Les luttes de tendances artistiques, les manifestes pathétiques et les idéologies esthétiques lui ont toujours été étrangers. La Première Guerre mondiale n'a joué aucun rôle dans son art, il l'a abhorrée et l'a ressentie comme une interruption absurde de son oeuvre. L'institut des relations étrangères de la République fédérale d'Allemagne présente, depuis avant-hier et ce jusqu'à la fin du mois, au palais de la culture Moufdi-Zakaria, la rétrospective des travaux de l'artiste Hermann Glöckner. Frappé d'interdit pendant quatre décennies, Hermann Glöckner s'accommodait de sa situation et créait imperturbablement. Auteur d'un concept artistique qui ne s'inscrivait ni dans l'expressionnisme ni dans le réalisme, deux mouvements majeurs de l'art allemand du 20e siècle, cet artiste est longtemps resté à l'ombre. L'avènement du nazisme et, plus tard, de l'idéologie socialiste, n'était pas pour l'aider à s'affirmer dans le paysage artistique de l'Allemagne. Traité d'art dégénéré, ce que faisait Glöckner n'était pas au goût nationalisé du führer. Dresde, où il vivait, est passée sous l'occupation soviétique. Une campagne contre les arts modernes le pénalisa. Ses oeuvres, à défaut de salles d'exposition qui lui restaient systématiquement fermées, s'amoncelaient dans sa modeste demeure. Marginalisé, il lui fallut attendre son 80e anniversaire, en 1969, pour que ses tableaux soient, une première fois, exposés publiquement. Bien qu'ayant suscité un conflit, l'événement en question permit à Glöckner de triompher de la censure. Désormais, il n'était plus possible de passer sous silence l'existence de l'art moderne en Allemagne. Les quatre-vingt huit toiles exposées au palais de la culture retracent l'oeuvre de l'artiste de 1909 à 1985, soit deux années avant sa mort. Toutes les phases créatives de Glöckner y sont rapportées. Aquarelles et dessins à la craie noire signent ses débuts. On est loin de ce qui fit de Glöckner le peintre marginal, mais déjà cette tendance architecturale de ramasser les détails et les ordonner en vertical ou, en horizontal, se fait sentir. La silhouette d'un moulin à vent est un motif dominant dans l'aquarelle de Glöckner. La Première Guerre mondiale n'inspire pas Glöckner contrairement aux autres artistes réalistes qui y trouvèrent de quoi alimenter des représentations souvent agressives comme le fit Otto Dix. Se côtoyant certes, ces deux artistes n'avaient pas pour autant la même approche de la guerre puisque Glöckner soutiendra: «Mon véritable travail artistique fut complètement interrompu par la guerre». Pour l'essentiel de l'oeuvre de cet artiste, il faudra attendre la fin des années 20. Une abstraction absolue où les constructions de formes géométriques se superposent. Les années 50 sont, elles aussi, très riches. Le constructivisme stérilement abstrait devient alors une recherche de l'esthétique. Les mariages de couleurs sont plus sobres, et les figures sont travaillées dans des constructions, bien que toujours abstraites, qui renvoient à la réalité, avec une constante attention aux profils humains. Pliage, impression avec ficelles et verre, Glöckner a, tout au long de sa carrière, puisé dans les matériaux les plus divers pour projeter ses observations dans une création physique qui aboutit à un travail purement artisanal. Cette caractéristique de la représentation graphique, bien propre à Glöckner, donne lieu à des constructions pouvant être qualifiées de simplistes si ce n'était le reste de son oeuvre. L'artiste allie, en fait, les fantasmagories les plus loufoques, en usant de matériaux qui n'aident en rien cet exercice, avec d'autres productions qui sont, elles, plus accessibles à la méditation. Les années 50 et 60 demeurent sans doute la période la plus intéressante de l'oeuvre de Glöckner. Après quoi, sénilité ou supraperception des courbes au crayon surgissent de haut ou de bas pour chuter ou s'envoler. L'interprétation de ces oeuvres du déclin d'un monsieur qui n'avait plus rien à prouver ne trouve leur juste expression que de la bouche de l'artiste: les courbes «peuvent signifier beaucoup de choses, ce sont des exercices de concentration... sorte de jeu qui procure le plaisir de vagabonder et d'inventer, en autre art de la fugue, image du mouvement infini ou symbole de la vie qui s'écoule». En plus d'être peintre, Glöckner était poète. Cette exposition s'envolera pour Oran le 22 septembre prochain. D'un intérêt artistique certain, l'initiative de l'Institut des relations étrangères de la République fédérale d'Allemagne est des plus louables. Elle permet, on s'en doute, aux amoureux de l'art pictural en Algérie de partir à la découverte de quelques influences artistiques venues d'ailleurs.