La Libye d'aujourd'hui risque de connaître la somalisation Dans ce qui suit, nous aborderons les attentats de Paris survenus le 13 novembre dernier. Des attentats des plus meurtriers et barbares de la France d'aujourd'hui et équivalent les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis d'Amérique voyant que la décision prise à l'époque par George W. Bush, de lancer une guerre contre la terreur, est la même que celle prise par François Hollande aujourd'hui comme une réponse adéquate aux attaques. Attentats de Paris ou du malaise social On voit dans les attentats perpétrés, au début d'une soirée parisienne paisible et enthousiaste, qu'ils ont un caractère suicidaire plus que des attaques à caractère djihadiste. Cela ressemble aux suicides collectifs qu'organisent les sectes obscures sauf que ces derniers éveillent un sentiment de désespoir social au sein de la société où ils ont été commis. Le suicide est une forme de révolte, une révolte de l'individu suicidaire contre la mutation de la société, une mutation perpétuelle dans laquelle l'individu ne ressent plus son appartenance à elle, une révolte contre l'ordre et la morale sociaux de la société, un ordre et une morale dans lesquels l'individu ne s'identifie plus. Evidemment, on désigne par société l'environnement où l'individu suicidaire a évolué et grandi mais pas tout à fait au sein d'elle mais plutôt sur sa marge et par conséquent il se retrouve sans espoir ni de repère pour s'orienter. La conséquence d'un tel sentiment est que l'individu bascule dans l'agressivité qui devient une forme d'expression contre l'exaspération sociale. Ce sentiment de refoulement ou de marginalisation crée un sentiment de chaos émotionnel dans le moi de la personne qui se traduit par le désespoir d'un avenir meilleur parce que la société ne lui produit plus les raisons d'espérer et d'aspirer à un lendemain prospère. Alors, ce qui s'est passé à Paris, où 130 personnes ont trouvé la mort, n'est pas seulement l'échec de la politique de sécurisation, mais celle de l'intégration et d'assimilation de la France. Certes, ce qui a eu lieu est d'une grande barbarie laissant un bilan macabre et d'une origine qui ne réside pas inéluctablement et uniquement dans les jeunes désoeuvrés et enrégimentés car la majorité des jeunes radicalisés et partis en Syrie ne peuvent pas réciter un seul verset du Coran au complet et leur radicalisation ne peut se faire en un laps de temps aussi court. Cette barbarie trouve ses origines dans les politiques instaurées par les gouvernements occidentaux sans se soucier de cette frange spécifique de la société. C'est dans cette perspective que l'Algérie doit élaborer toute une panoplie de dispositifs lui permettant d'agir et non pas de réagir à la menace asymétrique que représente l'EI qui répand sa propagande en cliquant simplement sur un «like» ou un «share». La disruption, comme l'indiquait le philosophe Bernard Stiegler traitant de la disruption économique, est un phénomène d'accélération de l'innovation. Les TIC et le complexe militaro-industriel En revanche, la disruption que nous évoquons ici est un phénomène d'accélération pour l'installation du chaos destructeur où la nébuleuse agit vite pour imposer son modèle et son mode de pensée/gouvernance et de propager sa stratégie basée sur la haine et la peur de l'autre ainsi que la transmission du faux message de l'Islam tolérant et réconciliateur et ce, dans le but de détruire les structures sociales préétablies tout en tétanisant les pouvoirs publics. Cette tétanisation est rendue possible grâce aux politiques et économies ultralibérales imposées par les multinationales titanesques (les TIC, les complexes militaro-industriels et certaines ONG) et cette tétanisation engendre des situations comme celles vécues en Irak, en Syrie, au Yémen, en Libye, au Mali et en Europe. En fait, ce qui se passe çà et là nous rappelle que l'EI semble gagner du terrain, un pseudo Etat face à une multitude d'Etats où certains, du moins, n'en ont plus que le nom. Cette organisation lugubre ne s'alimente pas uniquement des maux que l'Occident a instaurés mais du vide créé du fait des politiques interventionnistes dans les affaires internes des Etats. Au point où la situation est arrivée, les Occidentaux comme les Orientaux ont un ennemi commun que même l'Algérie qui se trouve au diapason de l'Occident et de l'Orient, considère que la menace nommée organisation de l'Etat islamique est aussi son ennemi et ce, en vue des arrestations par les forces de sécurité d'individus susceptibles d'activés pour le compte de la nébuleuse multinationale. Par ailleurs, ce qui s'est produit nous interpelle et nous met en garde contre un ennemi supra et transnational qui se trouve à quelques encablures de nos frontières terrestres (Libye, Mali et Niger), maritimes (France et Méditerranée) et aériennes (le cas de l'avion civil russe est un cas illustratif et concret). Ces attentats de tous genres nous rappellent que c'est le moment d'agir et non pas de réagir à ces menaces transnationales en mettant en place des politiques structurelles et des dispositifs pour contrôler le mouvement et le flux d'informations entrant et sortant sur la Toile Internet car l'embrigadement ou l'enrégimentement physique ne se concrétisent plus dans les mosquées ou les madrassas mais il s'est adapté à la conjoncture en recrutant à travers les réseaux sociaux, des réseaux destructeurs des équilibres sociaux de la société. Cette nouvelle forme de recrutement des masses et leur adhésion aux mouvements extrémistes s'appelle