elle et par le pouvoir civil? Les faits de tortures, d'assassinats individuels et collectifs, de disparitions par milliers... pouvaient-ils être ignorés des pouvoirs publics en Algérie, par le ministre-résident à Alger et le gouvernement de Paris? Dans ce cas l'Etat français doit-il des excuses au peuple algérien?» Mais qui faut-il incriminer ou condamner: le tortionnaire, le commanditaire ou le responsable qui a couvert tous ces crimes contre l'humanité et qui sont imprescriptibles aux yeux de l'auteur. Tel semble la problématique sur laquelle repose cet ouvrage car l'acte de torture ne pouvait être commis sans l'aval d'un supérieur. C'est le cas de l'assassinat de Larbi Ben M'hidi que Boualem Nedjadi prend comme exemple. «Si la responsabilité politique revient à Robert Lacoste et François Mitterrand, alors chef de l'Etat français par intérim, la complicité du colonel Bigeard reste complète du moment qu'il a livré, en connaissance de cause, le leader historique à son exécuteur, sachant pertinemment que Larbi Ben M'hidi aux mains d'Aussaresses et son commando de bouchers, c'était la mort certaine», indique Boualem dans l'introduction de son ouvrage. Le devoir de mémoire auquel se plie ce chercheur en histoire n'en est que plus éloquent lorsqu'il fait appel à des témoins directs et oculaires, qui ont vécu les affres de la torture, et en parlent avec force détails. S'il dénonce avec fermeté ces actes de barbarie et de répression criminelle, l'auteur n'omet pas, toutefois, et par ailleurs de rendre un vibrant hommage à toutes ces personnalités françaises, journalistes comme Henry Alleg, des écrivains ou homme d'église comme Monseigneur Duval qui ont osé dénoncé la torture sous toutes ses coutures et ses inclinaisons. Force est de constater aujourd'hui que la torture a bel et bien existé et a été perpétrée pratiquement au su et au vu de tout le monde. Les traces et preuves matérielles ainsi que les témoignages sont nombreux. Ceci est irréfutable. Ce qui compte aujourd'hui, c'est que ces tortionnaires arrogants et sanguinaires reconnaissent leurs «violences» pour qu'enfin leurs victimes puissent retrouver paix et dignité, pour la réhabilitation de la vérité historique non pas partielle, mais dans toute son intégralité, même si parfois elle n'est pas bonne à dire. «Et si après l'avoir dénoncée en janvier 1955, des mesures et des sanctions avaient été prises par les autorités militaires et politiques, la torture aurait-elle été généralisée et systématisée?», se demande l'auteur. On est en droit, aussi, de s'interroger pourquoi cela n'a pas été entrepris. Ça reste un mystère... «La torture a-t-elle été élevée au niveau d'une nouvelle arme dans les guerres contemporaines?» est l'une des hypothèses que formule Boualem Nedjadi. Quoi qu'il en soit, il est catégorique là dessus «Rien ne justifie la torture!» C'est pourquoi tous les tortionnaires qui pullulent dans le monde doivent être dénoncés avec énergie et punis. C'est à cela que doit servir le travail de mémoire. Pour que nul n'oublie... Ecrire l'histoire d'un pays est un exercice bien délicat. Et Boualem Nedjadi en est bien conscient. Ce dernier, titulaire de plusieurs diplômes (de l'Académie militaire interarmes de Cherchell, de l'Académie militaire du génie de Moscou, ingénieur en construction, un magistère en sciences militaires et un diplôme d'interprète en langue russe) est à son premier ouvrage édité récemment à l'Anep. Boualem Nedjari ne compte pas en rester là, car l'histoire reste sa passion et sauvegarder celle de son pays, son cheval de bataille.