Les relations entre l'Algérie et la France ne doivent pas seulement être d'ordre économique «Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C'est la civilisation qui marche sur la barbarie. C'est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c'est à nous d'illuminer le monde.» Conversations de Victor Hugo et du général Bugeaud... Voilà ce qu'écrivait un monument de la littérature française, l'auteur des Misérables qui ont marqué notre imaginaire! Encore une fois l'Algérie et la France se retrouvent face à face et encore une fois 54 ans après une indépendance dans la douleur, les fondamentaux d'une réelle entente entre les deux peuples sont renvoyés aux calendes grecques au profit- c'est le cas de le dire- d'une coopération sans état d'âme et tout à fait banale sans réelle portée sur une éventuelle réconciliation entre les deux peuples au-delà des gouvernants qui sont de passage. Exception faite pour la période du président Chirac qui nous a donné l'illusion que la réconciliation était à portée de main, l'avènement du quinquennat de Nicolas Sarkozy donna un coup d'arrêt brutal à cette vision d'un traité entre l'Algérie et la France. Rien de spécial non plus avec le presque quinquennat de Hollande. Rien de nouveau sous le soleil, si ce n'est les affaires. Business as usual. Est-ce cela le solde de tout compte de 132 ans de compagnonnage douloureux qui se terminent par un pschitt comme disait Chira? Petite piqûre de rappel de ce que fut la colonisation Je prends le risque de paraître de ne regarder que dans le rétroviseur dans cette première partie de mon plaidoyer, pour la suite proposer une réconciliation qui à défaut d'être totale permettra à chaque peuple de faire son anamnèse et de regarder véritablement vers le futur. Pour l'histoire, la conquête sauvage de l'Algérie ne fut pas un long fleuve tranquille. Pour l'Histoire, la reconnaissance de la première République française a été faite par le dey d'Alger le 20 mars 1793. C'est la Régence d'Alger qui vint au secours de la République française naissante en acceptant de lui vendre du blé alors qu'elle était sous embargo européen. Les monarchies s'étant liguées contre la France. C'est cette créance qui n'a pas été honorée par les pouvoirs successifs en France et qui amena en prime l'invasion! La conquête de l'Algérie est-elle justifiée seulement par le désir de venger l'affront fait à un diplomate? Non, répond Pierre Péan, auteur de Main basse sur Alger. Cette conquête avait été menée dans le but de faire main basse sur les immenses trésors de la Régence d'Alger. Les trésors? L'équivalent de plus de 500 millions de francs de l'époque (soit 4 milliards d'euros). Après l'invasion, le peuple fut humilié, déstructuré, dépossédé de sa terre (60% des bonnes terres étaient détenues par 10.000 colons qui pratiquaient un apartheid avant celui des colons de l'Afrique du Sud. De plus, sa langue devient langue étrangère et l'administration coloniale mit la main sur les fondations pieuses (Habous) qui étaient des centres de rayonnement pour l'éducation et la culture. Au total, en 1863, sur les 173 mosquées d'Alger, il restait à peine une douzaine, toutes les autres furent démolies ou aliénées, certaines furent converties en écuries... Ce que fut la colonisation: l'oeuvre positive de l'Algérie envers la France «Lorsqu'on voit, écrit Jean Daniel dans son ouvrage «Le temps qui reste», ce que l'occupation allemande a fait comme ravage dans l'esprit français, on peut deviner ce que l'occupation française a pu faire en cent trente ans en Algérie.» Certes, à titre individuel des instituteurs, des médecins, des Européens admirables tentèrent d'alléger les souffrances des Algériens, mais ils furent, en petit nombre. Nous leur serons à jamais reconnaissants. Les rares Algériens instruits furent selon la belle expression de Jean El Mouhoub Amrouche, des voleurs de feu. Moins d'un millier d'Algériens formés en 132 ans, cela explique, les errements de l'Algérie après 1962. Tout au long de ces 132 ans, l'oeuvre coloniale ne fut pas positive car il faut savoir que pour son malheur, l'Algérie n'eut pas