50 ans après 1954, est-il possible de révéler les vérités de l'histoire? Les jeunes générations ont le droit de connaître les hauts faits de la Révolution de Novembre 1954 et de la résistance anticoloniale. Dans ce cadre, quelle histoire devons-nous écrire? Lorsque de plus en plus de plumes tendancieuses conduisent à la propagation de contrevérités. Le colloque auquel nous sommes aujourd'hui conviés participe de l'écriture de l'histoire et porte sur l'importance de l'action stratégique menée par le Malg. Le Malg : cette véritable institution, devenue la toile de fond de la révolution et l'assise qui a permis à de nombreux militants d'apprendre et de lutter grâce à la formation exceptionnelle qui leur a été prodiguée. Formation dont le cadre premier furent les centres érigés, à cette fin, par Abdelhafid Boussouf. Celui-ci aura été l'une des personnalités les plus marquantes du Malg avec lequel il se confond. Au-delà des biographies qui lui ont été consacrées et des témoignages recueillis, la personnalité marquante de Si Mabrouk est celle d'un intellectuel révolutionnaire. Il est, en effet, un Saint-Just nanti des troupes de Bonaparte, dont l'ancrage dans le terroir milevien, l'apprentissage du Coran et l'ouverture aux idées révolutionnaires furent les précepteurs. Son parcours militant débutera durant la Seconde Guerre mondiale, quand il rejoint le PPA. Dès 1947, il devient cadre de l'OS dans le Constantinois. Recherché par la police en 1950, il rejoint l'Oranie où le MTLD lui confie des responsabilités. Ramdane Benabdelmalek tombé au champ d'honneur le 5 novembre 1954, il devient adjoint de Larbi Ben M'hidi auquel il succédera comme colonel de la Wilaya V au moment du Congrès de la Soummam. Parmi les 22 en juin 1954, du CNRA en 1956, il rejoint le CCE en 1957 comme responsable des liaisons et des communications. Ces mêmes responsabilités lui seront confirmées lors de la formation, le 19 septembre 1958, du premier Gpra où il est nommé ministre de l'Armement et des Liaisons générales - Malg. Hommes de l'ombre En fait, c'est cette fonction à la tête du Malg avec lequel il va se confondre qui va en définitive conférer à Abdelhafid Boussouf toute la responsabilité de l'organisation secrète au service de la Révolution. S'il s'agit de retenir une caractéristique de la carrière de Si Boussouf, c'est celle première d'un révolutionnaire total. Mais Boussouf était d'abord l'homme de l'ordre et de la rigueur. Un aspect qui transparaît dans une organisation qui faisait qu'outre Oujda, double PC de la Wilaya V et de l'état-major, un certain nombre de centres de formation militaire étaient répartis en territoire marocain, tels Larach, Khemisset ou Figuig. C'est là où on formait des commandos de sabotage, à l'instar de l'équipe qui attaqua Soustelle à Paris. Quant aux dépôts d'armes, citons celui, principal, de Casablanca, rue de Tlemcen, celui aussi de Kenitra situé dans la propriété d'un agriculteur ou celui de Souk Thata, près du camp spécial des commandos de la mort. Toujours au titre de l'organisation logistique, citons la construction initiée par Si Boussouf, d'ateliers d'armement, désignés sous le nom de «fermes» et portant chacun un numéro et comprenant fonderie, ajustage, menuiserie, tour et presse, avec une machinerie allemande. Mais c'est surtout la formation et l'organisation des hommes du chiffre et des transmissions, qui lui permettront d'avoir la haute main sur les informations les plus sensibles et les plus enviées pour leur importance, à tous points de vue. Ces «hommes de l'ombre», comme les désigne, M.Mohamed Lemkami, dans son ouvrage du même titre, paru dernièrement aux éditions Anep, à qui étaient donnés des noms de guerre, à l'instar de Abbas pour Mohamed Lemkami, Abderrezak pour Hassan Beljelti, Aïssa pour Abdelmajid Gaouar, Ghaouti pour Abdelkrim Hassani, Kamel pour Abdelkader Khalef, Lamine pour Boualem Bessaïh, Selman pour Dahou Ould Kabila, Yahia dit El