A travers toute la Kabylie, des actions étaient signalées. Dans la Kabylie déjà depuis longtemps travaillé par les partisans, le 1er Novembre était en fait attendu depuis longtemps. Les bandes de ceux qu'on avait alors appelé les bandits d'honneur ont ouvert les yeux des fellahs qui comprirent que seule la violence révolutionnaire pouvait payer. Arezki El Bachir et plus tard, Oumeri, ont en fait tracé la voie. Les maquisards de l'Organisation spéciale qui, en Kabylie, n'ont en fait jamais désarmé, sous la houlette d'hommes comme Krim Belkacem, Amar Ouamrane et tant d'autres ont depuis 1947 sillonné par monts et par vaux la région expliquant ici, convainquant là, intervenant toujours pour essayer de resserrer les rangs des forces de libération nationale. C'est donc en terrain favorable que la première balle de novembre éclata en Kabylie! Alors que l'un des lieutenants de Krim Belkacem: feu Ali Zamoum, tirait dans une maison isolée d'Ighil Imoula la proclamation de Novembre! Celle-là qui commençait par «A vous qui êtes appelés à nous juger...». Des actions sont planifiées un peu partout en Kabylie. Il fallait que la nuit de novembre soit un réveil national et à la mesure du défi lancé. Distribuer le tract, le convoyer un peu partout et le faire lire et aussi faire le coup de feu tout en prévoyant des actions sur le long terme! Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, la nuit sacrée, des djounoud encore en très petit nombre mais tous aguerris par des années de maquis et des entraînement à la dure, armés soit de fusils de chasse ou encore, dans la plupart des cas, de pistolets et obéissant à un ordre unique, aller s'attaquer aux forces ennemies. L'Algérie indépendante était en marche. A Draâ El Mizan, à Azazga, à Iferhounen et ailleurs, des actions sont programmées. Des maisons cantonnières, des brigades de gendarmerie, des unités économiques étaient ciblées. Ainsi, à Azazga et plus précisément dans la forêt de Yakouren, un dépôt de liège a été la proie des flammes, l'un des hommes ayant guidé l'opération était le moudjahid Si Hocine appelé Petit-petit par ses amis à cause de sa taille. A Draâ El Mizan, la brigade de gendarmerie a été arrosée de balles, située en plein centre-ville, la brigade n'a pu être enlevée par la faible puissance de feu des assaillants et surtout parce que les ordres disaient bien qu'il fallait attaquer et non pas enlever la brigade. A Iferhounen, c'est la maison cantonnière qui était la cible des moudjahidine. A travers toute la Kabylie, des actions étaient signalées. La région versait ainsi dès le premier jour dans la lutte. Les fellahs n'en revenaient pas! Des hommes simples, des hommes qu'ils connaissaient ont osé le grand coup. Ce coup dont tout le monde rêvait! Les caïds et autres gardes-champêtres n'en croyaient pas leurs yeux ! Les Gueux étaient en marche! Les gendarmes ne voulaient pas trop y croire, même si tout démontrait que la chose était d'importance! Aussi, et dès le lendemain, les agents de la maréchaussée étaient sortis sur le terrain pour essayer de calmer les choses et surtout pour conforter les « amis de la France » ! Un peu plus tard, et après le recrutement de gendarmes auxiliaires, ce sera l'intervention des Gmpr : le groupe mobile de police rurale. En fait, un avant-goût des futurs harkas. Dans les villages, accrochés aux flancs du Djurdjura tôt acquis à la révolution, les moudjahidine trouvaient refuge et approvisionnements, l'organisation avait son nom qui commençait à faire le tour de la Kabylie: le FLN. Cette organisation n'avait rien à voir avec le vieux prisonnier à la barbe fleurie : Messali Hadj! Dans les gros villages où les «insurgés» n'avaient pas encore pu pénétrer, les gens du peuple ne comprenaient pas encore ce qui arrivait! Les plus politisés avaient encore en mémoire les «ratonnades» de mai 1945. Dans les villes comme Tizi Ouzou alors sous préfecture de province, on se disait dans les milieux européens qu'un bon coup de trique allait «nous donner une vingtaine d'années de tranquillité!». Dans la première nuit de novembre, le seul homme en Kabylie qui ne pouvait pas dormir était en fait le patron de la révolution en cette région: Krim Belkacem. Rompu à la vie de maquisard, il savait où était le défaut de la cuirasse. Comme il savait évidemment que la guerre serait longue et atroce et il se demandait si le peuple allait pouvoir soutenir le rythme et les souffrances exigés! Krim s'était entouré d'hommes capables, décidés et en mesure de consentir le sacrifice suprême pour la nation. Lui-même a délaissé une vie finalement aisée et même sa petite famille, pour le pays ! Dès les premiers jours, il demanda à Ali Zamoum, pour la région de Draâ El Mizan, de rédiger des télégrammes en direction des militants de l'OS, alors ouvriers en France, pour leur demander de rentrer et de rejoindre les rangs de la révolution. Un ancien maquisard se souvient du texte laconique que Zamoum écrivit pour chacun de ces militants: «Rentrez, d'urgence, mère gravement malade!» Certaines houillères du sud de la France se vidèrent en une semaine! Ce sont la plupart de ces mineurs devenus les soldats de l'honneur et de la patrie qui, avec Ouamrane allaient attaquer plus tard la caserne Bizot de Blida! Ces hommes «prêtés» par Krim, allaient porter le feu sacré dans ce qui sera plus tard la Wilaya IV historique. Un ancien maquisard rescapé de novembre et qui pense n'avoir fait que son devoir et donc refusant de se mettre en valeur dira avec beaucoup de retenue: «Au départ, nous n'étions qu'une poignée d'hommes, tous des anciens de l'OS, mais évidemment, peu armés. Quand nous nous introduisions dans un village et pour redonner confiance aux fellahs, les hommes passaient et repassaient devant eux pour faire croire que nous étions toute une armée!» Se taisant un peu comme pour se plonger dans le souvenir, il reprend: «Un fait est certain au soir du 31 octobre, l'ordre n'était pas de faire des embuscades mais plutôt de marquer la nuit! Des actions furent menées à travers la Kabylie, les unes ont réussi, d'autres non! Mais la région était désormais en marche et plus tard, elle devient l'un des coeurs palpitants de la révolution!» En fait, les hommes de novembre ont surtout axé leur travail sur la préparation. Petit à petit, les réseaux se mettent en place, les fellahs gagnés par le FLN à force d'explications, versèrent en nombre dans les rangs de la révolution. La Kabylie devint en moins de six mois le bastion de l'ALN et comme les monts Aurès, elle allait faire entendre le cri d'un peuple en quête de sa liberté ! Elle allait payer le tribut le plus cher, celui du sacrifice de milliers des siens pour la patrie! Aujourd'hui, chaque ravin, chaque bosquet, chaque colline et chaque rivière peuvent raconter les durs combats ayant opposé les forces de la libération nationale aux forces ennemies! Des centaines de maisons détruites, des villages entiers rasés, des milliers d'hommes tués et combien d'autres furent handicapés à vie! La Kabylie n'a plus rien à prouver de son nationalisme et de son héroïsme! Des pages entières ne sauraient suffire pour raconter les années indicibles de l'épopée libératrice. La région préfère dire qu'elle a fait son devoir!