d'industrie, elle fut pourvoyeuse de matières premières (blé, agrumes, liège, minerais, alfa, vin, dattes...) et bien plus tard en pétrole qui a financé une partie des frais de la «pacification» en Algérie. Tout fut bon pour être arraché à ses propriétaires, une nuée d'agioteurs mit en coupe réglée une Algérie ouverte à tous vents. On dit que le maréchal Clauzel voulut, en vain, démonter l'arc de Triomphe de Djemila et l'envoyer à Paris enrichir le patrimoine. Ce fait est symptomatique de tout le butin que renferment les musées de France et de Navarre. La France s'honorerait à restituer ce patrimoine, notamment les ossements et les crânes des combattants algériens de la liberté, notamment des crânes des révolutionnaires algériens tels que Boubaghla, qui font l'objet d'un voyeurisme ceci depuis l'initiative de Geoffroy de Saint Hilaire qui, pour lutter contre le spleen des Parisiens, leur offrit à voir dans des cages les sujets de l'Empire. Ce furent les zoos humains. Cela n'empêche pas la France de recruter les indigènes pour les aventures coloniales. Pour l'histoire, des Algériens furent recrutés dans les troupes françaises depuis 1837 (les fameux turcos), ensuite zouaouas (Berbères) zouaves. Dans le cauchemar de Verdun et du Chemin des dames, des milliers d'Algériens y laissèrent leur vie. Du fait de la conscription obligatoire, pratiquement chaque famille eut un soldat engagé, qui mourut ou qui revint gazé ou traumatisé à vie. Moins de dix ans plus tard, ces Algériens se retrouvèrent à guerroyer dans le Rif pour combattre d'autres musulmans, notamment les troupes de l'émir Abdelkrim. Lors de la Seconde Guerre mondiale, les troupes coloniales furent, d'emblée, massivement intégrées aux plans de bataille et, placées en première ligne, elles payèrent un très lourd tribut lors des combats de mai et juin 1940. Plus tard, les troupes alliées, en débarquant en Italie, sont remontées petit à petit vers le Nord. A Monte Cassino on fit appel, une fois de plus, aux troupes coloniales françaises constituées de tirailleurs algériens et marocains. Elles défoncèrent, au prix de pertes très lourdes, les lignes allemandes le 22 mai 1944. Il y eut 140.000 soldats algériens. Il y eut 14.000 morts et 42.000 blessés. Ce sont, ces soldats qui revinrent ensuite au pays, pour voir leurs familles massacrées un jour de mai 1945... Pour reconstruire la France après la guerre, on fit appel là aussi aux tirailleurs bétons, ces fameux «guerriers du BTP, des mines ou de la sidérurgie» d'après Pascal Blanchard. Les «trente glorieuses» réussirent aussi grâce à l'apport des Algériens jusqu'au jour où le président Giscard d'Estaing décide de les «expulser». Cependant, dans tout cela on ne peut passer sous silence l'apport culturel de l'Algérie. L'Algérie eut aussi sa part, souvent la plus terrible dans le rayonnement de la France. A la fois pour défendre ses frontières, développer son économie, et participer par l'enseignement du français au rayonnement culturel de la France. Les Algériens sans rien demander en échange ont fait fructifier le «butin de guerre» que fut la langue française, à telle enseigne que l'Algérie paradoxalement est le deuxième pays francophone, elle a donc non seulement défendu la langue, l'a enrichie en lui adjoignant des termes spécifiquement algériens, mais cerise sur le gâteau offert à l'Académie française une écrivaine de talent en la personne d'Assia Djebar. En 2016, d'une façon ou d'une autre, 25 millions d'Algériens parlent, pensent et achètent à des degrés divers. La plus grande faute de la France Au sortir de la guerre, l'Algérie était profondément meurtrie. Sur une population de 8 millions d'habitants, 2 millions de personnes furent déplacées et regroupées pour couper les combattants algériens de leurs bases arrière, 10.000 villages furent brûlés, ce fut une intégrale de l'horreur, une sorte de condensé sur huit ans des horreurs de l'invasion pendant les cinquante premières années. Si on ajoute un autre accélérateur de l'anomie, l'OAS qui a contribué d'une façon décisive à élargir le fossé. Au sortir de la guerre, à peine un millier