Le choix du caractère de transcription de tamazight risque de retarder son développement. Pourtant, cette langue a sa propre graphie. A peine l'officialisation de tamazight annoncée dans le projet de révision de la Constitution en cours, les langues ont commencé à se délier. A chaud, les réactions étaient mitigées. Les uns y voyant une avancée bien méritée de cette cause qui aura été chèrement payée par des milliers de militants, les autres estimant que «tamazight a besoin de plus qu'une officialisation formelle». Or, le problème principal de tamazight est son émancipation des surenchères politiques qui en font un fonds de commerces pour aussi bien le pouvoir que certains segments de l'opposition, ainsi que des fantasmes idéologiques qui font du choix des caractères de sa transcription un problème fondamentalement politique alors que c'est aux scientifiques qu'échoit le devoir de trancher la question. En effet, l'idée de l'officialisation de tamazight digérée, la polémique sur la graphie à choisir s'enclenche et ce, suite à l'intrusion «scandaleuse» d'Abdellah Djabellah qui, tout en se disant «contre l'officialisation de tamazight», plaide pour sa transcription en caractères arabes pour, dit-il, lui «permettre d'être complémentaire et consolidante de la langue arabe». Cette offensive, largement relayée par les médias, notamment ceux proches des milieux conservateurs et panarabes, a été vite suivie par les déclarations de Mohand-Arezki Ferrad, chercheur et ancien député du FFS, qui, lui aussi, soutient que «la graphie qui sied à tamazight et qui soit seule à même de lui conférer un caractère national est la graphie arabe». Bien entendu, parmi les partis islamistes, cette position en faveur des caractères arabes est plutôt classique. Le MSP, le PLJ de Mohamed Said aussi la soutiennent. Mais ce qui intrigue, c'est le fait que ces positions ne reposent sur aucun argument scientifique et qu'elles répondent absolument à des fantasmes idéologiques sans nulle incidence sur le développement de tamazight. Dans un autre bord, on soutient que la graphie qui convient à tamazight et qui peut lui assurer une ouverture sur le monde, c'est la graphie latine qui est universelle. «Naturellement, c'est la graphie latine qu'il faut adopter car elle avait assuré l'accès à l'universalité à tamazight. De plus, la production littéraire et scientifique écrite en tamazight jusque-là est entièrement transcrite en caractères latins. Par pragmatisme, il faut opter pour le caractère latin», estime Amar Louafi, chercheur en langue et culture amazighes à l'université de Bouira. Or, Mouloud Mammeri, qui a le premier opté pour le caractère latin, a bien pris le soin de préciser qu'il s'agissait d'une «option provisoire» et que, à terme, tamazight devait retrouver sa graphie historique, à savoir le tifinagh. En outre, il est utile de rappeler que, contrairement à ce qui se dit, les documents faits en tamazight ne sont pas tous écrits en caractères latins puisque les Touareg, à titre d'exemple, utilisent dans leurs inscriptions le tifinagh d'une façon continue depuis plus de 20 siècles. Dailleurs, les chercheurs touareg, plaident pour l'adoption de tifinagh comme caractère unique de transcription de tamazight. «Tifiniagh est la graphie originale et originelle de tamazight. Elle a porté notre langue pendant des siècles et lui a permis de survivre aux aléas de l'histoire. Je ne vois donc pas pourquoi penser remplacer cette graphie par une autre. Le problème ne doit même pas être posé d'autant plus que, objectivement, il est impossible d'interpréter le patrimoine amazigh sans faire recours à tifinagh qui représente autant de symboles porteurs de sens et de valeur», estime Abdellah Boutina, un militant touareg de la cause amazighe de Tamanrasset et fondateur de la chaîne TV émettant en targui, Toumast, qui est installée en Libye. C'est dire que, en l'absence d'une instance scientifique supérieure dont la mission principale est la gestion et la promotion de tamazight, langue, culture et patrimoine, le champ reste ouvert devant toutes les manoeuvres et autres fantasmagories, y compris les plus vicieuses et pernicieuses. En effet, tamazight étant pour l'heure écrite en trois types de caractères dans les manuels officiels, à savoir les caractères latin, arabe et tifinagh, la confusion reste totale. Car, comme l'écrit Mohamed Boudhan, militant de la cause amazighe et chercheur en linguistique, la question de l'enseignement de tamazight, donc de sa promotion, «est indissociable de la question de la graphie à adopter pour l'écrire». Au Maroc où elle n'est pas enseignée, on l'écrit actuellement en trois caractères: le tifinagh, les caractères latins et arabes. Ceci fournit une preuve supplémentaire à ceux qui ne voient en tamazight qu'une «source de division» et un ensemble hétéroclite de «dialectes et de patois». La question du choix de la graphie est d'autant plus sensible et épineuse que l'adoption de l'un des trois systèmes de notation est souvent dicté par des convictions idéologiques, généralement déguisées en avantages «techniques» et «scientifiques», analyse-t-il dans une réflexion publiée par le sire AmazighWorld. De ce fait, il est urgent qu'un type de caractères unique de transcription soit adopté pour que tamazight devienne une langue à part entière et évolue dans la sérénité. Mais cette option tarde à venir et risque de tarder davantage en l'absence d'un consensus sur la question. Pourtant, tamazight a son propre système graphique et il est vieux de plus de 2000 ans.