La Palais du gouvernement Cette tendance à chercher les compétences ailleurs que parmi les partis de la majorité aboutit à terme à la «dépolitisation» de la fonction de ministre de la République. Qu'est-ce qui cloche dans la scène nationale pour qu'un large remaniement ministériel se fasse en dehors des instances élues de la République? Il faut dire qu'à l'exception du ministre des Relations avec le Parlement, Abdelmaklek Sellal a été chercher ses ministres du côté de l'élite technocrate du pays. Directeurs d'instituts scientifiques, hauts cadres de l'administration, pour beaucoup de personnalités, présentées, hier, à l'opinion publique, nombreux sont certainement compétents et le prouveront sur le terrain. Mais force est de constater, qu'en dehors du patriotisme qu'ils partagent avec l'ensemble de la communauté nationale, les nouveaux ministres ne peuvent prétendre à un quelconque enracinement idéologique. En d'autres termes, ils ne sont ni de droite ni de gauche. Quand bien même ils aient une sensibilité politique, ils n'ont pas été pris au gouvernement pour leur penchant politique ou partisan. Ils ont une mission technique et un temps limité pour parvenir à des objectifs précis. Pour les politiques, ce genre de profil risque de couper le gouvernement de la société. Cette tendance à chercher les compétences ailleurs que parmi les partis de la majorité au pouvoir, met la société pensante au-devant de la scène, mais aboutit, à terme, à la «dépolitisation» de la fonction de ministre de la République. Le gouvernement, qui tourne avec une représentation partisane quasi symbolique, prend ainsi le risque de donner à l'opinion nationale un signal assez peu flatteur du personnel politique du pays. Et pour cause, en écartant les cadres des partis politiques dans la confection de la liste des ministrables, le chef de l'Exécutif décrédibilise l'institution législative, réduite à voter des lois et vraisemblablement impuissante à fournir à la République des cadres capables de défendre des idéaux au gouvernement. En effet, la différence entre un bon technocrate et un bon politique tient dans le contact permanent que garde ce dernier avec le peuple, pour la simple raison qu'il sollicite régulièrement son suffrage. De plus, un programme de gouvernement, c'est d'abord une série de principes politiques et une vision idéologique qu'un ministre politique peut parfaitement interpréter. Or, la configuration actuelle du gouvernement fait ressortir un minimum de membres de l'Exécutif qui ont la double casquette de managers et de responsables dans une formation politique. La double allégeance n'est pas si mauvaise lorsque le cadre qui l'assume, sait faire la part des choses. La démarche de Abdelmalek Sellal traduit-elle une volonté d'ôter toute idéologie de la fonction ministérielle, où est-ce l'absence, parmi le personnel politique, d'hommes ou de femmes aptes à assumer la double casquette? Cette interrogation est de mise lorsqu'on se remémore le passage au gouvernement de certains ministres partisans qui avaient fait très mauvaise impression. De plus, il semble que le renouvellement des élites politiques soit bloqué, au sens où l'on voit élections législatives en élections législatives et de locales en locales, la qualité des candidats n'est pas ce qu'on pourrait qualifier de «crème» de la scène politique. L'obligation d'introduire l'élément féminin pour un tiers dans les listes de candidatures a montré toute l'incapacité de la machine partisane à recruter des femmes aptes à représenter des partis politiques. L'on a ainsi vu sur les listes électorales et des élues à l'Assemblée populaire nationale et aux Assemblées locales, dont le profil ne pourrait en aucun cas être compatible avec l'exercice d'une responsabilité politique. Ce qui est valable pour les femmes l'est aussi pour les hommes. La sous-représentation politique dans les instances élues de la République a fait en sorte que le pouvoir législatif, en principe l'émanation de la volonté politique des partis, au pouvoir et dans l'opposition, ne produise plus des élites dignes de ce nom. Le refus, apparemment chronique, des universitaires à embrasser une carrière politique oblige le gouvernement à aller les chercher là où ils sont, c'est-à-dire, dans la haute administration ou dans les centres universitaires, voire dans le monde de l'économie. Cet état de fait conduit les deux pouvoirs, exécutif et législatif, à ne pas interagir, ce qui est un non-sens dans un pays qui aspire à développer la bonne gouvernance et la démocratie. Cette séparation, qui semble s'inscrire dans la durée, débouchera sur une situation assez particulière où l'exercice du pouvoir exécutif ne relèvera pas d'un positionnement politique au départ d'une carrière. A moins que les partis politiques ne parviennent à convaincre de vraies compétences pour en faire leur fer de lance pour arriver au pouvoir par l'entremise d'un programme politique dont elles seront convaincues du fondement idéologique; la contradiction n'est pas prête à être levée.