La timidité dans la célébration du demi-siècle de la naissance de la nation tient sa raison essentielle dans la fracture, qui semble encore très présente, entre la classe dirigeante et la société. L'Algérie célébrera dans quelques jours le cinquantenaire du déclenchement de sa révolution. Un anniversaire d'une charge symbolique certaine, d'abord parce que l'on fête un demi-siècle de l'acte fondateur de l'Etat algérien et ensuite parce que la célébration de cet événement historique coïncide cette année avec un réchauffement, tout autant historique, des relations de l'Algérie avec l'ancienne puissance occupante du pays. Aussi le 1er-Novembre 2004 a-t-il une signification quelque peu particulière et passe pour être un virage important dans l'histoire de la nation. Celle-ci, sortant d'une spirale de violence sans précédent, vit cette période charnière comme une résurrection. Ainsi, l'Algérie s'apprête à fêter le cinquantenaire de sa révolution dans une ambiance sereine au plan politique, faste au plan financier, mais encore lourdement handicapée sur son volet socio-économique. Une situation susceptible de gâcher la joie des Algériens dans l'acte de commémoration d'une date, de loin, la plus rassembleuse des énergies de la nation. En effet, que l'on soit démocrate, nationaliste ou islamiste, le 1er-Novembre est réellement «le jour-phare» de toute la société algérienne. Cependant, cet anniversaire ne semble pas intéresser au plus haut point la grande masse des Algériens. Même si tout un chacun reconnaît la portée historique du déclenchement de la lutte armée pour l'indépendance du pays, nombreux sont ceux qui estiment que la nation n'est pas encore sur la voie de la concrétisation effective des idéaux de novembre. La majorité des citoyens ne donnent en tout cas pas l'impression de vouloir marquer ce cinquantième anniversaire dans le sens du renouvellement de «l'esprit de novembre», pour la simple raison qu'ils ne voient pas venir de signaux forts de la part de la classe dirigeante dans ce sens. Et pour preuve, les autorités centrales du pays, manquant sans doute d'imagination, semblent quelque peu en deçà de l'importance historique de l'événement. Aucune initiative digne de ce nom n'est venue «d'en haut» pour stimuler l'imaginaire du peuple et donner un sens constructif à cette date très hautement symbolique. En d'autres termes, il est clair que le cinquantième anniversaire ressemblera comme deux gouttes d'eau au quarante-neuvième. Le jour sera chômé et payé et le Journal télévisé de l'Entv ouvrira sur l'événement. Sans plus. Quant aux activités commémoratives que l'on signale ici et là à travers les quatre coins du pays, n'apportent pour ainsi dire aucune charge nouvelle à même de donner à la société matière à vouloir aller de l'avant pour justement concrétiser les idéaux contenus dans la Déclaration du 1er-Novembre. En fait, cette timidité dans la célébration du demi-siècle de la naissance de la nation, tient sa raison essentielle dans la fracture qui semble encore très présente entre la classe dirigeante et la société. Cette dernière qui, faut-il le signaler, a fait plus d'une fois montre d'un sens aigu de patriotisme dans les années les plus noires de l'histoire du pays, n'est pas disposée à accorder toute sa confiance aux gouvernants. L'Algérien moyen dont la conscience républicaine est très vivace, estime à tort ou à raison, que les politiques qui gèrent le pays ne sont pas à la hauteur. Cela est un fait constaté quotidiennement aux quatre coins de la République. Cherche déclic désespérément De son côté, le personnel politique, malmené par une situation qui le dépasse, ne trouve pas le moyen de développer un discours susceptible de rassembler les Algériens sur un Smig républicain. Et au lieu de développer un point de convergence sur le 1er-Novembre notamment, pouvoir et opposition, se disputent la symbolique de la date et s'accusent mutuellement de «déviationnisme». Résultat : la formidable opportunité qui est donnée aux Algériens de trouver l'énergie nécessaire pour croire en leur pays, est ainsi gâchée. Beaucoup de politiques occidentaux et autres se demandent comment se fait-il que l'Algérie fasse du surplace alors qu'elle dispose de tous les leviers nécessaires pour décoller sérieusement et s'imposer comme une nation prospère, avec en prime, le statut d'une puissance régionale. Ces mêmes partenaires étrangers qui, soit dit en passant, ont tous soutenu la politique de réconciliation nationale