Ce pouvoir veut-il qu'on en arrive aujourd'hui à déverser notre colère, notre amertume et notre frustration sur les véritables pères du nationalisme Algérien, sur ceux qui ont consenti au sacrifice suprême, non pas pour prouver qu'ils ont eu raison ni pour se jeter sur les chaises vides laissées par la France, mais juste pour continuer à nourrir l'espoir que la lutte pour les libertés et la justice est toujours possible ? Avons-nous aujourd'hui le droit de juger Ben Mhidi et tant d'autres héros pour avoir tranché en faveur de la lutte armée, pour avoir cru en une utopie et en un peuple, pour avoir refusé la paix civile aux dépens des indigènes ? Sont- ils coupables de démesure, de folie ou de défaut d'appréciation ? Quelle dose de « folie » a-t-il fallu à Zabana pour tendre sa tête à son bourreau, et quelle dose de déraison a-t-il suffi à Ben Mhidi menottés et allant vers une mort horrible, pour nous laisser ce sourire éternel. Qui sont les responsables du massacre que nous subissons, ceux qui ont eu le courage de s'insurger contre le colonialisme et ses lois pour indigènes ? Certainement pas et je ne puis me consentir à une telle simplicité, même si dans mes pires moments de déprime et de rage j'en veux à tout ce qui a pu contribuer de près ou de loin à amener de tels monstres aux commandes du pays. Nous est-il permis d'en vouloir aux initiateurs de la lutte armée parce qu'ils ont été floués et trahis par tous ces fils de Caïds, ces sous-officiers de l'armée Française, ces mafieux du MALG, ces milliers de harkis anonymes, ces transfuges et tous ces agents de l'ennemi qui ne guettaient que le moment propice pour reprendre leurs postes de mouchards et redonner ce pays à la France des tortionnaires et des esclavagistes ? Sommes-nous aujourd'hui en train de dire que « le peuple n'était pas prêt » ? Sachant qu'aucun peuple n'est jamais prêt pour aller mourir, serions-nous en train de suggérer qu'il ne fallait pas y aller à cette guerre avant d'être sûrs, mais sûr de quoi ? Sûrs que les traîtres allaient se dévoiler ou se repentir ? Sûrs que le peuple voulait vraiment affronter la puissante França, son armée, ses chars, ses hélicoptères, ses bateaux, ses services secrets, ses agents Algériens, ses colons, ses tortionnaires, ses violeurs et ses éventreurs ? Face à ce pouvoir qui s'éternise et se diabolise, cette guerre nous est presque présentée aujourd'hui comme la seule responsable, la seule coupable et la seule blâmable dans ce désastre politique et social. Ces raccourcis, quand bien même « compréhensibles » sont dangereux, morbides, arbitraires et très pervers, ils sont la meilleure preuve de notre impuissance à affronter le présent et à confronter l'histoire. Certes, nous réalisons aujourd'hui que la guerre de libération a eu pour conséquences, entre autres de liquider massivement toutes les potentialités du pays, tous ses hommes d'honneur, ses intellectuels, ses Oulémas, ses authentiques moudjahiddines, expédiés ou livrés parfois, si ce n'est souvent droit sur les lignes ennemies. Mais gardons nous de tuer nos héros par deux fois. Pendant que le peuple comptait ses morts et arrivait à peine à panser ses blessures, des renégats et des lâches postés sur nos frontières et dans les locaux des services secrets français sont venus porter le coup de grâce aux rêves de liberté de ce peuple. Les méthodes utilisées avant et après 1962 ne laissent aucun doute sur l'identité de ceux que les Algériens n'ont découvert pour la première fois qu'en 1962, fiers de semer la terreur et de parcourir la capitale en chars. Il ne leur a pas fallu longtemps pour liquider et museler tous ceux qui représentaient encore les idéaux de 1954. Forts de leur passé de criminels, ils ont torturé, emprisonné, tué et disposé de la nation et de son histoire tels de véritables envahisseurs. Où est l'erreur ? Quel sacrilège avait pu commettre ce peuple pour subir ce DOUBLE SORT ? Fallait-il dès le départ tout arrêter ? Pendant qu'à l'intérieur du pays, les gens étaient déportés, affamés et brûlés au Napalm, combien d'Algériens savaient que les Boussouf boys avaient déjà ficelé leur scénario, qu'ils étaient devenus de véritables barons enrichis et engraissés