Plus qu'à tout autre moment, le secteur de l'éducation est propulsé sous les sunlights à la faveur de cette rentrée intervenant sous le signe d'une réforme arrivée, enfin, au point de non-retour. Manuels scolaires, infrastructures, dispositifs de suivi et de contrôle, recrutements, formation des enseignants...rien n'est laissé au hasard. C'est sur l'ensemble de ces questions que nous éclaire cet entretien que le ministre de l'Education, M.Boubekeur Benbouzid a bien voulu nous accorder. L'Expression : Cette année, la rentrée s'annonce sous le signe de la réforme. Quelles en sont les grandes lignes? Boubekeur Benbouzid : La rentrée scolaire de cette année est effectivement placée sous le signe de la poursuite de l'élan entrepris en 2003. Je ne vais pas revenir sur les aspects liés aux fondements, aux objectifs et à l'architecture globale de la réforme de l'éducation sur lesquels j'ai eu à m'exprimer à maintes reprises, je m'en tiendrai, cette fois-ci, si vous le voulez bien, aux aspects tout à fait concrets qui caractérisent cette rentrée 2004-2005. Je vous rappelle qu'à la précédente rentrée, nous avons introduit un certain nombre de changements dans l'organisation des cycles de l'enseignement de base en allongeant le moyen de 3 à 4 ans et en réduisant le primaire de 6 à 5 ans. Des changements ont été opérés dans les programmes d'enseignement et les manuels scolaires de première année primaire et de première année moyenne, mais également dans la manière de former puisque les nouveaux instituts de formation et de perfectionnement des maîtres, créés au niveau du secteur produiront un nouveau profil de maître bilingue pour le primaire. Nous avons également introduit l'anglais comme seconde langue étrangère en première année moyenne et avons entamé la préparation pour l'introduction, dès cette rentrée, de la langue française en deuxième année primaire. Cette rentrée verra donc la poursuite des réformes des nouveaux programmes et des nouveaux manuels pour la deuxième année primaire et la deuxième année moyenne, y compris et au même titre que les autres disciplines, un nouveau manuel dans la langue amazighe qui prendra un nouvel essor à travers un certain nombre de wilayas, puisqu'il est prévu, dès cette rentrée, d'avancer son enseignement de la première année moyenne à la 4e année primaire. Par ailleurs, l'enseignement privé sera institutionnalisé, les textes juridiques, définissant les conditions de son existence légale et de son exercice ont été préparés. L'épreuve d'éducation physique sera une discipline à part entière dans les examens nationaux du Bac et du BEF. En outre, un dispositif d'évaluation et de suivi des gestionnaires des établissements et des classes d'examen sera mis en place pour consolider les résultats obtenus cette année au Bac...En somme, ce sont là des éléments de tout un programme destiné à soutenir le rythme d'une politique de mutation vers un système éducatif appelé à être, d'année en année, de plus en plus performant. Les réformes que vous préconisez et l'introduction de la langue française dans l'enseignement, puis d'une troisième langue, dès les premières années, constituent une véritable révolution dans le domaine scolaire. Pensez-vous qu'il soit enfin possible de se doter d'un enseignement qui soit au diapason de celui des pays les plus développés? L'oeuvre de réforme que nous avons entamée, constitue, pour reprendre votre expression, une véritable révolution dans le domaine scolaire. Car, il ne s'agit pas pour nous d'opérer des retouches superficielles, ou conjoncturelles, c'est une lame de fond qui fera émerger un citoyen apte à intégrer les évolutions et à vivre en harmonie avec son temps et ses valeurs. C'est notre espoir et notre objectif. L'Algérie a les moyens pour aller de l'avant. Dispenser un enseignement de qualité à ses enfants et se hisser à un niveau comparable à celui des pays développés. Cela demande du temps et de l'effort, nous nous y attelons avec pugnacité et enthousiasme. D'ailleurs, l'introduction de la langue française en 2e année primaire et la langue anglaise en première année moyenne, tous les changements que nous sommes en train d'opérer et dont je viens d'évoquer les grandes lignes sont annonciateurs d'une nouvelle étape que nous voulons davantage qualitative et ouverte sur le monde. A quand la généralisation de l'informatique dans nos écoles? L'informatique dans nos écoles est un des facteurs déterminants de modernisation de notre système éducatif. Cependant, il faut que vous sachiez que certains pays développés comme l'Italie ou la France ont mis plus d'une décennie pour approcher de leurs objectifs. Car il ne s'agit pas uniquement d'acquérir du matériel. Il s'agit surtout d'en faire un outil performant pédagogique, d'enseignement et de perfectionnement, de gestion et de communication. La tâche est d'autant plus complexe que notre secteur est l'un des plus lourds au plan des ressources humaines et budgétaires lesquelles couvrent les endroits les plus reculés du pays. C'est pour cela que le programme de soutien à la relance économique