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L'Indonésie s'ouvre au monde en gardant ses ancrages identitaires
L'archipel s'efforce de maintenir l'équilibre entre modernité et authenticité
Publié dans La Tribune le 09 - 11 - 2008

De notre envoyé spécial à Jakarta
Salah Benreguia
Jakarta, capitale de l'Indonésie, ouvre ses bras à tout moment pour accueillir les visiteurs, les hommes d'affaires et surtout les touristes. Des bras accueillants pour tous ceux avides de découvrir un pays qui s'étire sur près de 5 000 km, formant ainsi le plus grand archipel du monde, avec ses
13 677 îles, dont seulement 6 000 habitées. Ce pays, très éloigné de l'Algérie, chevauchant l'équateur entre l'océan Indien à l'Ouest et l'océan Pacifique à l'Est, devient ces dernières années l'eldorado des touristes, notamment occidentaux, mais surtout les amoureux des îles paradisiaques, à l'instar de Bali et Lombok.
Vendredi 17 octobre. Le crépuscule pointe, annonçant la fin d'après-midi quand l'Airbus de Qatar Airways atterrit sur le tarmac de l'aéroport international de Jakarta. Les passagers, dont une dizaine d'hommes d'affaires algériens, descendent de l'aéronef en cohorte, pressant le pas pour accomplir les dernières formalités afin de mettre les pieds sur le sol indonésien. L'aérogare grouille de monde. Dans l'enceinte de l'aéroport, qui rappelle avec ses longs couloirs en béton l'université Houari Boumediene de Bab Ezzouar, une queue interminable attend devant nous. Difficile de se frayer un chemin entre cette foule de toutes races et nationalités. Européens, Américains, Australiens ainsi que Maghrébins se partagent quelques bribes d'informations sur le voyage, qui a été forcément pour eux long et éreintant. Et pour cause, pas moins de 8 heures de vol pour ceux ayant embarqué de Doha et plus de 16 heures pour ceux venus d'Alger. Personne n'y trouve à redire. «Ce pays est très très loin de l'Algérie», justifie-t-on. Les formalités accomplies, les passeports récupérés, les bagages entre les mains, Jakarta est prête à nous accueillir.
Au sortir de l'aéroport, une chaîne interminable de taxis bien organisés et homogènes, de couleur bleue, est alignée, attendant les touristes et les voyageurs, alors que la police se fait de plus en plus discrète. A première vue, il semblerait que cette mégalopole ne voulait pas de sitôt tomber dans les bras de Morphée, tant le flux des milliers de personnes allant dans tous les sens pour les dernières occupations de la journée va crescendo. Quant à nous, nous nous
contentons de contempler ces belles vues via cette fameuse autoroute aérienne qui mène vers le centre de la ville.
Une capitale avec plus de 100 hôtels de luxe…
La capitale du pays cher à Sukarno abrite plus de 100 hôtels qui apparaissent comme des bijoux étincelants au beau milieu de cette île de Java. La plupart appartiennent à de célèbres chaînes hôtelières mondiales. Le nombre impressionnant d'hôtels donne déjà une idée de la volonté des dirigeants indonésiens de promouvoir le secteur du tourisme. En plus de la beauté des paysages de la plupart des endroits, que la nature lui a donnée, l'Indonésie a fait un grand pas vers la promotion du tourisme, un secteur perçu par la plupart des pays en voie de développement comme l'alternative de sortie de la dépendance du pétrole. Pour ceux également qui visitent pour la première fois Jakarta, ils seront à coup sûr submergés par les gratte-ciel et «buildings» se comptant par
centaines. Des multinationales activant dans divers secteurs économiques, des banques de renommée mondiale et surtout des hypermarchés, tels que Carrefour, y ont ouvert des dizaines de succursales. S'agissant exactement de ces grandes surfaces, avec l'augmentation du pouvoir d'achat de la classe moyenne, ce secteur connaît une croissance très rapide dans la plupart des villes indonésiennes. En effet, ces centres commerciaux, ciblant dans la majorité des cas la classe moyenne, sont souvent constitués d'une multitude de petites boutiques et kiosques, à côté d'un ou de deux grands magasins ou grandes surfaces alimentaires qui en constituent les «piliers». «Ce sont d'ailleurs les magasins de type hypermarché qui sont depuis quelques années à l'origine de la croissance du secteur de la construction commerciale», nous a déclaré Mounir, propriétaire d'un grand magasin d'appareils électroniques. Par ailleurs, ces dernières années, la population indonésienne assiste également à un développement de «malls» à l'américaine de plus en plus spacieux, comprenant des magasins de luxe, des salles de cinéma, des espaces de loisirs pour enfants et même une patinoire, implantés au nord de Jakarta. En chiffres, selon un
responsable du ministère du Commerce rencontré durant la Foire internationale économique de Jakarta, la capitale indonésienne compte, à elle seule, pas moins de 6 millions de mètres carrés de boutiques et de grands magasins, une croissance de plus de 13% par rapport à 2006. En somme, faire un tour à Jakarta permet au visiteur de découvrir le principal centre économique du pays, plaque tournante des affaires. Mais, puisqu'il y a toujours un mais, cette métropole, qui se situe au cœur de la vaste île de Java, tente tant bien que mal de présenter aujourd'hui le visage résolument moderne d'une grande capitale asiatique en pleine expansion. Car, pour peu que l'on s'éloigne du centre, les bidonvilles te souhaitent, à leur tour, la bienvenue…
Les mendiants, de tous âges, passent comme des éclairs dans les différentes artères de la ville. Devant les touristes, ces derniers, qui se comptent d'ailleurs par centaines, n'hésitent pas à tendre la main pour quelques dollars.