y compris par le trésor du FLN (mais pas seulement), qu'ils avaient monté une véritable «gestapo », qu'ils avaient fait fusiller de jeunes Moujahidines ? Combien d'Algériens savaient que l'armée des frontières était non seulement truffée d'anciens sous-officiers de la France coloniale, mais de jeunes harkis et de simples soldats de la France intégrés à la dérobée ? Est-ce aux survivants qui savaient et qui se sont tus qu'il faut en vouloir ou aux premiers héros qui le soupçonnaient certainement et qui ont préféré poursuivre la lutte qu'il faut tenir rigueur ? Cette révolution a été pensée et déclenchée par un peuple qui, des titres et des boutons de mandarinat ignorait tout, à part peut-être celui de « Moussabil » « moujahid » ou « Chahid ». Cette révolution a été ensuite détournée, manipulée et infiltrée grâce à ceux qui ne conçoivent le pouvoir que par la cravache et les armes, ces fils de traîtres et de Spahis, ces sous-officiers et qui ne se sont jamais vus vivre dans ce pays autrement qu'en piétinant leurs frères pour mieux servir leurs maîtres ; n'ayant aucune chance avec les authentiques fils du pays qui n'aspiraient ni aux galons ni au prestige, ils ne pouvaient s'appuyer que sur des minus sans personnalités, ces presque analphabètes, sans formation aucune, sans culture et surtout sans moralité, des sortes de « brigadiers » affamés et assoiffés de pouvoir, prêts à tout pour prendre la place du « Colon ». Pour ces missions la France n'allait pas envoyer les enfants du Bachagha Boualem, elle avait d'autres contingents moins connus et moins médiatisés et elle ne manquait certainement pas de moyens pour retourner et former en secrets des armées parallèles. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard que l'un des premiers signes de perversion fut justement l'établissement de grades et de super Etat-Major au sein d'une révolution portée par le boulanger, le mécanicien, la ménagère, le chômeur et le marchand ambulant. La France ne pouvait ni politiquement ni économiquement continuer à coloniser un pays aux portes de ses frontières sans courir le risque de se voir un jour envahie et débordée par cette population musulmane qui tôt ou tard aurait accédé à une « citoyenneté » Française, situation que De Gaulle ne voulait surtout pas assumer. Pourtant et alors que tous les experts s'accordent à dire que De Gaulle aurait pu dès 1958 arrêter l'effusion de sang, il ne l'a pas fait, Pourquoi ? Pourquoi avoir fait durer la guerre plus longtemps tout en faisant croire aux Algériens et à l'ALN qu'une victoire militaire sur la France était toujours possible ? N'était-ce pas là une façon d'épurer et de « liquider » le maximum de nationalistes, armés ou pas ? Ne s'agissait il pas là d'un moyen efficace pour mettre le peuple et le pays à genoux ? Y avait-il meilleure stratégie pour donner du temps à l'armée des frontières afin de se renforcer et de tout contrôler de l'extérieur, grâce entre autres aux fameux sous-officiers de la France ? Notre frustration de vérité est inconsolable, nos souffrances quotidiennes face à ces faussaires et à leur arrogance est de plus en plus insupportable, le pays se meurt chaque jour un peu plus, et on ne peut en effet que s'interroger sur les sources de ce mal, mais ce déchirement ne doit surtout pas nous conduire à condamner la révolution et ses initiateurs. Je ne cherche ni à surdimensionner les événements ni à trouver des excuses à ceux qui ont déjà fait leurs preuves, mais qu'on le veuille ou non, il y a un miracle derrière chaque femme et chaque homme qui accepte de mourir pour une idée aussi utopique, aussi folle, aussi chimérique, aussi intrépide fût-elle. Quoi qu'ils fassent, l'histoire est en train de s'écrire. Ils auront beau décréter que Messali El Hadj est un traître, que l'Emir Abdelkader est le seul père trouvé pour la nation Algérienne, que Amirouche et Si El Haouès ont été rattrapés par hasard par les avions Français, que les sous-officiers de la France coloniale n'existent pas, que le MALG a sauvé la révolution, qu'ils sont les dignes héritiers de l'esprit de cette même révolution et que nous ne sommes que leurs carpettes, le vent a tourné. Zineb Azouz, le 10 Juillet 2010