Le Premier ministre Manuel Valls a utilisé une formule propre à la droite «La barbarie n'appartient pas à la préhistoire de l'humanité, elle est l'ombre qui l'accompagne à chaque pas.» Alain Finkielkraut Le spectre de la peur est agité suite à l'attentat dans des conditions troubles en Isère. Le Premier ministre Manuel Valls a évoqué la lutte contre le terrorisme, employant le terme de «guerre de civilisation» lors de l'émission Le «Grand Rendez-vous» d'Europe 1-ITele-Le Monde. Il a cependant précisé: «Ce n'est pas une guerre entre l'Occident et l'islam.» «Nous ne pouvons pas perdre cette guerre parce que c'est au fond une guerre de civilisation. C'est notre société, notre civilisation, nos valeurs que nous défendons» «Ce n'est pas une guerre entre l'Occident et l'islam», a-t-il insisté. Cette «bataille se situe aussi, et c'est très important de le dire, au sein de l'islam. Entre d'un côté un islam aux valeurs humanistes, universelles, et de l'autre un islamisme obscurantiste et totalitaire qui veut imposer sa vision à la société». (1) Est-ce la réalité? Les citoyens français pour certains de confession musulmane sont montrés du doigt et des amalgames peuvent être faits par ceux qui ne veulent pas la paix en France. Les réactions A droite justement, c'est l'euphorie. La formule de «guerre de civilisation» n'a rien d'anodin. Et elle avait été utilisée, après les attentats de janvier à Paris et au Danemark en février, par Nicolas Sarkozy. L'ancien chef d'Etat expliquait que les attentats relevaient «d'une guerre déclarée à la civilisation. Au parti Les Républicains on se réjouit que le Premier ministre utilise ce terme, estimant que Manuel Valls fait désormais preuve de «réalisme». Cependant, la formule n'a pas fait mouche parmi les centristes ou au Front national. «Ce n'est pas une guerre de civilisation, c'est une guerre de la barbarie contre la civilisation.» «Je ne partage pas cette vision héritée de George W. Bush», déclare le député PS Pascal Cherki, Julien Dray (PS) fustige «l'amalgame idéologique» de Manuel Valls L'emploi de la notion de guerre de civilisation par Manuel Valls fait craindre au secrétaire national du PS qu'elle encourage une division encore accrue de la société française «Il n'y a pas de guerre de civilisation'. ́ ́Mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde ́ ́, disait Camus», cite Julien Dray. «Il faut éviter la peur. Parce que chacun va assimiler son voisin à un djihadiste présupposé, chacun va assimiler toute une communauté à une menace. Le moment aujourd'hui, implique de savoir raison garder. Parce que les premières victimes du djihadisme, ce sont d'abord les communautés musulmanes dans différents pays», Pour combattre le salafisme, j'ai besoin des musulmans, et de toute la communauté française rassemblée». Pour le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis. «Manuel Valls a raison: les fanatiques islamistes veulent la guerre de civilisation.» Pour Abdellah Zekri président de l'Observatoire de lutte contre l'islamophobie.: «Ces propos sont inqualifiables et insoutenables. Il a parlé dernièrement d'islamofascisme et là, il récidive. Manuel Valls parle de guerre de civilisation, il faut qu'il définisse et explique contre quelle civilisation il veut faire la guerre. Avec ses dires, il a choqué les musulmans de France et à travers le monde. S'il veut combattre Daech et le terrorisme, il a besoin des musulmans qui pensent que l'islam est une religion de paix et de tolérance. Je pense que le président de la République devrait se prononcer à propos des déclarations de son Premier ministre pour essayer de ramener l'apaisement. (...) Il y a, certes, des lieux de culte salafistes et des salafistes qui sont présents en France. Le Premier ministre et son ministre de l'Intérieur passent leur temps à dire qu'il y a 150 lieux de prières tenus par les salafistes. Qu'est-ce qu'ils attendent pour fermer ces lieux et pour expulser ces gens chez eux? (...) La France et les USA ont une part de responsabilité dans ce terrorisme latent qui est