Pourtant tous les procès intentés par les victimes des exactions des Massu, Aussaresses et consorts ne connaîtront jamais de suite. La pratique systématique de la torture durant la guerre d'Algérie est reconnue par ceux-là mêmes qui l'avaient incarnée. Poursuivis par les fantômes de leurs victimes, ils tentent aujourd'hui de justifier des pratiques, menées pourtant avec la bénédiction des politiques. Massu, Aussaresses, Shmidt et Bigeard, continuent de mépriser la mémoire de leurs victimes en faisant état de la pratique à grande échelle de la torture. Des propos qui frisent la provocation. L'un d'eux, en l'occurrence Paul Aussaresses, qui occupait en 1957 le poste de commandant coordinateur des services de renseignement à Alger, n'éprouve aucun remords quand il évoque la manière dont ont été liquidées des centaines d'Algériens dans la Zone autonome d'Alger. «Je me suis résolu à la torture... J'ai moi-même procédé à des exécutions sommaires...si c'était à refaire, je le referais», dit-il dans son ouvrage «Services spéciaux, Algérie 1955-1957» Il avait admis avoir lui-même exécuté «24» Algériens. Des aveux accablants Le «commandant O», comme l'appelait l'historien Yves Courrier dans son ouvrage La guerre d'Algérie, est allé même jusqu'à détailler les conditions dans lesquelles furent exécutés les chahids Larbi Ben M'hidi et Ali Boumendjel. Il a révélé les noms des responsables politiques de l'époque qui étaient impliqués dans les actes de torture, comme Max Lejeune, Guy Mollet et surtout l'ancien président français, François Mitterrand. Ce dernier avait d'ailleurs, en sa qualité de ministre de la Justice et garde des Sceaux proposé en 1956 la loi qui donnait tous les pouvoirs aux militaires en matière de justice. Ce qui d'après son ancien conseiller, Jacques Attali, était «la seule erreur de sa vie». La torture n'était pas le seul crime contre l'humanité commis par la France coloniale, puisque d'après les témoignages d'un journaliste du quotidien La Croix, reprenant les déclarations de Jacques Chevalier, maire d'Alger de l'époque, le nombre de personnes disparues était de l'ordre de 5000. Ce qui dénote le caractère officiel de la pratique de la torture. Même les avocats ne sont pas admis pour assister les personnes interpellées. Pis, ces hommes de loi ont même payé de leur vie leur engagement pour la défense des droits de l'homme. Dans la tristement célèbre villa Susini, des centaines d'hommes et de femmes sont torturées à mort par les paras. Un fait reconnu par le général Jacques Massu, chef de la 10e division de parachutistes, qui estime que si la France reconnaissait et condamnait la torture, je prendrais cela pour une avancée, tout en reconnaissant que «la torture avait été généralisée en Algérie. Elle a ensuite été institutionnalisée avec la création du CCI (Centre de coordination interarmées) et des DOP (dispositifs opérationnels de protection)» (journal Le Monde du 23 novembre 2000). Contrairement à l'autre sanguinaire Aussaresses qui refuse tout acte de repentance. Par ailleurs, d'après l'historien Benjamin Stora, «l'aveu d'Aussaresses sur l'assassinat de Larbi Ben M'hidi et de Ali Boumendjel et celui de Massu qui reconnaît avoir torturé durant la Bataille d'Alger, c'est énorme car c'est écrit noir sur blanc». Un élément qui permet à des organisations des droits de l'homme, aussi bien algériennes qu'étrangères, de déposer plainte auprès de la Cour pénale internationale pour crime contre l'humanité. Les faits sont là, et il ne restera plus qu'à les exploiter par les juristes. La France, qui a ratifié le 9 juin 2000 le traité créant la Cour pénale internationale, doit reconnaître ses erreurs et bannir le deux poids, deux mesures dans le traitement de ce dossier. Car, condamner Maurice Papon pour la déportation de juifs lors de la Seconde Guerre mondiale et non sa responsabilité dans les évènements du 17 Octobre 1961 à Paris est une attitude nettement disproportionnée. En outre, la pratique systématique de la torture a touché toutes les régions du pays. La création de centres de torture faisait partie de la stratégie de l'armée française. Des camps de concentration rappelant ceux de l'Allemagne nazie, sont ouverts pour «accueillir» des milliers d'Algériens, des potentiels «cobayes» pour les tortionnaires. Les méthodes de torture sont alors diverses : à la gégène venaient s'ajouter l'absorption forcée de plusieurs litres d'eau savonneuse à l'aide d'un tuyau placé dans la bouche de la pauvre victime, l'immersion dans une baignoire jusqu'à étouffement, la pendaison par les poignets durant des heures...et l'arrachage des ongles sont les pires formes de torture endurées aussi bien par les moudjahidine que par les populations civiles. Des femmes sont violées devant leurs maris et membres de leurs familles, une façon de casser leur moral et de se livrer pieds et poings liés au colonialisme Aucune voie de recours possible Des crimes d'une rare atrocité qui relancent le débat sur la responsabilité de l'Etat français dans les pratiques de torture pendant la guerre d'Algérie. Une France qui pourtant, vient de substituer au concept d'«évènements d'Algérie» celui de guerre d'Algérie. Une reconnaissance qui rend caduque la loi du 31 juillet 1968 portant amnistie de l'ensemble des crimes commis pendant la guerre d'Algérie. D'après ladite loi, «sont amnistiées de plein droit toutes les infractions commises en relation avec les évènements d'Algérie». A noter que la loi de 1968 n'a fait que confirmer deux décrets datant du 22 mars 1962, le premier portant sur les infractions commises au titre de l'«insurrection algérienne» et le second sur l'«amnistie de faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre dirigées contre l'insurrection algérienne». Il est donc clair que du moment que la France a reconnu avoir livré une véritable guerre au peuple algérien, elle doit aussi reconnaître les exactions commises contre ce même peuple. Plusieurs obstacles majeurs s'opposent donc, au déclenchement de poursuites judiciaires en raison de la loi de 1968 qui stipule que les crimes sont prescrits dix ans après les faits. Ce qui, toutefois, n'absout pas la France coloniale et ses bourreaux de leurs crimes les plus abjects. Le devoir de mémoire et surtout de justice envers les victimes des tortures et leurs familles, est plus que jamais d'actualité. D'autant plus qu'à l'ère de la refondation des relations algéro-françaises et à la veille de la conclusion, au courant de l'année prochaine, du traité d'amitié entre les deux pays, c'est-à-dire au lendemain du cinquantenaire du déclenchement de la guerre de Libération, la France doit reconnaître les tares de son passé colonial en demandant pardon au peuple algérien. Car arriver à considérer que «la torture faisait partie d'une certaine ambiance» (Massu au Monde du 22 juin 2000) illustre parfaitement la perversité des auteurs des exactions commises contre le peuple algérien, sans distinction d'âge ni de sexe. Pourtant, tous les procès intentés par les victimes des exactions des Massu, Aussaresses et consorts ne connaîtront jamais de suite. Pour cause, les autorités françaises avaient, en promulguant la loi de 1968, fait en sorte que les tortionnaires de l'époque ne tombent pas sous le coup d'une quelconque juridiction. Ainsi, les bourreaux des Ben M'hidi, Ighilahriz, Boumendjel et autres Algériens anonymes continueront à narguer leurs victimes, tant que la France officielle ne reconnaît pas ses crimes. Un génocide multiforme dont les victimes n'obtiendront peut-être jamais réparation.