Le demi-centenaire a été l'occasion pour les anciens leaders d'une «totale réconciliation» de prendre le dessus. Les messages politiques lancés par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, à l'occasion du demi-centenaire du déclenchement de la Révolution, ont été à ce point clairs pour être ignorés. Aussi bien dans son discours que dans le choix de ses invités, la paix civile, la réconciliation nationale et même l'amnistie générale, pour laquelle il a pris position, figurent aux premières loges. Concernant l'amnistie générale contre ceux qui ont pris les armes, il a déclaré qu'il n'a aucun préjugé, mais qu'il préfère s'en remettre au peuple et aller vers un référendum. Lorsqu'on garde en ligne de compte que dans ce genre de consultations, les islamistes sont imbattables, l'on peut déduire que comme pour la concorde civile, votée à une écrasante majorité en septembre 1999, ce ne sera qu'une formalité. Cependant, les images les plus édifiantes ont été données par les invités du président: Ahmed Ben Bella et Abdelhamid Mehri. Avec le retour du leader du FFS, Hocine Aït Ahmed, on dirait qu'on assistait, avec un décalage de neuf ans, à un remake de Sant'Egidio. Aussi bien Ben Bella, qui paraît être investi d'un rôle politique auprès du président de la République, que Mehri et Aït Ahmed, ce sont là des hommes politiques, résolument, absolument et ostensiblement hostiles à toute approche militaire du problème posé par les islamistes et les groupes armés depuis 1992. Mieux, à tous ces hommes s'ajoutent deux autres qui semblent soudain revenir de loin et dont les efforts déployés à l'endroit du FIS ont été très critiqués à l'époque du «tout sécuritaire». Il s'agit de Liamine Zeroual et Mohamed Betchine, deux autres réconciliateurs, le président d'Etat et son conseiller, deux anciens généraux qui ont tenté, avant d'abdiquer, de faire pièce au groupe des «généraux éradicateurs», dont la politique du tout-sécuritaire (en fait, un «tout-répressif» sans faille) avait fait florès entre 1992 et 1998. Près de six années après son investiture, Bouteflika a complètement bouleversé les donnes. Fortement implanté au sein de la hiérarchie militaire et dans les pôles de décisions politiques, le groupe des éradicateurs constitué par les généraux janviéristes et certains leaders politiques comme Réda Malek, Saïd Sadi, Leïla Aslaoui, Sid Ahmed Ghozali, Hachemi Chérif, etc. (équipe très peu représentée au sein de la société mais très influente grâce à ses lobbyings et ses jeux de coulisse) a perdu pied depuis 1999. Le récent départ du général de corps d'armée Mohamed Lamari, considéré à tort ou à raison comme le porte-drapeau du groupe des éradicateurs, a fortement ébranlé ce conglomérat militaro-politique. A ce départ «contraint» s'est ajouté celui, tout aussi important, de Fodhil Chérif Brahim, vedette incontestée du contre-terrorisme depuis 1997 et commandant de la zone opérationnelle la plus sensible du pays, la 1re région militaire. La recomposition de la hiérarchie militaire avec notamment la nomination aux postes décisionnels d'hommes acquis à la politique du président de la République, a affaibli de manière inéluctable le clan des éradicateurs. Les «représentants politiques» de ce courant, amoindris par la disparition de leurs appuis militaires, ont affiché un profil bas. Même Ahmed Ouyahia, champion de l'anti-islamisme en tant que chef du RND, a souscrit à la «Paix globale» tracée par le chef de l'Etat et ne fait plus siennes les fameuses diatribes lancées à tout vent pendant de longues années. A la formule exclusion-éradication, le président de la République a préféré une autre, qui a fait florès dans les milieux occidentaux: récupération-réconciliation. Par petites touches, il a imprimé son credo sur la politique d'Etat et contraint ceux qui ne partagent pas ses soucis, tant des milieux politiques que dans la presse privée, qui s'était posée il n'y a pas très longtemps, en championne de l'exclusion et de l'éradication, du silence, au retrait ou aux brusques retournements d'opinion. Cependant - paradoxalement, serions-nous tentés de dire - les principaux concernés, les islamistes issus du parti dissous, affichent une royale circonspection.