en train de déstabiliser certains pays et la première victime est le monde musulman et non le monde européen. (...) C'est plutôt le comportement de certains musulmans de France qui est choquant. Est-il juste qu'ils prient tarawih sur la voie publique avec des haut-parleurs alors qu'aucune église n'est autorisée à organiser les messes selon le rite chrétien dans un pays musulman?» (3) Le Choc des civilisations Le Choc des civilisations (The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order) est le titre d'un ouvrage de l'Américain Samuel Huntington, professeur à Harvard, paru en 1996 Le projet de Huntington est d'élaborer un nouveau modèle conceptuel pour décrire le fonctionnement des relations internationales après l'effondrement du bloc soviétique à la fin des années 1980. Il s'appuie sur une description géopolitique du monde fondée non plus sur des clivages idéologiques «politiques», mais sur des oppositions culturelles plus floues, qu'il appelle «civilisationnelles», dans lesquelles le substrat religieux tient une place centrale, et sur leurs relations souvent conflictuelles. Après la guerre froide, le modèle bipolaire n'est plus pertinent pour expliquer la nature des relations internationales et d'autres modèles ont émergé. Le modèle le plus célèbre est celui de Francis Fukuyama qui a avancé la thèse de la fin de l'histoire, il défend l'idée que la progression de l'histoire humaine, envisagée comme un combat entre des idéologies, touche à sa fin avec le consensus sur la démocratie libérale qui tendrait à se former après la fin de la Guerre froide». (4) «Mais pour Huntington si le monde est devenu différent après la chute du mur, il n'est pas devenu pacifique et l'harmonie n'est qu'une illusion déjà rencontrée à la fin de la Première Guerre mondiale avec le concept de «der des der» qui n'a pas empêché la montée du fascisme et des nationalismes ayant débouché sur la Seconde Guerre mondiale qui elle-même a engendré la guerre froide.(...) Pour Huntington, les civilisations ont toutes pour origine une grande religion qui en a formé le socle moral et politique». (4) La débâcle du Monde arabe n'est pas liée à l'Islam «Depuis la chute de l'empire soviétique, écrivais-je en 2009 il est apparu que la guerre froide, n'ayant plus raison d'être, des idéologues américains ont cherché et trouvé «un Satan de rechange». Ceci a donné lieu après l'invasion de l'Irak, à l'avènement d'un «Nouvel ordre mondial» à des floraisons d'étude. Cela va de «La Fin de l'histoire» de Francis Fukuyama, à Samuel Huntington avec «Le Clash des civilisations» qui désigne le péril vert et le péril jaune comme adversaires de la civilisation judéo-chrétienne. L'Islam, «Le tiers exclu de la révélation abrahamique» est le bouc émissaire des maux actuels de l'Occident. Une étude de The Pew Forum on religion & public life sur les musulmans du monde, intitulée Mapping the Global Muslim Population est édifiante. Si l'on compte 1,57 milliard de musulmans (23% de la population mondiale), l'Asie représente la plus grande proportion d'entre eux, soit plus de 60% du total. Les quatre pays les plus peuplés de musulmans sont, dans l'ordre: l'Indonésie (202 millions), le Pakistan (174 millions), l'Inde (160 millions) et le Bangladesh (145 millions). Le pays arabe le plus peuplé de musulmans n'arrive qu'en cinquième position, c'est l'Egypte (78 millions). L'Afrique du Nord et le Proche-Orient ne comptent que 315 millions de musulmans (20% du total), suivis de l'Afrique subsaharienne (240 millions) (5) «Quels sont les rêves secrets des Musulmans? Un ouvrage important écrit par John L. Esposito, un des meilleurs spécialistes américains de l'Islam, et Dalia Mogahed, une analyste travaillant Who speaks for Islam? What a billion muslims really think («Qui parle au nom de l'Islam?»). Alain Gresh, qui le présente, écrit: «Cet ouvrage s'appuie sur une très large enquête d'opinion, à travers plus de 35 pays et plus de 90% des 1,3 milliard de musulmans. «Les musulmans n'ont pas une vision monolithique de l'Occident. Ils