Ghâr Hira, la grotte de Hira dans le djebel Noûr. C'est là que Mohammed (QSSSL) a reçu la toute première sourate de la Révélation Nous vivons dans un monde où trop souvent le regard de l'Autre est scrutateur, sélectif, à tout le moins, soupçonneux, quand il ne vire pas franchement au délit de faciès et, le cas échéant, à l'«islamophobie», terme apparu au début du xixe siècle. Il n'est pas question ici d'analyser ce dernier concept ni d'examiner ses définitions nombreuses ni les sens multiples qu'il recouvre. Dans la lecture de l'ouvrage intitulé La Vie de Mahomet (*) d'Emile Dermenghem (Lire L'Expression du mercredi 24 juin, du mercredi 1er juillet et du mercredi 8 juillet 2015), nous nous intéressons dans la présente quatrième partie au chapitre IX dont le titre «Christianisme et Islam» tombe bien avec l'actualité. La fin du mois sacré de Ramadhâne approche et l'opinion politique dans le monde d'aujourd'hui et l'opinion tout court s'amplifiant, causent de la religion musulmane, abondamment, différemment, diversement. Bien sûr, n'est pas nouveau, ce qu'il en est, et dans la nature de l'opinion et dans les bonnes volontés de tisser une oeuvre commune capable de sauvegarder le fameux et très fragile engagement mutuel du «Vivre ensemble», - en somme rien, de toutes les espérances formées, ne perce heureusement à l'horizon. Eloges des chrétiens En épigraphe à son chapitre IX («Christianisme et Islam), l'auteur Emile Dermenghem place ce fragment de verset coranique: «...Ceux qui sont les plus proches de l'amour des musulmans sont ceux qui disent: ´´En vérité, nous sommes chrétiens.´´ C'est parce qu'ils ont des prêtres et des moines et qu'ils ne sont pas orgueilleux (Coran, V, 85).» Ce même fragment de verset coranique est, par Régis Blachère, un immense orientaliste arabisant chrétien, ainsi traduit: «... Les gens les plus proches de ceux qui croient, par l'amitié, sont ceux qui disent: ´´Nous sommes chrétiens.´´ C'est que parmi ceux-ci, se trouvent des prêtres et des moines et que ces gens ne s'enflent pas d'orgueil (Coran, V, 85/82).» [N.B.: Le premier numéro est celui de l'édition Flügel. Souvent utilisée en Europe; le second est naturellement celui de l'édition du Caire.] Cet «amour» - ou cette «amitié» (dans le texte coranique, il s'agit de «mawadda», affection sincère, profonde) - est un signe d'éloge important des chrétiens; et Dermenghem le note et le rappelle en ce point d'histoire: «Les musulmans, qui avaient dû fuir La Mecque et les persécutions des Qoraïchites avaient trouvé asile en Abyssinie, dans les Etats chrétiens du Négus. Ce pays était alors à son apogée. Il avait une marine puissante et un commerce prospère. Il avait, nous l'avons vu, conquis pour quelque temps l'Arabie méridionale. Il était l'allié du puissant empire byzantin. Représentant du monothéisme, il a exercé un grand prestige sur l'esprit de Mahomet, il déclarait que les nègres avaient reçu en partage les neuf- dixième du courage, recommanda par la suite aux siens de ne jamais attaquer les premiers les Abyssins, et prit le deuil à la mort du Négus. Ce souverain accueillit avec bonté les exilés et les interrogea sur leur foi. - ´´Nous étions plongés dans les ténèbres de l'ignorance, lui déclara l'un d'eux. Jafar ben Abi Thâlib, cousin germain de Mahomet, nous adorions des idoles, nous ne connaissions que la loi du plus fort, quand Dieu a suscité parmi nous un homme de notre race il nous a appelé à professer l'unité de Dieu, à rejeter les superstitions. Il nous a ordonné de fuir le vice et de pratiquer la vertu, d'être sincères, fidèles, bienfaisants, chastes. Il nous a fait faire la prière, l'aumône, le jeûne. Nous avons cru en sa mission.´´ Cependant les Qoraïchites envoyèrent en Abyssinie des ambassadeurs, Amer ben el Aci, le poète, et Abdallah ben Rabia, pour demander au Négus de livrer les fugitifs musulmans. Le roi fit venir ceux-ci dans son palais, en présence des ambassadeurs, ainsi que des notables de sa cour et des évêques du pays. Interrogé sur les doctrines qu'il professait, Jafar récita de mémoire la XIXe sourate du Coran intitulée Marie. Il dit comment Dieu donna, contre tout espoir, au vieux Zacharie un enfant, Jean-Baptiste (Yahia) et devint muet pendant trois jours. Puis il raconta l'annonciation de l'ange Gabriel à la Vierge Marie et la naissance merveilleuse de Jésus (Isa). En entendant ce récit quasi tiré de l'Evangile, les évêques abyssins s'émerveillèrent en disant: ´´En vérité, voilà des paroles qui émanent de la même source que celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ.´´ Amr et Abdallah ne voulurent pas s'avouer vaincus et conseillèrent au Négus de demander aux musulmans, le lendemain, ce qu'était selon eux exactement ce Jésus. Et le lendemain, Jafar que selon Mahomet, Jésus (sur lui la prière et la paix!) était ´´le serviteur de Dieu, l'envoyé du Très-Haut, le Verbe et l'Esprit de Dieu, descendu dans le sein de la Vierge Marie´´. - ´´En vérité, s'écria alors le Négus transporté de joie et traçant de son bâton une ligne sur la terre, il n'y a entre votre loi et la nôtre pas plus d'espace que ce petit trait! L'intervalle, hélas! s'est élargi au cours des siècles, le trait imperceptible est devenu en apparence un infranchissable fossé.