L'intervention étrangère pointe le bout du nez Toute cette agitation, conjuguée au fait que la naissance au forceps du gouvernement Al Serraj II est sans cesse remise à des lendemains plus lointains que jamais, devient suffisamment irritante pour provoquer une nouvelle intervention occidentale. C'est maintenant un fait anodin que d'évoquer la menace pressante d'une intervention militaire dans la Libye voisine, toujours en proie au chaos et où les deux principales factions tardent à valider le gouvernement d'union nationale, revu et corrigé par Fayez al Serraj, à la demande de Tobrouk après le rejet de la première liste au motif qu'elle comportait trop de membres. Révélée par le quotidien français Le Monde, mercredi dernier, la présence de forces spéciales et d'agents secrets français en Libye où le service action de la direction générale de la sécurité extérieure (Dgse) conduit également «des opérations clandestines» contre des cadres du groupe Etat islamique (EI), est venue étayer cette thèse. Déjà, en décembre dernier, l'Elysée avait révélé que des avions Rafale, embarqués à bord du porte-avion Charles-de-Gaulle, effectuaient des missions de reconnaissance dans le sud-est du pays, en particulier du côté de Syrte où l'EI est fortement présent ainsi que dans la zone de Tobrouk. Informations peu après confortées par le site Flight radar 24 qui a fait état de mystérieux vols d'observation que les avions ravitailleurs français opèrent dans la même zone. Ainsi, se confirment pleinement les révélations du quotidien Le Monde dont certaines semblent d'ailleurs avoir été occultées. On tient pour avérés les soutiens que des militaires français présents à Benghazi apportent aux troupes du général Khalifa Haftar, bras armé du gouvernement reconnu par la communauté internationale qui a pourtant condamné le raid américain de Sabrata au motif qu'il est «attentatoire à la souveraineté de la Libye». Chose bizarre, cette réaction intervient après la cinquième opération du genre avouée par le Pentagone, depuis 2013, des drones ayant été systématiquement utilisés pour pister les responsables de l'EI ou d'Aqmi dans la région. En outre, les services de renseignements français et américains coopèrent fortement comme en témoigne la frappe de novembre 2015, à Derna, au cours de laquelle le chef de Daesh pour la Libye, l'Irakien Abou Nabil, a été abattu. Cette présence active des troupes françaises, sous diverses formes civiles et militaires, n'est pas aussi clandestine qu'on veut bien le dire et les résultats obtenus par les forces de Haftar, qui ont repris plusieurs quartiers de Benghazi où des combats les opposent aux milices de Fadjr Libya, le prouvent amplement. En 2011 déjà, la France avait déployé très discrètement quelques petites équipes chargées d'encadrer, armer, former, voire accompagner au combat les miliciens du CNT. Certaines livraisons d'armes s'étaient faites par ailleurs, via un terrain d'aviation secret dans le Jebel Nefousa, au sud de Tripoli. Nul doute que la France a conservé des contacts, à Benghazi particulièrement. Toute cette agitation, conjuguée au fait que la naissance au forceps du gouvernement Al Serraj II est sans cesse remise à des lendemains plus lointains que jamais, devient suffisamment irritante pour provoquer une nouvelle intervention occidentale. Outre le fait que la France va utiliser son porte-avion de retour du Golfe pour ausculter les côtes libyennes, notamment à Syrte, il y a cette mission spéciale, drapée dans l'humanitaire, que l'Italie a engagée à Misrata avec ses forces spéciales et cet aval donné aux drones américains basés à Sigonella, en Sicile, pour procéder à des frappes en Libye. Enfin, l'emploi conjugué des avions ravitailleurs KC 135 de la base d'Istres (France) par l'aviation américaine, officiellement pour surveiller la bande sahélo-saharienne et intervenir si besoin est au Mali, constitue la cerise sur le gâteau de cette intervention annoncée. Il n'en demeure pas moins que le bilan de la précédente intervention, en 2011, est encore présent dans les esprits, la poudrière libyenne étant un résultat direct des va-t-en guerre de l'époque. Répéter deux fois la même erreur, par-delà la tragédie que cela implique pour les peuples de la région et surtout le peuple libyen, relève ni plus ni moins que du crime contre l'humanité. Cet aventurisme, au cas où il serait tentant pour certaines capitales impatientes de solder leur passif, aurait un impact désastreux pour la sous-région maghrébine, et tout particulièrement la Tunisie et l'Algérie contrainte depuis des années de surveiller attentivement sa frontière avec la Libye. Il aurait également des conséquences indirectes, mais tout aussi graves, sur la stabilité des pays du Sahel, confrontés aux menaces terroristes conjuguées de la branche d'Al Qaïda au Maghreb, de Boko Haram et des Shebab. Le Mali, mais aussi le Niger, la Mauritanie, le Sénégal, le Cameroun et le Nigeria seront des cibles évidentes pour des raisons à la fois historiques et géopolitiques. Voilà pourquoi il n'y a et il ne peut pas y avoir d'autre solution que celle préconisée inlassablement par Alger, acteur engagé dans les médiations onusienne et africaine (le Groupe des pays voisins) pour un traitement politique du dossier. La contourner, l'ignorer ou feindre de l'accompagner tout en courant d'autres lièvres, serait une faute politique impardonnable dont l'EI saura sans doute tirer des dividendes inattendus.