La mosquée Istiklal, ou la deuxième Mecque
En plus des centres commerciaux, le grand Jakarta possède des sites et monuments historiques des plus précieux. Certains sont devenus, au fil des ans, des endroits de prédilection pour des milliers de touristes étrangers. A Merdeka Square, on trouve le National Monument (Monas), mais surtout le «Musée national» avec sa superbe architecture coloniale, l'un des musées les plus exceptionnels d'Asie du Sud-Est. Mais, incontestablement, l'édifice qui attire de plus en plus de monde est la mosquée Istiklal. Située à proximité de la place Merdeka, au nord de la ville, celle-ci est, pour les Indonésiens, synonyme de tolérance et de vie sociale. Considérée comme le plus grand édifice religieux dans la zone sud-asiatique, la mosquée Istiklal a des particularités des plus intrigantes, dont un «bedug», c'est-à-dire une sorte de grand tambour qui sert à l'appel à la prière. Il est constitué, selon les fidèles, d'une peau de vache d'un côté et d'une peau de bœuf de l'autre. «Il s'agit d'une vieille tradition javanaise préexistante à l'arrivée de l'islam», tentent-ils d'expliquer. La deuxième singularité est, il faut bien lire, le fait que la mosquée Istiqlal offre aux croyants la possibilité d'effectuer une répétition générale de leur futur pèlerinage. Un immense cube noir placé au centre de la cour de la mosquée représente la «Kaaba», la pierre noire autour de laquelle les fidèles tournent à La Mecque. Le but de cet entraînement est de parvenir à toucher la vraie pierre lors du pèlerinage. «L'objectif de cette option est de faire connaître aux futurs pèlerins l'un des piliers de l'islam, le hadj», ajoutent-ils. Achevée en 1984, après plus de 20 ans, la mosquée Istiklal, qui signifie en arabe indépendance, peut rassembler plus de 120 000 fidèles. Elle figurait parmi les édifices à construire lors de l'époque de Sukarno. L'autre fait surprenant, en plus de sa vocation principale, un lieu de prière, c'est que la mosquée Istiklal est destinée également à des activités diverses. «Les gens peuvent y jouer aux échecs, y écouter des poèmes», nous précise plus loin Mohamed devant des touristes visiblement ébahis. Et d'ajouter au passage : «On organise ici, dans l'enceinte de cette mosquée, des concours d'écriture et de lecture du Coran : le meilleur gagne un voyage à La Mecque.» Restons dans ce sillage. L'Indonésie, connue pour être le plus grand pays musulman du monde, n'a pas de problèmes ou de «conflits» religieux. Ainsi, en dépit de la dominance de l'islam, soit près de 90% de musulmans, les autres infimes communautés que constituent les autres religions, à savoir le catholicisme, le protestantisme, l'hindouisme et le bouddhisme, n'ont jamais été «écrasées». «La religion musulmane n'a jamais posé problème dans notre vie quotidienne ni avec les autres croyances», tente de nous convaincre Ali, journaliste au Jakarta Post. «Pour nous, la religion musulmane signifie la tolérance et la paix», ajoute-t-il. A l'appui, notre interlocuteur nous a fait savoir qu'en aucun cas il n'a été question d'une campagne ou d'une volonté politique de changer notre mode de vie spirituelle. «Celui qui veut aller à la mosquée est libre et celui qui veut passer la nuit dans une discothèque est également libre», nous précise-t-il. «Chacun fait comme bon lui semble», soutient-il.