l'embrigadement «soft» ou l'enrégimentement «subtil», ce que Theodore W. Adorno, en homme prévoyant, nommait dès 1944 «les nouvelles formes de barbarie» car en vérité ces réseaux se définissent tels que les nouveaux canaux facilitateurs des propagandes meurtrières et apocalyptiques et des idées fausses. De ce fait, l'OEI (acronyme de l'Organisation de l'Etat Islamique) nourrit les recrues et se nourrit des recrues potentielles à travers lesdits réseaux sociaux en particulier et des TIC en général, poétiquement décrits comme les cavaliers de l'apocalypse.Nonobstant le fait que nous ayons acquis une expérience suffisante, reconnue mondialement, et disposons d'un arsenal militaire et humain suffisant pour contrer cette menace sauf que cette dernière est de nature asymétrique et pour la combattre, alors il prévaut de disposer de moyens capables de déjouer et éliminer ce type de menace. Jour après jour, l'OEI ne cesse de montrer que son mouvement est en constante croissance ainsi que ses fidèles embrigadés via les cellules et niches de recrutement à travers le monde. Cette organisation nous rappelle la secte des assassins aux temps des croisades. Si on se réfère au texte d'Amine Maalouf et la réalité d'aujourd'hui, on établit facilement des points en commun entre les deux mouvements ou sectes. Les deux organisations disposent d'un leader ou d'un chef spirituel, l'OEI a Abu Bakr Al-Baghdadi et la Secte des Assassins avait Hassan As-Sabbah que tous les deux sont considérés comme des doctrinaires et organisateurs du crime politico-religieux. La première prend une drogue nommée «captagon» et la seconde se droguait au haschich et ce, afin d'atteindre l'extase et le brin de paradis et de ne pas faiblir au moment de l'exécution de leur victime. L'ennemi est à nos portes: La première a pour centre des opérations la ville syrienne de Raqqa et la seconde la forteresse d'Alamout près de la mer caspienne. Les activités et stratégies de l'une et de l'autre sont: endoctrinement intense, l'entraînement physique, les exécutions sommaires, les assassinats spectaculaires et les infiltrations au sein des sociétés infidèles. Par contre, la première dispose d'un avantage déterminant qui est les TIC dont la deuxième ne disposait pas à l'époque. La seconde a été vaincue par le temps et l'espace et par l'histoire, mais la première fait l'histoire du moment présent. L'OEI est un véritable défi pour la sécurité nationale de l'Algérie parce qu'elle occupe 20% du territoire libyen et surarmée par un arsenal du temps du régime d'El Gueddafi. Il convient de rappeler encore que si cette nébuleuse tentaculaire s'est répandue en Libye de manière aussi accrue et rapide revient à la présence de tous les éléments du terreau du terrorisme et l'islamisme radical: institutions paralysées, économie ébranlée, jeunesse désoeuvrée, aides sociales absentes, infrastructures financières et scolaires détruites...etc. la Libye d'aujourd'hui porte les stigmates d'un Etat défaillant où les espoirs sont figés dans l'espace-temps. La Libye d'aujourd'hui risque de connaître la somalisation, autrement dit, elle encourt le risque d'une répartition territoriale à l'instar de la Somalie. Ce qui rend la Libye aussi inquiétante en vue du développement que connaissent la Syrie et l'Irak où l'OEI commence à perdre du terrain et d'effectifs, il existe un risque calculé qu'elle pourra dans un futur proche projeter son fief du Cham à la péninsule Arabique au sud du Yémen ou en Libye, autrement dit dans le voisinage géopolitique de l'Algérie. Donc, il apparaît que l'OEI ressemble à une tumeur maligne tentaculaire qui en la sectionnant à un endroit, elle réapparaîtra dans un autre droit laissant derrière elle de sérieux dommages dans les fibres, dans les cellules et dans les appareils du corps humain. Contrairement au corps humain, les Etats de la région Mena sont plus immunisés et armés mieux, disposant d'une grande puissance de feux et d'armées structurées avec l'apport ou l'assistance de l'Otan et de la Russie, pour anéantir et envoyer la tumeur EOI dans les abysses de l'Histoire. Pour éviter à ce que l'OEI manipule les masses et leur fait croire que cette guerre est d'ordre religieux à l'instar des guerres des armées de l'Islam contre les Croisés, il faut impérativement qu'il y ait un consensus entre les pays voisins pour se coaliser et intervenir militairement dans un cadre «multilatéral réaliste». Ainsi, l'idée d'ingérence étrangère à but individuel sera écartée ainsi que celle des croisades du troisième millénaire 2.0. Par ailleurs et contrairement à l'intervention militaire erronée en Libye de 2011 «Aube de l'Odyssée», les Etats régionaux et intervenants ne doivent s'arrêter qu'au stade de l'intervention militaire classique, mais ils seront dans l'obligation d'assurer le service après-vente en réactivant les institutions publiques et les infrastructures nécessaires à la renaissance du pays et de l'espoir. Ce qui est nettement clair est que ces attentats ne vont pas laisser la France et ses alliés indifférents, preuve à l'appui et le vote du Conseil de sécurité des Nations unies à l'unanimité en autorisant toutes les mesures contre l'Organisation de l'Etat islamique. Cette décision est l'amorcement d'une nouvelle ère des interventions militaires et du remodelage du Moyen-Orient. L'Histoire a cette fâcheuse tendance de se répéter perpétuellement. (*) Doctorant-Chercheur à la faculté des sciences politiques et des relations internationales Membre du Laboratoire de recherche sur la sécurité et le développement en Afrique Université d'Alger 3