jugent les différents pays en fonction de leur politique, pas de leur culture ou de leur religion. Leur principal rêve est de trouver du travail, pas de s'engager dans le djihad. Ceux qui approuvent des actes de terrorisme sont une minorité et cette minorité n'est pas plus religieuse que le reste des musulmans. Ce que les musulmans admirent le plus dans l'Occident, c'est sa technologie et la démocratie; ce que les musulmans condamnent le plus en Occident, c'est la «décadence morale» et la rupture avec les valeurs traditionnelles (dans des proportions similaires à celles des... Américains). Les femmes musulmanes veulent à la fois des droits égaux et le maintien de la religion dans la société alors qu'elles admirent certains aspects de l'Occident, elles n'adoptent pas toutes les valeurs de l'Occident. La majorité ne veut pas que les dirigeants religieux aient un rôle direct dans l'élaboration des Constitutions, mais est favorable à ce que la loi religieuse soit une source de la législation. Pour beaucoup, l'Islam 'est une boussole mentale et spirituelle qui donne un sens à la vie, les guide et leur donne de l'espoir.» (5) «Les auteurs montrent les changements de la situation des femmes depuis quelques décennies, avec leur intégration massive dans l'éducation (notamment au niveau de l'université). Elles veulent toutes plus de droits et notamment l'égalité juridique avec les hommes, le droit de vote en dehors de toute pression familiale, la possibilité de travailler à n'importe quel poste en fonction de leur qualification (c'est notamment le cas de 76% des Saoudiennes). Pourtant, quand on leur demande si adopter les valeurs occidentales ferait avancer leur cause, seules 12% des femmes indonésiennes, 20% des Iraniennes et 18% des Turques sont d'accord. Elles pensent que l'attachement à leurs valeurs spirituelles et morales est un élément important dans les progrès que leur situation doit connaître. 'Travailler pour le progrès des femmes en s'appuyant sur la charia plutôt qu'en l'éliminant est un thème qui renaît dans les sociétés musulmanes contemporaines''.» (5) La réalité du monde: le grand échiquier Une toute autre thèse que celle de Huntington et qui a été le bréviaire ds néoconservateurs sionistes est celle de Zbigniew Brezinski dans son ouvrage «Le Grand échiquier». Pour Gérard Chalian directeur du Centre d'étude des conflits, qui a préfacé l'ouvrage: «Le choc des civilisations est un thème ancien. À la veille de la Première Guerre mondiale, lorsque l'Europe dominait le monde, celle-ci s'inquiétait déjà du «péril jaune». Pourtant, depuis deux siècles au moins, l'histoire était faite par les «Blancs» et leurs rivalités constituaient, tant en Europe qu'outre-mer. L'essentiel des relations internationales. De 1792 à 1945, militairement, la supériorité des Européens est quasi absolue comme le montre aussi bien l'expédition de Bonaparte en Egypte que le recul continu de l'Empire ottoman. Seul le Japon, en empruntant les techniques occidentales, parvient en 1905 à battre la Russie. Aujourd'hui, le retour sur la scène internationale de ce qu'on appelait le tiers-monde ramène l'attention sur des civilisations tenues, hier encore, pour négligeables sur le plan des rapports de force.» (6) «En désignant désormais les civilisations comme les protagonistes de l'histoire, Samuel Huntington semble oublier que le triomphe persistant de l'idée occidentale de l'Etat-nation établit des divisions et des rivalités à l'intérieur même des civilisations. N'est-ce point toute l'histoire de l'Europe depuis au moins le XVIIIe siècle? Comment peut-on considérer l'islam comme un adversaire global dans un monde où s'opposent la Syrie et l'Irak, l'Arabie saoudite et l'lran, le Maroc et l'Algérie? Où même cinquante années d'antagonisme aigu avec Israël n'ont pu susciter l'unité arabe autrement que de façon circonstancielle?» (6) «Les Etats-Unis ne sont-ils pas, depuis longtemps déjà, les alliés de la Turquie, de l'Indonésie, du Pakistan, de l'Egypte, de la Jordanie? L'inimitié de l' Irak, de la Libye ou