La question se pose, du moins devrait se poser, au regard de la façon avec laquelle le dirigeant turc, Recep Tayyp Erdogan, appréhende le problème kurde. Si ces derniers sont des Turcs «à part entière», sa véhémence à leur encontre ne s'explique pas, si ce n'est pas le cas, ces derniers sont en droit de réclamer la clarification de leur statut. En fait, loin de tenter d'apaiser la situation, le président turc donne l'impression de tout faire pour l'envenimer, voire d'aller à l'irréparable. En tout état de cause, il ne fait aucun geste propre à réduire la tension entre les deux communautés. Faisant allusion, à la situation prévalant dans le sud-est de la Turquie (Kurdistan turc) le président turc a indiqué, mardi, que l'offensive militaire se poursuivait, affirmant que depuis l'été «plus de 3 000 terroristes» avaient été tués. Or, les observateurs ont indiqué qu'il y avait des dizaines de civils parmi les victimes. Dès lors, c'est la population kurde de Turquie qui est ainsi culpabilisée. Propos qui ne concourent pas à apaiser la tension entre Kurdes et Turcs. De fait, un journaliste du quotidien Hurriyet a fait état mardi, de «scènes de guerre» à Sur (un quartier de la grande ville kurde de Diyarbakir où la contestation monte crescendo). Mardi encore, M.Erdogan a dénoncé comme une «trahison» la revendication de l'autonomie par le principal parti pro-kurde de Turquie au moment où se déroule une opération militaire massive dans le Sud-Est. De son côté, le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, qui anima lundi une conférence avec les partis politiques en vue de la révision de la Constitution turque, n'a pas invité le représentant kurde, indiquant: «Il n'est plus correct de les accepter comme des interlocuteurs après leurs récentes déclarations qui frôlent l'insolence.» Dès lors, pour les dirigeants turcs réclamer ses droits est de «l'insolence». Quel crime a commis, Selahattin Demirtas, le leader du HDP (Parti démocratique des peuples) pour que les dirigeants turcs lui tombent dessus aussi sévèrement? Il eut le culot d'appeler à l'autonomie du Kurdistan turc. Intolérable! s'est récriée la classe politique turque toutes tendances confondues. Erdogan l'a même interpellé: «De quel droit pouvez-vous parler dans le cadre de notre structure unitaire d'établir un Etat dans le Sud-Est, dans l'Est?» Sans doute, tout simplement, en tant que représentant élu de la communauté Kurde. En réalité, la position d'Ankara sur la question kurde est très bizarre, si l'on excipe des excellents rapports liant la Turquie aux Kurdes irakiens. Un fait qui ne peut ne pas être relevé. De fait, la coopération d'Ankara avec les Kurdes irakiens va très loin, jusqu'à la prise en charge de l'entraînement des «peshmergas» (combattants kurdes irakiens) et de faire stationner un contingent militaire turc dans le nord de l'Irak, provoquant la fureur de Baghdad. Comment la Turquie peut-elle contester aux Kurdes turcs ce qu'elle estime légitime pour leurs frères irakiens? C'est là une position insoutenable tant au plan moral, politique que du droit international. Au sortir de la Grande Guerre (1914-1918) le Traité de Sèvres (1920) prévoyait un «Kurdistan indépendant». Or, le territoire kurde fut divisé entre quatre pays de la région et la Turquie eut sa part au même titre que l'Irak, la Syrie et l'Iran. Il y a donc un déni de droit de la part d'Ankara envers «ses» Kurdes. Dans ce contexte, Ankara s'oppose aussi à l'autonomie du Kurdistan syrien, accusant les YPG [Unités de protection du peuple, branche armée du parti kurde syrien, Parti de l'union démocratique, PYD] de n'être qu'une annexe du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) qui tient depuis 1984 la dragée haute au pouvoir turc. Dès lors, la Turquie qui traite le Kurdistan irakien comme un Etat indépendant, refuse le même destin aux Kurdes de Turquie et de Syrie. Une trêve avec le PKK négociée avec le leader historique du PKK, Abdullah Öcalan, a été brutalement rompue en juillet dernier suite à l'attentat sanglant à Suruç, contre une réunion de jeunes Kurdes. Tout en accusant Daesh, la Turquie s'en est pris au PKK, mettant fin à deux ans d'accalmie. D'aucuns ont jugé que l'attentat de Suruç, n'a été qu'un prétexte pour Ankara de revenir sur un «modus-vivendi» qui lui pèserait. En effet, il fallait bien un jour ou l'autre trouver une solution définitive à la question kurde. Ankara n'était pas prête a entrer dans le vif du sujet. D'autant plus que parallèlement, le HDP montait en puissance au point d'empêcher l'AKP, le parti du président Erdogan, de conserver la majorité absolue au Parlement. Depuis, M.Erdogan s'acharne sur le HDP et ses dirigeants. Toutefois, ce n'est pas en pratiquant la politique de l'autruche, ou en ignorant la réalité de la question kurde, que la Turquie va s'en débarrasser. Bien au contraire, avec un quasi-Etat kurde irakien [qu'Ankara semble d'ailleurs reconnaître en tant que tel] la question kurde [dans son ensemble] est devenue partie du problème moyen-oriental. Sur cette question la Turquie s'est fourvoyée dans une impasse.