Hadi pour Ali Hamlat, Yazid pour Zerhouni et tant d'autres. Ces hommes du chiffre et des transmissions, qui brilleront, par exemple, dans l'épisode, relaté par M.Abdelkrim Hassani (dans son livre en langue nationale édité par le Musée national du moudjahid en 1995) de cette guerre des ondes par l'interception et le déchiffrage des messages de l'ennemi, permettant de déjouer les plans de ce dernier et d'éviter à nos combattants les catastrophes des pièges et embuscades des soldats français. C'est de ce corps dévoué de militants et de patriotes, formés dans le plus pur style de la guérilla, de la subversion, du renseignement et du secret défense, que sera héritière la sécurité militaire. C'est de ce corps aussi, que seront issus de nombreux cadres au lendemain de l'indépendance, commis de l'Etat au service de la diplomatie et des institutions de la jeune République algérienne. Quant à la composante humaine, on peut avancer que parmi le premier noyau des services de renseignement, furent en fait, vers le mois d'août 1956, les jeunes qui ont quitté les bancs des lycées, en classe de terminale ainsi que les étudiants, notamment des filières scientifiques, vont être les premiers stagiaires des écoles de formation militaire du renseignement et du chiffre, tels que Mostefa Dahour, Hédri Rahal dit Salah, étudiants en mathématiques, Abdeslem Baghdadi ou Sidouih Saker, lycéens, venus, comme plusieurs autres, renforcer cette école d'élite. Au plan opérationnel, n'omettons pas de citer ce centre clandestin du Malg, dénommé LGR, situé dans une demeure à Oujda, la maison Benyekhelaf. C'est dans cette école de cadres qui aura fourni de nombreuses compétences, que plusieurs sections spécialisées décortiquaient tous les éléments médiatiques (radio et presse) propagandistes (émanant du 5e bureau), militaire ou policier (armée, gendarmerie, sûreté) et même personnel (courrier intercepté des soldats français), émanant de l'ennemi, lesquels étaient analysés, exploités, fichés et classés, comme autant d'informations utiles sur les plans politique, économique et militaire. Les dénominations structurelles de ces sections étaient notamment la section de l'action de propagande SAP, pour contrecarrer le 5e bureau français, la section militaire générale SMG, dirigée par feu Si Merbah Abdallah Khalef, la section de l'information et des activités politiques Siap, dirigée par Si Yazid Zerhouni et la section du contre-renseignement SCR dirigée par Si Kaddour et dont le rôle était de ficher tout civil ou militaire algérien au service de l'ennemi et d'identifier les services français. Comme on le voit, l'organisation de ces sections était aussi complète que cohérente, reprenant ainsi l'organisation générale du Malg. Il faut dire que le Malg a aussi été une véritable machine de propagande et de contre-propagande au service de la Révolution. Une école exemplaire Que ce soit le centre d'exploitation Didouche érigé en Libye, la direction de documentation et de recherche, la direction de vigilance et de contre-renseignement, la direction du chiffre et de la logistique, ou la commission de contrôle et d'investigation, le Malg est une machine de l'information, du renseignement et de l'analyse. Tout est exploité: les journaux, la radio, les transmissions, il y avait de véritable centres d'écoute aux frontières pour savoir tout ce qui pouvait se passer chez l'ennemi, y compris dans les ambassades et consulats, nuit et jour. On retiendra que, matériellement, les réseaux de liaison et de communication, dont les postes étaient dirigés par Hocine, pour la mintaqa 1, Ali Gheraz pour la mintaqa 2 et Abdelmounen pour la mintaqa 3, étaient pourvus d'emetteurs-récepteurs de type américain Bart, de forte puissance, et utilisés par les avions, à l'inverse du RCA dont les ondes de transmission sont limitées. Revenons également sur ce centre Didouche Mourad, qui recevait et analysait les données pour préparer tous les