La double guerre prônée par le président turc, Tayyep Erdogan, est une véritable gageure qui rabat les cartes dans une région marquée par les bouleversements de l'équilibre régional induits, notamment, par le retour fulgurant de l'Iran. Face à la menace de Daech, menant des attaques en territoire turc pour sévir contre la communauté kurde et le projet autonomiste réclamée des décennies durant par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la nouvelle stratégie bat de l'aile. Elle souffre de l'absence d'un solide consensus international nettement exprimé par les réticences de certains alliés influents de l'Otan, consacrant, mardi dernier, une réunion à Bruxelles pour statuer, pour la cinquième fois (dont quatre fois à la demande de la Turquie), sur les dispositions de l'article 4 autorisant une consultation des Etats membres dans le cas où « son intégrité territoriale, son indépendance politique ou sa sécurité » est en cause. Bruxelles a certes assuré Ankara de sa « forte solidarité » et de son « soutien ferme » pour faire face au péril terroriste. Mais les appréciations divergent s'agissant de la question kurde qui ne doit pas être sacrifiée sur l'autel de la lutte contre Daech. De la chancelière allemande, Angela Merkel, invitant le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, à ne pas renoncer aux négociations avec le PKK, au président français, François Hollande, appelant, lors d'un entretien avec son homologue turc, à ne pas « confondre les cibles », la ligne de fracture est évidente. Elle met à mal la « stratégie de tension » d'Erdogan affichant, depuis la Chine où il a entamé une visite officielle, sa détermination de traquer le terrorisme et jugeant « impossible » de poursuivre le processus de paix avec la guérilla kurde. Mais face à l'accalmie prévalant depuis ces derniers jours sur le front syrien où aucun raid contre Daech n'a été signalé, la guerre contre les Kurdes ne connaît pas de répit. Aux bombardements des F16 visant une demi-douzaine d'objectifs dans le nord de l'Irak ainsi que dans le sud-est de la Turquie, succède la purge effectuée quotidiennement dans les milieux kurdes, les sympathisants de Daech et de l'extrême gauche. Au cœur de la session parlementaire extraordinaire, convoquée hier, les exigences de « l'union nationale », revendiquée par Erdogan, ne semblent pas convaincre l'opposition qui s'interroge sur les motivations de la nouvelle stratégie. Des élus de l'opposition accusent le président turc de tenter, à travers des législatives anticipées annoncées en novembre, de reconquérir la majorité absolue perdue lors du scrutin du 7 juin pour la première fois depuis 2002. Dans le viseur : le grand gagnant des dernières élections qui ont largement profité au parti turc pro-kurde, le HDP, raflant 80 sièges (13% de voix). Dès lors, selon son chef de file, Selahattin Demirtas, « l'un des principaux objectifs des opérations en cours dans les airs, sur terre et dans les médias, est de faire mal au HDP dans la perspective d'élections anticipées ». Plus, l'utilisation de la base d'Incirlik dictée par le deal avec Washington sur l'éventualité d'une zone tampon dans le nord de la Syrie, qui servirait de base à l'opposition, et le refus d'un Kurdistan sur le modèle irakien. L'imbroglio kurde révèle les errements de la guerre internationale contre la Syrie : le mouvement kurde, le PYD (proche du PKK), érigé en allié de l'Occident dans la lutte contre Daech, lorsque l'effet balancier décrète le PKK en ennemi irréductible.