Une délégation de Tobrouk à Skhirat en juillet 2015 Telle est la réalité exhaustive d'un pays où l'Etat n'a jamais existé en tant que ciment de l'unité nationale, mais résulte d'un équilibre fragile et constamment renouvelé. Le Parlement et le gouvernement reconnus par la communauté internationale ont surpris tout le monde, samedi, en condamnant le raid américain sur Sabrata, alors que l'attente concernait l'aval au nouveau gouvernement d'union proposé par Fayez al Serraj convoqué à Tobrouk pour argumenter ses choix des 18 membres qui doivent composer son équipe. Bizarrement, c'est au moment où il est de plus en plus fortement question de l'intervention militaire occidentale et tandis que les affrontements entre les forces loyalistes de Khalifa Haftar et les milices locales hostiles (il s'agit vraisemblablement du Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi qui est une coalition de milices islamistes et radicales constituée pour faire face aux forces de Haftar. Soutenu par Fajr Libya, il regroupe notamment la milice Bouclier de Libye, les «Brigades» des martyrs du 17-Février, Rafallah al-Sahati et Ansar Asharia)ont fait au moins 14 morts parmi les soldats, autour de Benghazi, que cette décision lourde de sens est intervenue. Comme s'il s'agissait en fait de rappeler, de façon adjacente, que l'approbation de la liste Al Serraj II ne se fera pas sous la forme d'un diktat de la communauté internationale, mais sera, bon an mal an, un libre choix des seules factions libyennes. Mais c'est là justement que le bât blesse, puisque ni la faction de Tobrouk ni celle de Tripoli n'ont l'air de vouloir se hâter en ce sens, appliquant à merveille l'adage selon lequel ils sont tombés d'accord pour ne jamais parvenir à un accord. Entre les factions majeures et les milices locales, d'obédience islamistes, il y a également la Force de la Cyrénaïque qui est une coalition anti-islamiste de tribus locales, basées dans l'Est libyen et dirigées par Ibrahim al-Jodrane. Cette Force revendique le fédéralisme et réclame ni plus ni moins que l'autonomie de la région. Ses forces contrôlent une grande partie des terminaux pétroliers de l'Est. Jusqu'ici, cette composante par ailleurs disparate n'a pas avoué explicitement son ralliement à Haftar mais elle se veut résolument hostile à Fajr Libya. Telle est la réalité exhaustive d'un pays où l'Etat n'a jamais existé en tant que ciment de l'unité nationale mais résulte d'un équilibre fragile et constamment renouvelé, dans son dosage comme dans ses objectifs, entre les exigences des uns et les attentes des autres. Depuis le roi Idriss à Mouammar el Gueddafi, auteur du coup d'Etat qui fit éclater un royaume non moins consensuel, la balance des forces en présence a régné sans partage jusqu'au printemps arabe de 2011. La balle est dans le camp des factions principales, Tripoli et Tobrouk, du moins en apparence. De leur volonté, dépend en principe la mise en oeuvre du programme arrêté lors de la réunion de Rome durant laquelle la communauté internationale a fait de la mise en place du gouvernement d'union une priorité cruciale. Mais c'était en novembre 2015 et en février 2016, on n'est pas plus avancé dans la concrétisation de cette mission incarnée par le représentant du secrétaire général de l'ONU, Martin Kobler. Ce dernier découvre, tout comme son prédécesseur Bernardino Leon, que le désert libyen est lui aussi riche en mirages! Mais ne dit-on pas que tout vient à point à qui sait attendre? Le médiateur onusien a le mérite de l'opiniâtreté et son bâton de pèlerin à la main, il poursuit son va-et-vient à Skhirat, persuadé de gagner son pari, tôt ou tard. Prudents, certains pays n'en agissent pas moins en sourdine, c'est le cas de l'Allemagne qui songe à l'envoi de soldats en Tunisie pour y former l'armée tunisienne puis, éventuellement, libyenne à la lutte contre l'organisation de l'Etat islamique (EI) qui constitue une menace régionale, selon l'hebdomadaire Bild am Sonntag. Le journal indique que des représentants des ministères des Affaires étrangères et de la Défense vont se rendre jeudi et vendredi prochains à Tunis pour étudier comment des militaires allemands pourraient participer à une mission d'entraînement, première étape dans la création, avec d'autres partenaires internationaux, d'un camp d'entraînement en Tunisie pour des soldats libyens. L'armée allemande est déjà fortement impliquée, au plan logistique, en Irak et en Syrie, auprès de la coalition internationale. Ce regain d'intérêt pour la situation chaotique en Libye vient en écho aux propos de la responsable de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, qui a estimé que «les Européens doivent attendre une demande officielle pour intervenir en Libye contre l'EI» car, pour «défaire Daesh efficacement, on doit passer par un gouvernement libyen légitime et en charge de sa propre sécurité». On ne peut pas dire les choses plus joliment et c'est la litanie que brandissent inlassablement l'Algérie et les pays voisins de la Libye, depuis plus d'un an. Reste à souhaiter que le gouvernement Al Serraj II sera, demain, approuvé d'une main, celle de Tobrouk, en attendant l'autre, encore lointaine, puisqu'à Tripoli.