prônée par le chef de l'Etat, s'interrogent à juste titre d'ailleurs, sur les faibles résultats sur le terrain de la démarche présidentielle. La réponse à ces interrogations sont à chercher dans l'absence d'une motivation assez forte pour provoquer un déclic salvateur à même de libérer l'extraordinaire énergie de la nation. On en a pour preuve, que depuis son arrivée à la tête de la République, le président Bouteflika, qui n'a eu de cesse de discourir sur l'importance de la réconciliation, a entrepris un très vaste programme de reconstruction du pays. Les résultats physiques sont bien là, mais l'enthousiasme populaire qui aurait dû donner une valeur ajoutée significative à cet effort de l'Etat, n'a malheureusement pas suivi. En fait, à quelques jours du cinquantenaire de la révolution et après cinq ans d'efforts soutenus pour redonner espoir aux Algériens, force est de constater que le peuple n'est pas venu au rendez-vous que lui a fixé le pouvoir politique. Et comme le peuple a toujours raison, l'on peut affirmer que les dirigeants algériens n'ont pas su convaincre la société à reprendre espoir. Autant dire donc que, même si le risque d'une dislocation est quasiment nul, la nation n'est pas encore sur une véritable rampe de lancement. D'ordre éminemment psychologique, «le déclic» souhaité par tous les citoyens, quelle que soit leur condition sociale, tarde à venir. Une désagréable impression de «faire du surplace» est persistante et ce, malgré la nette amélioration du climat sécuritaire, le retour de l'Algérie sur la scène internationale et une évolution dans le bon sens, même timide, de la situation socio-économique. En d'autres termes, l'Algérie sort petit à petit de son enfer, mais les Algériens ne le ressentent pas pour autant. Ils ont besoin d'un événement positif qui leur rendrait leur fierté. C'est ainsi, souvenons-nous, que le peuple, dans son entier, a tout misé sur la dernière Coupe d'Afrique des nations de football. Le délire insensé qui s'est emparé des centaines de milliers d'Algériens sur la base d'une rumeur impossible à croire, donnant l'équipe nationale qualifiée malgré une défaite sur terrain, traduit un désir profond de festoyer ensemble, de montrer toute sa joie d'être Algérien. Le fameux «déclic» en somme. Le puzzle Algérie incomplet Une autre occasion ratée de sortir la tête de l'eau. Et la société a replongé dans son apathie, convaincue qu'elle est, que l'espoir ne peut venir d'une classe politique en déphasage avec ses aspirations. L'élection présidentielle d'avril dernier n'a pas participé à mettre la société sur la bonne voie, tant la campagne électorale a montré un visage hideux de la pratique politicienne sur le terrain. Certes, le taux de participation a été plus élevé que lors des précédentes consultations électorales et que le vote s'est déroulé selon «le standard européen», mais cela n'a pas été suffisant pour remonter sérieusement le moral des Algériens. Ces derniers attendent vraisemblablement autre chose pour se remettre à vivre. Le cinquantenaire de la révolution aurait pu constituer cet élément manquant au «puzzle Algérie». Seulement voilà, il semble que cet événement n'aura pas l'effet dopant escompté pour une société à la recherche d'une «balise» socio-politique qui lui indiquerait un port d'attache stable duquel le «bateau Algérie» peut prendre le large. Enfin, cinquante ans après le déclenchement de la lutte armée, l'Algérie se cherche encore une voie de sortie. Le président de la République propose une longue thérapie qui portera ses fruits dans deux ou trois décennies. Les réformes de la justice, de l'école et des structures de l'Etat, sont autant de chantiers très lourds qui nécessitent du temps, beaucoup de temps. Mais en attendant leur aboutissement, les Algériens veulent croire en leur pays, mais ne trouvent pas sur quoi s'accrocher. Il est clair que l'élite nationale, quelle soit politique, sportive ou intellectuelle, a une responsabilité dans cet état de fait. Force est de constater que dans ce pays, pourtant riche en repères historiques et culturels, la société navigue à vue, au point de ne pas trouver le temps de s'arrêter un petit instant et célébrer dans la communion un événement aussi important, qu'est le 1er-Novembre. Cela dit, le désespoir n'est pas un défaut algérien. Malgré cette impression de «cul-de-sac», le peuple finira par trouver sa voie. Le centenaire de la révolution sera peut-être plus dignement célébré que le cinquantenaire.