de diplômés du supérieur en 132 ans. Il n'est pas interdit de penser que notre société, qui a été profondément déstructurée, n'a pas pu participer en son temps au mouvement de l'histoire et de la première révolution industrielle. A bien des égards, notre gap technologique vient de notre état de colonisé pendant plus d'un siècle et trente ans! Au-delà des meurtres de masse, nous ne parlerons pas de génocide qui est une marque déposée, au-delà du sang, de la douleur et des larmes au-delà des traumatismes, la plus grande faute impardonnable de la France en Algérie, est d'avoir détricoté le tissu social en affamant sur le plan de l'instruction les Algériens. Qu'on en juge! Dans un rapport parlementaire de la commission dirigée par Alexis de Tocqueville en 1847, témoignent de la violence du choc civilisationnel: «Autour de nous, les lumières de la connaissance se sont éteintes... C'est dire que nous avons rendu ce peuple beaucoup plus misérable et beaucoup plus barbare qu'avant de nous connaître.» De son côté, l'intendant Raynal, évoquant les Algérois, «ces prétendus barbares», rapporte un fait qui lui paraît décisif en faveur de l'opinion qu'il a conscience de la civilisation des Maures. «Il existe, écrit-il, à Alger, un grand nombre d'écoles où l'on suit un mode d'instruction fort analogue à notre enseignement mutuel et je ne crois pas trop m'avancer en affirmant que l'instruction est plus répandue dans cet ancien repaire de pirates que dans beaucoup de villes de France.» Cohérent avec lui-même, le système éducatif français en cent trente ans, a «produit» un millier de diplômés dont les deux tiers étaient constitués de médecins et d'avocats et aucun dans les disciplines scientifiques et technologiques. L'Algérien a été réduit à être une main-d'oeuvre; la France siphonnait les matières premières. Les cadres formés devaient s'occuper des Algériens entre eux, les avocats pour gérer les litiges et les médecins de campagne pour soigner les Algériens. Pour terminer l'oeuvre positive comme il l'a débutée la bibliothèque d'Alger fut brûlée un matin de juin 1962 par les hordes de l'OAS complétant en cela l'incendie de la bibliothèque de Sidi Hammouda en 1837 lors de l'invasion sanglante de Constantine. Adrien Berbrugger archiviste à qui nous rendons hommage décrivant cela, écrivait que «chaque soldat voulait avoir son Coran et que faute de bois ils firent des ouvrages un grand feu». Il put sauver près de 800 manuscrits et les évacua dans des conditions rocambolesques à dos de mulets. Ceux qui brûlèrent les manuscrits de Tombouctou, détruisirent Palmyre, sont les héritiers de ces soudards. Pour terminer cet inventaire contre le savoir ajoutons que le nouveau ́ ́body shopping ́ ́ amène chaque année des milliers de diplômés algériens en France? Une grande partie de la matière grise est attirée par la France qui reçoit ainsi, sans avoir dépensé un sou, la fine fleur de l'Algérie. Pour l'Unesco la formation de chaque diplômé du supérieur revient à 100.000 $. Evaluons sereinement le manque à gagner de l'Algérie qui voit chaque année les meilleurs être aspirés. Une brillante application sans état d'âme de l'émigration choisie. Enfin, sans vouloir faire une comptabilité macabre des 13 gerboises multicolores, ni des essais chimiques qui ont aussi stérilisé des régions entières, le Sahara a failli connaître une nouvelle agression cette fois contre ce qu'il a de plus cher: la nappe phréatique, seule défense immunitaire, en envoyant la société Total dont on sait que l'exploitation des gaz de schiste lui a été interdite. Heureusement que la sagesse a prévalu. Comment pourrait être une vraie coopération dans la dignité Les relations entre l'Algérie et la France ne doivent pas seulement être d'ordre économique. On peut encore continuer comme cela pendant cinquante autres années, la douleur est là. Deux domaines peuvent, le pensons-nous, servir de trait d'union et de modèle de coopération entre la France. Force est de constater que les accords signés manquent d'épaisseur. L'Algérie ne devrait pas être pour la France qu'un marché. L'Algérie, c'est une culture, c'est