«Aviez-vous calculé les risques ou étiez-vous dans un état second au moment des faits?», clame la présidente. Ali vole un «troupeau» de «volailles». H'med et Abdelaziz l'attendaient pour racketter le produit du vol. Avant de quitter l'entreprise, ils sont pris la main sous les ailes des poulets... Jamais de mémoire de chroniqueur, nous n'avions senti autant de plaisir à suivre ce procès qui a tourné autour du vol (article 350 du code pénal) de, tenez-vous bien, 76 poulets, soit l'équivalent de près de 4000 dinars. Quelle fortune! Deux avocats sont constitués pour ce flagrant délit qui passe devant Nassima Khettabi, la juge de Boufarik (cour de Blida). Dans le lot, il y a le voleur pris la main autour des pattes de poulets et les deux receleurs qui risquent entre un et cinq ans au plus de prison ferme et une amende qui peut aller jusqu'à 20.000 dinars. En l'espèce, c'est la talentueuse Ghania Keddache, procureur de l'audience, qui a rappelé que conformément à la loi, quiconque, sciemment, recèle en tout ou en partie, des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un... délit, est puni et il y a de quoi, car ici le proverbe dit textuellement «qui vole un oeuf, vole un boeuf» va très bien avec «qui rachète un poulet volé vole une basse-cour ou une coopérative». Les deux avocats faisaient semblant de pas être affectés par une telle attaque en règle contre leurs clients. Ces derniers d'ailleurs avaient cessé de sourire, de gigoter lorsqu'ils avaient pris acte des demandes de Keddache: six mois de prison ferme pour les trois inculpés et une amende de 10.000 dinars. En cette mi-janvier 2005, les détenus et ceux qui étaient en liberté provisoire, avaient surtout froid dans l'échine car un frisson carabiné avait parcourue toute la colonne «cervicale». La procureur avait même jeté une exclamation où elle s'était interrogée que les inculpés ne s'attendent tout de même pas à ce que le ministère public leur permette de «monter» un méchoui de poulets. Me Abdenour, Omar, Aït-Boudjemaâ, et Me Karim Mostefaï, ne cessaient de ricaner à chaque fois que le mot poulet était prononcé, allusion aux éléments de la PJ. Khettabi, la présidente du tribunal, elle, avait cherché à comprendre le pourquoi de ce délit : «Vous aviez été arrêtés au pas de la porte de la société. Aviez-vous calculé les risques ou étiez-vous dans un état second au moment des faits?», avait-elle clamé. Ali F., le principal inculpé de vol, avait beau marmonner, balbutier, lâcher des syllabes, on ne retiendra qu'un: «Je me suis trompé. Je regrette. Pardon». Les deux receleurs ont eu droit à un savon que la magistrate a passé sans état d'âme: «Vous êtes plus coupable que le voleur, car sans vous vos assurances pour reprendre la volaille volée, n'aurait pas été possible à Ali de prendre ce grave risque de voler sa propre société», avait dit la présidente avec le sérieux qu'on lui connaît et reconnaît. Me Amine Morsli et Me Boudjemaâ Aït-Boudjemaâ, ces deux jeunes avocats ambitieux ont tenté, chacun avec son propre talent, de sauver ce qui peut être sauvé, en un mot, obtenir le sursis car ils ont fortement souligné, qu'effectivement la justice n'allait pas s'acharner contre trois pauvres bougres qui ont joué avec leur poste, leur avenir et même leur casier judiciaire. «J'irai même plus loin, madame la présidente, mes clients ont joué avec leur place dans l'entreprise mais aussi leur honneur a été atteint devant leurs familles et surtout leurs voisins pas toujours tendres envers des auteurs de délits que la société condamne», avait lancé Me Morsli Jr. Vite relayé par son confrère, Aït-Boudjemaâ a, lui, souligné que les inculpés sont certes coupables d'un acte irréfléchi, mais s'écria-t-il, «on ne va pas les envoyer à Aïn M'guel ou à Tazoult». Puis tout comme Me Amine, Me Boudjemaâ a prié le tribunal de tendre la main à ces égarés qui méritent les circonstances atténuantes les plus larges, car l'un des inculpés est un malade malgré qu'il soit balèze avec ses 1,89 m. «Il a beaucoup plus besoin de soins». Khettabi ne perd pas beaucoup de temps à examiner le dossier en fin d'audience. Elle trouve «sot» de remplir les prisons avec trois voleurs de... poulets. Il ne manquait plus que cela! C'est ce qui explique peut-être son verdict assorti du sursis, surtout que la détention préventive peut être une punition certes, mais aussi une thérapie. Les deux avocats ont quitté la salle d'audience, le sourire aux lèvres, laissant les «poulets» effectuer leur noble boulot, surveiller la bâtisse et ses occupants.