Face à la poussée de fièvre irano-saoudienne, les Etats-Unis ont affiché une neutralité inédite et remarquée, plaidant pour un modus vivendi entre ces adversaires. Parler d' «ouverture» vers l'Iran tout en réaffirmant une «alliance claire» avec l'Arabie saoudite: le secrétaire d'Etat américain John Kerry a joué ces jours-ci à l'équilibriste entre les puissances rivales chiite et sunnite du Moyen-Orient. La perspective d'un rapprochement entre les Etats-Unis et Téhéran, qui irait de pair avec un éloignement entre Washington et Riyadh, secoue depuis des mois les relations régionales, bien que l'Amérique se défende officiellement de tout projet de renversement de ses alliances. Une semaine après l'entrée en vigueur de l'accord sur le nucléaire iranien entre les grandes puissances et la République islamique, John Kerry a donc accouru ce week-end à Riyadh pour apaiser la monarchie saoudienne, alliée historique de Washington dans le Golfe. Et juste avant de partir dimanche, il a tenu à mettre les points sur les i. «Des gens disent: +les Etats-Unis ne sont peut-être plus aussi enfermés dans cette relation ancienne qu'ils ont eue avec l'Arabie saoudite et leurs autres amis du Golfe. L'accord (sur le nucléaire) iranien a peut-être changé les choses et il y a dorénavant un réalignement régional+». C'est faux, a martelé en substance le chef de la diplomatie américaine dans un message bien calibré. Il a vanté «une relation solide, une alliance claire et une amitié forte avec le royaume d'Arabie saoudite, comme cela a toujours été le cas». Et, a insisté John Kerry, «rien n'a changé (simplement) parce que nous avons oeuvré à éliminer une arme nucléaire d'un pays de la région», en allusion au programme nucléaire iranien dorénavant sous contrôle international, en échange d'une levée des sanctions qui pesaient sur Téhéran. La mise en oeuvre de ce règlement majeur n'a fait qu'attiser la crainte des pays du Golfe d'un retour en grâce diplomatique de leur rival iranien. Avec, à la clé, la peur qu'un dégel entre les Etats-Unis et l'Iran se fasse à leur détriment. Samedi, à Riyadh, John Kerry s'est fait donner la leçon par son homologue saoudien Adel al-Jubeir qui a dit tout le mal qu'il pensait de Téhéran, «chef mondial du soutien au terrorisme». Au côté d'un secrétaire d'Etat visiblement mal à l'aise et sur la défensive, M. Jubeir, glacial, a dit devant la presse, sans trop sembler y croire, qu' «il pensait que les Etats-Unis étaient tout à fait conscients du danger (...) d'un Iran malfaisant». Il faut dire que le torchon brûle entre Riyadh et Téhéran. Leur rivalité légendaire a dégénéré début janvier en crise ouverte avec la rupture de leurs relations diplomatiques après la mise à sac de l'ambassade saoudienne à Téhéran. Conséquence de l'exécution par Riyadh d'un dignitaire chiite saoudien, virulent critique du régime des Saoud. Face à cette poussée de fièvre irano-saoudienne, les Etats-Unis ont affiché une neutralité inédite et remarquée, plaidant pour un «modus vivendi» entre ces adversaires. Et les gages que M.Kerry a donnés à Riyadh, en lui exprimant ses «inquiétudes» face à un Iran qui «soutient des groupes terroristes», n'ont pas suffi. D'autant que lors du Forum économique de Davos, en milieu de semaine dernière, M.Kerry avait été beaucoup plus apaisant à l'égard de Téhéran, entrouvrant discrètement la porte après 35 ans sans relations diplomatiques. Certes, pas question d'évoquer une réconciliation, mais le secrétaire d'Etat a parlé devant quelques journalistes d' «une ouverture possible» vers l'Iran. «Nous serions bêtes de ne pas essayer de voir si cela est possible ou pas», a expliqué le responsable américain. D'après des analystes à Washington, l'administration de Barack Obama caresse l'espoir qu'un «rééquilibrage» stratégique américain sur le long terme au Moyen-Orient - en faveur de Téhéran face à Riyadh - puisse mettre fin aux conflits en Syrie, au Yémen ou au Liban, où s'affrontent indirectement les deux puissances rivales.