a accordé une enveloppe de 3 milliards de dinars destinés au développement de l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans le secteur de l'éducation nationale. Par cet apport, l'administration centrale, les établissements nationaux sous tutelle, les instituts de formation et les directions de l'éducation de wilaya ont commencé à opérer une mue de leurs méthodes de gestion. Ils devront à terme, mettre en place un réseau national unique, qui sera l'intranet de l'éducation. Par ailleurs, pour ce qui concerne les établissements scolaires, 850 ont bénéficié chacun de 15 postes informatiques dont 10 destinés aux élèves comme outil pédagogique et 45 aux enseignants pour une utilisation de recherche ou de formation. Ce programme devra concerner 800 autres établissements scolaires jusqu'à couvrir, étape par étape, les 23000 établissements scolaires du pays. L'introduction de l'informatique constitue une composante essentielle de la réforme. D'ailleurs, un institut chargé du développement des nouvelles technologies au sein de l'éducation verra le jour incessamment. Le décret portant sa création vient d'être publié. Tout comme pour le code de la famille, la mouvance dite islamiste s'est farouchement opposée aux réformes pourtant jugées salutaires et dont les premiers effets bénéfiques ont commencé à se faire jour. Comment compte procéder votre département en vue d'éviter les écueils qui risquent de se dresser sur la voie de ce projet de longue haleine? Les actions que nous sommes en train de concrétiser depuis la rentrée précédente et celles que nous projetons, démontrent que la réforme de l'éducation que nous mettons en oeuvre n'est pas une réforme idéologique ni une réforme allant à contre-courant de nos principes. Le défi qui se pose à nous dans ce contexte de mondialisation consiste précisément à recentrer l'école sur ses missions d'instruction et de qualification et de lui faire jouer pleinement son rôle d'éducation à la citoyenneté. Ceci bien évidemment dans le cadre de nos valeurs intrinsèques. Et je vous fais remarquer qu'aussi bien notre langue nationale, l'arabe, que notre religion n'ont pas été enseignées comme il se doit. Un intérêt particulier leur est dorénavant accordé dans le cadre de la réforme. Nous comptons moderniser leur méthode d'enseignement par de nouveaux outils, de nouveaux manuels et particulièrement par de nouveaux enseignants sortant des instituts, de maîtres disposant d'un niveau d'au moins Bac + 4 années universitaires. Je pense que tout le monde, à l'heure actuelle, comprend que l'objectif des réformes est de permettre, à terme, à nos enfants d'être suffisamment dotés pour affronter les défis économiques, scientifiques et techniques, tout en préservant les valeurs ancestrales puisées dans l'arabité, l'amazighité et l'islam. L'on croit savoir que des problèmes seraient apparus concernant la disponibilité et la distribution du livre scolaire depuis que votre département a décidé de ne faire appel qu'aux entreprises publiques. Qu'en est-il au juste? Le manuel scolaire dans notre pays, accuse un grand retard aussi bien au plan quantitatif que celui qualitatif. Vous devez savoir que nos besoins n'ont jamais été couverts au-delà de 50%. Le manuel technique, quant à lui, n'existait pas depuis des lustres, ni en arabe ni en français. C'est dire que le changement dans ce domaine, déjà perceptible depuis l'introduction l'an dernier du nouveau manuel pour les premières années de réforme (1re année primaire et 1re année moyenne), sera radical. D'abord au niveau de la qualité, ensuite au niveau de la quantité. En effet, nous devrons mettre à la disposition de chaque élève un manuel. Pour cela il nous faudra éditer plus de 65 millions d'exemplaires...Dans cette perspective, un état de lieux des plus précis, suivi d'une analyse prospective fine nous permet d'affirmer qu'avec la mobilisation des moyens de l'Etat, nous arriverons à régler le problème de la disponibilité en quantité et qualité du manuel scolaire, dans pas plus de 4 ans. Pour cette année, 17 nouveaux manuels, tirés à plus de 23 millions d'exemplaires, concerneront les années de réforme (6 manuels pour la 2e année primaire et 11 manuels pour la 2e année moyenne). Quant aux «anciens » manuels non encore concernés par la réforme, ce sont près de 25 millions d'exemplaires, prévus pour cette rentrée. Cela correspond à une couverture des besoins évaluée à 50 %, comme par le passé et qu'il serait contre-productif de couvrir à 100 %, car ils seront touchés graduellement par la réforme, et seront renouvelés totalement année par année. Donc au total pour cette rentrée ce sont près de 48 millions d'ouvrages qui seront édités et distribués à travers les 23.000 établissements que compte le pays. Pour relever ce défi, nous avons mobilisé avec le ministère de la Participation, des moyens d'impression importants de l'Etat et parmi, ceux du privé qui ont prouvé leur compétence et l'engagement à remplir leur contrat. Devant l'ampleur de cette opération qui a, en effet, doublé cette année, en termes de quantité de manuel à