une profondeur stratégique, c'est une histoire. Le passage de la France en Algérie n'est qu'un épisode dans l'histoire plus de trois fois millénaire. C'est un atout pour la survie de la France. Malgré tous les griefs de part et d'autre, il nous semble que la France et l'Algérie sont condamnés à s'entendre. Nous attendons de la France une attitude franche, apaisée, nous n'actionnerons pas ad vitam aeternam, une pompe à finance pour faire rendre gorge à la France. Comme le disait Boumediene, nous sommes prêts à tourner la page. Le transfert de technologie de savoir, de savoir-faire, nous n'avons pas besoin prioritairement de voitures, nous avons besoin de développer le Sahara en y créant des villes nouvelles. Dans une conférence que j'avais faite à Marseille en octobre dans le sillage de la COP21 j'avais indiqué quels étaient les défis de l'Algérie impactée par les changements climatiques, notamment par la désertification, le stress hydrique, l'élévation de température et les évènements climatiques erratiques. J'avais proposé que la COP21 serait bien inspirée à travers son fonds de soutien d'aider à concrétiser le Barrage vert. J'avais dit que l'Algérie avait mis en place une politique concernant la mise en place de centrales solaires et éoliennes et que pour cela, dans le cadre d'une vision globale de développement de l'Algérie du Sud. La création de villes nouvelles qui dégorgeront le Nord sur la dorsale In Salah-Tamanrasset, longue de 700 km, avec la disponibilité de l'eau et de l'électricité renouvelable serait alors un exemple à suivre. La richesse du Sahara, ce n'est pas seulement les énergies fossiles, la disponibilité d'une nappe phréatique de 45.000 milliards de m3, c'est aussi et surtout ce que l'on pourrait faire pour développer l'agriculture. Faisons du Sahara une seconde Californie. L'Algérie pourra ainsi, créer des industries performantes, exportatrices à travers le monde entier et créatrices de milliers d'emplois. La richesse du Sahara c'est aussi l'écotourisme, l'archéologie, les sources géothermiques à vocation multiple. L'aide à l'investissement dans le savoir Nous avons besoin, en tant qu'Algériens, d'une coopération dans la dignité, forte au nom de l'histoire et du capital culturel qui a été sédimenté dans le sang et la douleur. Nous sommes nombreux à penser que le moment est peut-être venu de miser sur la connaissance pour renouer le fameux dialogue des cultures et des civilisations. Une université virtuelle, grande bibliothèque numérique comme dette devrait être érigée et confortée. Parallèlement, le besoin de racines de la communauté algérienne expatriée devrait trouver en France un moyen d'expression spécifique à travers la mise en place d'institutions scolaires qui s'inscrivent naturellement dans les lois de la République. Le moment est venu aussi de penser à ériger un institut de la mémoire où notre Histoire commune sera étudiée sans état d'âme. L'Algérie ne fait pas de sa douleur passée une pompe à finance pour faire rendre gorge à la France. Les Algériens sont courageux de leur passé commun en tentant d'avancer sur la vraie voie de la réconciliation. Chirac fut le seul chef d'Etat à faire le déplacement quand il y a eu les inondations et qui à sa façon a dit «Je suis Bab El Oued». Nous voulons croire, aux mots de Jacques Chirac prononcés en mars 2003 à Alger: «Le temps et notre long dialogue, jamais interrompu, ont fait leur oeuvre. Nos deux nations cicatrisent les blessures du passé. Elles en assument la mémoire. Une ère nouvelle s'ouvre. De part et d'autre de la Méditerranée, Algériens et Français se tendent une main fraternelle. Dans notre monde secoué par les crises, traversé par le doute et l'incertitude, où certains sont tentés par le repli sur soi, le refus de l'Autre et la violence, puissent l'Algérie et la France faire entendre leurs voix. Puisse leur volonté obstinée leur permettre de délivrer un message de solidarité et de paix tout autour de la Méditerranée et au-delà!» A n'en point douter, une nouvelle refondation serait un facteur d'équilibre dans une région qui a grand besoin de stabilité.