dossiers socioéconomiques, culturels, militaires et financiers, où sont affectés les cadres les plus initiés à la synthèse et à l'exploitation pouvant aider le Gpra dans les négociations avec les Français (Melun, Les Rousses et surtout Evian). Faut-il souligner ici, pour l'histoire, que le Malg, qui est un ministère du Gpra, avait la haute main sur tout ce qui se passait à l'intérieur et à l'extérieur concernant la Révolution algérienne par la multitude de ses réseaux de communication. Oui, Boussouf a bien préparé les hommes de demain, ceux qui vont encadrer la jeune République algérienne indépendante. Homme plein d'humour, élégant, apparemment courtois, Boussouf préparait déjà, par correspondance, sa licence de psychologie à la veille du déclenchement de la Révolution. Il possédait des capacités extraordinaires de discernement, de sens du devoir, d'esprit d'analyse, d'ordre et d'organisation. Avec lui, le secret est érigé en religion, en une mystique. Il y avait une sorte de sacralité dans l'action qu'il menait. D'une forte personnalité qui contrastait avec celle de nombreux de ses pairs, impressionnant dans ses relations, Si Boussouf est incontestablement celui qui a fourni les hommes de demain, ceux qui ont eu la charge de diriger le pays, y imprimant son style de gouvernance. On ne peut occulter son parrainage à de nombreux cadres qui ont eu à gérer le pays, au plan politique, diplomatique, économique et militaire, au lendemain de l'indépendance. Au-delà des querelles de personnes et des ambitions, Abdelhafid Boussouf, à l'instar du Malg qu'il dirigea, est resté digne et discipliné à l'égard de son pays. Boussouf est de ceux dont la culture de l'Etat est restée semée dans son substrat militant. Le Malg, quant à lui, demeurera devant l'histoire et dans la conscience collective, cette école exemplaire d'abnégation, d'engagement et de compétence au service de l'Etat, que nous ne manquerons jamais de saluer. Après l'Emir Abdelkader, le Malg est, sans nul doute, l'entité qui a mis les bases structurelles institutionnelles de l'Etat algérien moderne et dont l'encadrement en émane en grande partie. Boussouf est parti avec ses secrets et ses dossiers, un 31 décembre 1980, à l'âge de 54 ans, en laissant, en héritage, l'image d'un homme d'Etat, par sa rigueur et sa rationalité dans la gestion des affaires de la Révolution. Ne faut-il pas, aujourd'hui, parler de ces hommes et les réhabiliter? Du fait que la réconciliation nationale amorcée par le président Abdelaziz Bouteflika, redonne à l'écriture de l'histoire sa pleine signification. Alors que huit kilomètres de rayonnage à Aix-en-Provence et autres Vincennes et Nantes, pourraient s'ouvrir aux chercheurs pour permettre aux historiens et universitaires d'établir un état des lieux de la mémoire et permettrait l'écriture d'une histoire loin des falsifications, respectant par-là le sens du devoir national. Cette ouverture archivistique, par les autorités françaises, donnerait une nouvelle portée à la refondation des relations entre l'Algérie et la France, dans le souci de créer une dynamique capable de sceller les liens de solidarité entre les deux peuples des deux rives de la Méditerranée. En tenant compte qu'au-delà de la vérité historique, on ne peut accepter, au respect de la prescription, l'exploitation tendancieuse qui risquerait de créer la fitna. Seule une lecture sereine, méthodologiquement menée et patriotiquement perçue, pourrait être le meilleur moyen d'écrire l'histoire de la Révolution. Une histoire expurgée des égoïsmes de mauvais aloi et sans impact dans la dynamique d'éducation contre la culture de l'oubli et pour préserver la mémoire collective de toute contingence négative. Une histoire qui reflète la longue lutte du peuple algérien et de ses héros, tous ses héros, qui ont arraché aux forces coloniales, cette terre tolérante de nos ancêtres, cette Algérie de toujours, loin des haines et des ressentiments.