imprimer et à diffuser, puisque nous sommes passés de 26 millions habituellement, à 48 millions cette année, il n'est pas exclu d'enregistrer des petits retards ici et là que nous évaluons, d'ores et déjà, à environ 15 % du total, mais dont la résorption ne dépassera pas la fin septembre 2004. Je vous annonce, enfin, que le système de location des manuels que nous avons envisagé l'année dernière entrera en application dès cette année avec les manuels touchés par la réforme, c'est-à-dire la première et deuxième années primaires et la première et deuxième années moyennes. Autre innovation de taille pour cette année, c'est l'édition de 5 nouveaux manuels scolaires destinés aux élèves de l'enseignement technique qui n'ont jusque-là jamais disposé de manuels scolaires officiels. Cette année, il n'a pas été question de la fameuse aide scolaire estimée à 2 000 DA par enfant pour les familles défavorisées. Est-ce qu'elle est toujours en vigueur? Vous vous rappelez que l'aide directe de 2000 DA accordée à chaque enfant issu d'une famille défavorisée est une mesure prise par le Président de la République. Depuis lors, elle est renouvelée chaque année scolaire par une décision du Président de la République, en conseil des ministres dont la tenue se fera incessamment. Au regard de l'importance du nombre d'enfants qui rejoignent chaque année les bancs de l'école et des sommes consenties par l'Etat à la construction de nouveaux établissements dans le cadre du plan de la relance économique, votre secteur est devenu un important pourvoyeur d'emplois. Pouvez-vous nous donner quelques chiffres concernant les postes créés ou à créer et concernant les enseignants qui revendiquent leur permanisation, leur problème a-t-il été réglé? Le nombre de postes budgétaires, ces dernières années, a augmenté de façon significative en passant de 474.983 en 1999 à 497.272 en 2003, soit 22.289 postes de plus en 5 ans. Ce qui a permis au secteur non seulement de faire face aux besoins en encadrement des nouveaux élèves mais également d'améliorer le taux d'encadrement. Cela a eu une implication directe sur le taux d'encadrement du primaire qui est passé de 33 élèves par maître en 1999, à 28 élèves par maître en 2003. Au cours de cette période, nous avons recruté plus de 50.000 fonctionnaires nouveaux dont 42.000 vacataires ont été permanisés dans les corps d'enseignement. Je vous signale, en outre, que l'évolution des ressources humaines n'a pas été que quantitative. L'effet sur la qualité des enseignants s'en est fortement ressenti. Avec le recrutement de nouveaux enseignants étant, depuis 1999, restreint aux seuls titulaires de licence, le niveau des enseignants s'est nettement amélioré. A titre d'exemple, le nombre d'enseignants` du fondamental titulaires de licences a été multiplié par 5 en passant de 7=700 en 1999 à 38.600 en 2003. Cette évolution qualitative a également touché les corps d'inspection puisque, avec la promotion de 600 inspecteurs de l'éducation et de l'enseignement fondamental, le taux d'encadrement des enseignants qui était de 230 enseignants pour un inspecteur en 1999, est désormais proche des normes internationales. II est actuellement de 142 enseignants du primaire par inspecteur et de 149 enseignants du moyen par inspecteur. L'évolution qualitative a également concerné les corps de gestion avec le recrutement de 428 fonctionnaires destinés à encadrer les opérations d'informatisation lancées au niveau des Directions de l'éducation de wilayas. S'agissant de la question récurrente relative à la permanisation des vacataires, vous devez savoir que le secteur de l'Education, de par le monde, a ceci de spécifique qu'il ne peut pas fonctionner uniquement avec un personnel entièrement permanent. Il dispose, à tout moment, d'un personnel vacataire, ailleurs dénommé auxiliaire et destiné à suppléer, de manière momentanée, à la vacance temporaire, au courant de l'année scolaire, d'un poste d'enseignant, en situation de congé de maternité, de maladie ou autres... Et pour ce qui est du front social, est-ce que le courant passe enfin avec les deux syndicats autonomes que sont le CLA et le Cnapest? Nous travaillons en bonne intelligence avec l'ensemble des syndicats et représentants des travailleurs et enseignants du secteur de l'éducation pour l'amélioration des conditions socioprofessionnelles de ces derniers. Nous nous concertons régulièrement autour de ces questions et de bien d'autres touchant à la vie du secteur. Les pouvoirs publics ont consenti de grands efforts, notamment en matière salariale, où pratiquement 50 % d'augmentation a été enregistrée en l'espace de deux ans, de même qu'un nombre considérable de personnel vacataire 42000 au cours de ces dernières années, a été permanisé, cela, sans évoquer une série d'actions que nous avions menées et fait aboutir, ensemble. Il reste, sans aucun doute, des dossiers à parachever et des concertations à mener. Nous continuerons à aller de l'avant en poursuivant notre politique d'ouverture et de communication avec l'ensemble de nos partenaires socioprofessionnels.