du Soudan et de quelques mouvements extrémistes, suffisent-ils à fonder une hostilité structurelle avec l'islam? Hier fondé sur la race (péril jaune), le fantasme aujourd'hui s'est transposé sur le religieux. Quant aux confucéens, personne n'ignore les antagonismes multiséculaires entre le Viêtnam et la Chine ou plus récemment entre la Corée et le Japon. Le livre de Samuel Huntington a certes d'autres vertus, mais sa thèse centrale repose sur cet amalgame. Rien de tel chez Zbigniew Brezinski. Les Etats-Unis règnent comme superpuissance unique et l'avenir se joue sur la scène eurasiatique où ils sont pour une durée indéterminée en position d'arbitre. Aucun Etat ne pourra au cours des 30 prochaines années disputer aux Etats-Unis la suprématie dans les quatre dimensions de la puissance: militaire, économique, technologique et culturelle.» (6) C'était il y a 20 ans depuis, l'ascension fulgurante de la Chine a suscité des inquiétudes à Washington, parce que la Chine est une menace pour ses voisins et pour les intérêts nationaux américains. L'ancienne secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, avait déclaré avec raison «La politique future sera décidée en Asie, pas en Afghanistan ou en Irak, et les Etats-Unis seront en plein coeur des évènements», Magazine Foreign Policy. L'impasse radicale du modèle néolibéral Parler de guerre de civilisation dénote une méconnaissance réelle des grands enjeux du monde. Le vrai problème qu'on occulte est un problème de prédation planétaire. Tout est bon pour créer le chaos. Si Daesh prospère c'est que quelque part on le laisse faire et on l'encourage d'une façon indirecte quand le pétrole irakien à 30 dollars en Turquie à des intermédiaires européens. Le vrai problème c'est que nous allons à un chaos voulu, entretenu, encouragé, structuré pour que les personnes, notamment du Sud, passent leur temps à chercher ce qu'elles sont plutôt qu'à aller à la conquête de la science. Il n'est que de lire le Rapport Lugano. C'est en fait le capitalisme triomphant qui fait son miel du malheur du monde et principalement de l'Islam arabe, les autres Islam qui représentent plus de 80% ne sont pas concernés. Parler de guerre de civilisation ne veut rien dire car les valeurs de la tolérance, de liberté, les droits humains ne sont pas qu' occidentales et peuvent être revendiquées par tous les citoyens du monde. Comment ne pas donner crédit à un rapport secret «le rapport Lugano», conçu par des experts américains. Dans cette apocalypse annoncée et qui selon le juste mot de Susan George, les experts sont les légionnaires de la mondialisation, il est recommandé aux grands de ce monde, de favoriser dans les pays vulnérables l'émiettement identitaire et la fragmentation, de telle façon «à ce que les intéressés passent plus de temps à se demander ce qu'ils sont que de se mettre au travail».(7) Les musulmans en France sont d'abord des citoyens français à part entière; l'Islam de France ou encore l'Islam gallican pour reprendre la belle expression de Jacques Berque pourrait être un référent. Les cités ou ghettos, le chômage et l'assistanat sont autant de vecteurs d'émiettement de la République qui doit prouver encore et toujours sa forte volonté intégratrice et prôner plus que jamais le désir d'être ensemble pour constituer Une nation. 1.Anne-Laëtitia Béraud http://www.20minutes.fr/politique/1641275-20150628-quand-manuel-valls-utilise-terme-guerre-civilisation#xtor=RSS-176 2.http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/couacs/2015/06/28/25005-20150628ARTFIG00154-guerre-de-civilisation-julien-dray-fustige-l-amalgame-ideologique-de-manuel-valls.php 3.http://www.tsa-algerie.com/20150629/ france-manuel-valls-a-choque-les-musulmans/ 4. Le choc des civilisations; Encyclopédie Wikipédia 5.Chems Chitour:http://panier-de-crabes.over-blog.com/article-la-debacle-du-monde-arabe-l-islam-est-il-responsable-37991378.htmll 6.Gérard Chalian: Préface de l'ouvrage de Zbigniew Brezinski: «le Grand échiquier» 7.http://www.monde-diplomatique.fr/2000/ 05/GEORGE/2263