´´ Le Négus refusa énergiquement l'extradition des musulmans et ne cessa de leur témoigner la plus grande bienveillance.» [À cette étape historique du récit, on ne peut s'empêcher de se rappeler le rôle humainement glorieux de l'Emir Abd el Kader, homme de foi et de piété, le soufi total. Abraham, le père de tous les croyants Lors des troubles de Damas, qui, en 1860, opposèrent les musulmans druzes et les chrétiens syriens maronites protégés par la France. Abd el Kader, installé à Damas alerta les autorités françaises et ouvrit sa maison aux consuls et à tous les réfugiés chrétiens. Il écrit dans son Dhikrâ-al-âqil wa tanbîh el ghâfil, Rappel à l'intelligent, avis à l'indifférent: «Si les musulmans et les chrétiens avaient voulu me prêter attention, j'aurais fait cesser leurs querelles: ils seraient devenus, extérieurement et intérieurement, des frères.» (K. M'H., La jeunesse de l'émir Abd el Kader, éd. OPU, Alger, 2004)] Emile Dermenghem écrit encore: «L'on sera peut-être étonné, après tous les malentendus qui se sont élevés depuis des siècles entre les deux religions, de voir un tel accord entre l'Islam naissant et le christianisme. La chose n'en est pas moins certaine. Mahomet s'est considéré [...] comme un des nombreux prophètes, chargé d'appeler son peuple au monothéisme et de lui apporter dans sa propre langue un livre conforme au Pentateuque, aux Psaumes, à l'Evangile, qu'il cite souvent comme des livres révélés.» L'auteur évoque le milieu mecquois de l'époque préislamique. Il cite «les hanifs comme Zeid, les moines nestoriens comme Bahîra (si légendaire que l'histoire de ce dernier dans la tradition musulmane, elle n'en représente pas moins quelque chose de réel), les chrétiens de La Mecque, comme Waraqa qui ont éveillé sa conscience religieuse dès avant sa mission, et auprès desquels il chercha ensuite, mais sans grand résultat, semble-t-il, car ils étaient assez ignorants, à se documenter. Les chrétiens dont les diverses églises encerclaient l'Arabie avaient même pénétré, mais en masses moins compactes au coeur de la péninsule. [...] Mahomet avait pu connaître un grand nombre de chrétiens dans sa ville natale même. D'abord les esclaves qui étaient pour la plupart Abyssins. Puis des Byzantins, des Coptes et des Arabes de tribus chrétiennes. Il s'asseyait souvent à Marwa, près de l'atelier d'un fabricant de sabres, le Grec Tabr, esclave de Amir ben el Hadhramî, pour le compte duquel cet artisan travaillait avec son compagnon Yasâr, autre chrétien du pays des Roums. Les Qoraïchites déclaraient que c'était ce jeune homme qui inspirait le Prophète. La langue de celui qu'ils indiquent est une langue étrangère, répliquait le Coran, tandis que le Coran est en pur arabe. Mais Mahomet ne niait pas se documenter auprès des chrétiens, quant au fond, sur les récits bibliques.» Mohammed avait un contact humain aisé, une curiosité et une attention très vive pour apprendre «la psychologie sociale». Pourtant, «Depuis quelque temps, souligne Dermenghem, Mahomet négligeait un peu les affaires [...] Pendant, le mois de ramadhan surtout, il se retirait aux environs de la ville, dans une caverne du mont Hira, où l'on venait de temps en temps lui apporter des provisions, passant de longs jours à réfléchir et à prier. [...] On l'imagine dans les gorges austères et desséchées de Hira, étendu sur un rocher dominant la plaine et la ville accrochée aux ravins du djebel Abi Qoubbaïs. Le soir tombe. [...] Il voit monter les premières étoiles. [...] Certes, il y a des signes dans le ciel pour ceux qui savent comprendre? [...] Mahomet subit une crise. C'est dans la solitude des montagnes qu'il vient chercher une solution. [...] Il a des doutes sur la sagesse des hommes. Il ne peut admettre que la vérité, la vérité incontestable. (...] Le ramadhan venu, Mahomet multiplia les veillées solitaires dans les gorges du mont Hira. [...] Une nuit Mahomet s'endormit dans une caverne. Soudain, l'être mystérieux qui était déjà venu le visiter apparaît, tenant à la main une pièce d'étoffe de soie couverte d'écriture. - ´´Iqra', lui dit-il: Lis!´´ - ´´Je ne sais pas lire.´´[...] l'ange a confirmé ce qui est l'essence de ses pensées depuis des mois: Dieu a créé l'homme et lui a révélé les vérités qui dépassent son intelligence naturelle.» Emile Dermenghem a cette réflexion générale: «Il [Le Coran] rappelle, confirme, précise et chante magnifiquement en arabe certains points de l'ancienne révélation. Il entrevoit la future union dans le sein d'Abraham, ´´qui n'était ni juif, ni chrétien, mais soumis à Dieu´´, d'Abraham, le père de tous les croyants.» L'Islâm est soumission spirituelle à Dieu Très-Haut: «Rien n'est à Sa ressemblance. Il est l'Audient, le Clairvoyant (Coran, XLII, 11).» De fait, la conscience religieuse de Mohammed (QSSSL) s'était éveillée bien avant sa mission, avant d'être «envoyé aux Hommes comme Annonciateur et Avertisseur. Mais la plupart des Hommes ne savent point (Coran XXXIV, 28).» À mes lecteurs musulmans je dis: «Çahha ciyâmkoum, Que Dieu agrée votre Jeûne et Îd el fitr moubârak, Bonne fête de la rupture du Jeûne.» (*) La Vie de Mahomet d'Emile Dermenghem, Editions Charlot, Alger, 1950, 326 pages.