En somme, si l'islam est devenu la religion officielle, il est en réalité intégré dans ce mélange très composite. Il imprègne de ses coutumes et rituels tous les aspects de la vie quotidienne, mais son interprétation se démarque du modèle austère pratiqué ailleurs : les femmes ont davantage de liberté et ne portent pas le voile, les hommes ne peuvent épouser que deux femmes, et seulement avec l'assentiment de la première. «Ici une femme peut être une bonne pratiquante mais rien ne l'empêche de boire une bière fraîche lors d'une fête ou d'une soirée, et personne ne lui dira quoi que ce soit», ajoute plus loin la même source.
Cependant, la ville de Jakarta n'a pas, elle non plus, violé la règle sacrée des grandes villes, notamment américaines et européennes. En effet, elle abrite (ce qui est d'ailleurs acceptable pour les Indonésiens) des lieux de loisirs de renommée mondiale. Ainsi, des boîtes de nuit, des discothèques, se comptant par dizaines, sont devenues les lieux privilégiés des amateurs des soirées arrosées, notamment les étrangers. «On a voulu investir dans le tourisme et on ne doit pas omettre certains aspects pour que les futurs visiteurs soient vraiment satisfaits», nous a déclaré Ali. Quid de la prostitution ? Sur ce chapitre, notre source a eu cette réflexion : «Ici à Jakarta, et ailleurs dans la plupart des régions indonésiennes, la prostitution a pris des proportions phénoménales. Maintenant, on n'en parle plus car on évoque l'industrie du sexe.» Ainsi, dans ce pays, en plus des démunis qui collent à vous parfois pour un dollar, les prostituées n'hésitent jamais à vous aborder, pour peu que vous jetiez un regard sur elles. «Ici les étrangers sont estimés et accostés par les prostituées de tout bord. Car, pour les femmes d'ici, un touriste est synonyme de bourgeoisie et de belle vie», ajoute-t-il.
L'Indonésie, première tribune internationale du FLN
La discussion avec notre ami Ali change. On évoque les relations historiques entre les deux pays dans toutes leurs facettes. Inévitablement, tranche-t-il, les relations bilatérales entre les deux pays ont été marquées par un rendez-vous qui demeurera dans l'histoire des nations et dans les esprits, notamment des deux peuples. Il s'agit de la conférence de Bandoeng de 1955. On constate, durant notre bref séjour, qu'«El Djazaïr» et sa lutte historique contre l'armée française demeurent vives dans la mémoire des habitants de ce pays. Même les héros algériens, qui ont combattu l'arbitraire et l'injustice, sont des modèles de courage et d'amour patriotiques pour les Indonésiens. Le premier souvenir est le la conférence de Bandoeng.
L'Indonésie a été la première tribune internationale offerte aux dirigeants d'alors du FLN pour faire connaître la cause juste et noble qu'a été la guerre de libération nationale. Devant une puissance colonisatrice, qui avait tout fait, mais en vain, pour étouffer la cause nationale, le pays d'Ahmed Sukarno avait tenu à recevoir la délégation algérienne présidée par Hocine Aït Ahmed à la conférence de Bandoeng et ce, en dépit des pressions de la toute puissante armée française et ses alliés traditionnels. Accompagnés notamment par le défunt Mohamed Yazid, un certain 18 avril 1955, les représentants du FLN mirent à nu les objectifs d'une telle lutte devant une trentaine de pays. Conscients de leur force, ces pays asiatiques et africains, qui ont acquis, plutôt arraché, leur indépendance, décidèrent alors de tout mettre en œuvre pour aider les autres peuples, sous domination étrangère, à se libérer.
Tel a été l'objet de la conférence de Bandoeng, tenue du 18 au 24 avril 1955 et qui avait marqué l'entrée du tiers-monde sur la scène internationale. «Notre amitié date de plus d'un demi-siècle», nous a résumé, de son côté, Mohamed, retraité dans une boîte de communication à Jakarta. «Vous avez des héros qui ont combattu avec peu de moyens la France. Ils ont magistralement marqué leur passage dans cette vie», tient-il à préciser. «Je n'ai jamais vu une guerrière telle que Djamila Bouhired», ajoute-t-il plus loin. En effet, le film qu'a consacré le grand Youssef Chahine à la vie de la militante et résistante
algérienne Djamila Bouhired, diffusé durant plusieurs mois en Indonésie, sous le nom de Djamila l'Algérienne, a fait connaître la notoriété de cette combattante hors frontières.
Des témoignages et des hommages de la part d'une nation très lointaine qui réconfortent nos héros, eux qui, en réalité, n'ont pas vraiment besoin de reconnaissance car leur cause demeure et demeurera des plus nobles.


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