«Le microbiote, ami ou ennemi?» Les médecins sont invités à découvrir un thème très innovant à l'occasion de la réunion de la Société algérienne de dermatologie, d'esthétique et de cosmétiques (Sadec) ce 14 avril (demain), au Kiffan Club, à Alger. Un rendez-vous annuel chapeauté par le professeur Ammar-Khodja. Ce dernier évoque le thème, inédit, autour duquel les blouses blanches sont appelées à se réunir. Ce thème, initialement lancé aux USA sous l'intitulé «Microbiote project» est décrit comme très novateur et faisant l'objet de travaux très importants, à travers le monde. Il s'agit du microbiote et son corollaire, le microbiome (étude génomique du microbiome). Le microbiote regroupe tous les germes qui vivent avec l'homme. Le professeur Ammar-Khodja cite un compagnonnage qui est constant à ce propos. Ce microbiote c'est quelque chose qui vit sur les interfaces, avec l'extérieur en particulier, à savoir le tube digestif en première priorité et la peau en seconde priorité. «Ce sont les deux organes qui sont les plus concernés par ce microbiote et ce microbiome», précise le professeur. L'Expression: Le microbiote c'est quoi? Pr Ammar-Khodja: Le microbiote c'est la cartographie de tous les germes qui vivent sur notre peau et celle de ceux qui vivent dans le tube digestif. Evidemment en ce qui nous concerne, nous nous intéresserons davantage aux germes qui vivent sur notre peau, lesquels vont constituer le microbiote cutané de l'être humain. Quand est-ce que commence l'aventure du microbiote? En fait, l'aventure du microbiote commence dès la naissance. Quand nous naissons, nous sommes stériles. Le nouveau-né ne porte aucun germe, ni sur la peau ni sur le tube digestif. Quand vous naissez par voie naturelle, c'est-à-dire par voie basse, vous allez recevoir les germes de la maman qui sont les germes de la filière génitale au moment de la naissance. Alors que lorsque vous naissez par césarienne, vous ne recevez pas ces germes-là mais vous recevez les germes environnementaux: ceux du médecin, et ceux des infirmières qui sont en contact direct avec vous. Et c'est là que va commencer l'aventure du microbiote, soit la colonisation de notre organisme par des germes qui vont donc constituer ce microbiote. Que vous naissiez par voie naturelle ou par césarienne, le type de germes que vous avez n'est pas le même. Mais à partir de trois mois, voire six mois, l'on assistera à un rééquilibrage et nous aurons strictement les mêmes germes, que l'on naisse par voie basse ou par césarienne. C'est quoi au juste ce microbiote? Ce sont des germes qui vont vivre avec nous, qui sont indispensables à notre vie, et chacun d'entre nous a un microbiome qui lui est particulier, propre; c'est littéralement une carte d'identité individuelle. D'ailleurs, à l'avenir on n'évoquera plus l'étude ADN chez les personnes, mais plutôt l'étude microbiote chez les êtres humains. En somme, chacun d'entre nous a son microbiote qui lui est intimement lié et qui lui fait office d'un véritable «code barre». Ainsi chacun a son propre code barre qui lui est strictement personnel. C'est donc là un sujet innovant? Effectivement. Et c'est la première fois que nous avons l'occasion d'en parler d'une façon aussi approfondie. Le choix d'aborder ce thème de manière aussi exhaustive est dicté par la nature même du sujet. En fait ce microbiote joue un rôle fondamental en matière de pathologie. L'on s'est rendu compte que le microbiote qui est, rappelons-le, un authentique code barre de l'individu, va être modifié au cours des maladies que ce dernier subit au fil de son existence. Cette modification du microbiote est justement en relation avec les maladies; qu'elles soient inflammatoires, infectieuses, et même celles qui relèvent de la cancérologie et de l'oncologie. D'où, donc l'importance extraordinaire qu'est en train de prendre le microbiote dans l'approche médicale actuelle. Comment allez-vous utiliser ce microbiote dans la pratique médicale, c'est-à-dire utiliser ce dernier dans le traitement des pathologies? Avant de parler du curatif, il est utile de rappeler ici qu'un certain nombre de maladies seront abordées et développées au cours de la Journée d'études organisée par l'association, et qui concernent les maladies inflammatoires comme la dermatite atopique, le psoriasis, les maladies infectieuses comme l'hydradénite suppurée ou maladie de Verneuil, et même l'acné lequel est largement concerné par les modifications de ce microbiote. Je cite en outre l'oncologie, d'autant qu'il y a une association avérée avec le lymphome cutané, lequel est très bien identifié. Mais également avec les carcinomes, en particulier le carcinome de Merkel qui est associé au polyoma virus et d'une façon plus générale avec le mélanome, par exemple. De très grandes études tendent à démontrer, désormais, l'implication quasi constante du microbiote dans pratiquement toutes les pathologies. Que ces dernières soient infectieuses ou qu'elles soient dues aux champignons ou aux parasites, les maladies inflammatoires et les cancers quels qu'ils soient. Ainsi, il est évident qu'une révolution médicale est en train de s'installer actuellement. Quelle part prendra l'étude du microbiote lors de la Journée d'études que vous organisez? Toute la matinée de la Journée d'étude sera consacrée à l'étude du microbiote, soit la cartographie des germes qui vivent avec nous et le microbiome qui est la génomique qui est l'étude par les gènes. Les deux sont associés car c'est grâce à l'étude des gènes des microbes que l'on a compris qu'il y avait énormément de germes que nous ne connaissions pas. Si à la naissance il n'y a pas de germes, l'être humain, au terme de sa vie, mourra dans les germes. Ces derniers seront alors dix mille fois supérieurs en nombre à toutes ses cellules réunies. Ainsi, l'homme né stérile et meurt complètement dans les germes. Finalement, il est complètement immergé dans les germes en raison du nombre de ces derniers. Est-ce que ces germes ont un effet bénéfique? Oui! Car le fait d'être colonisé par les germes a pour conséquence primordiale le développement de notre système immunitaire. Tous les germes que nous allons acquérir après la naissance vont nous aider à développer un système immunitaire qui va nous protéger contre les germes, contre certaines maladies inflammatoires et certains cancers. D'où l'importance de ce microbiote. Est-ce à dire que chaque personne dispose de son propre capital microbiote? Le microbiote est individuel, comme je l'ai déjà indiqué. Autrement dit, chaque personne dispose de son code barre et de sa carte d'identité microbiotique. L'on passera à l'avenir de l'étude ADN à celle du microbiote pour définir l'individu, car entre une personne A et une personne B le microbiote ne peut être identique. La Journée d'études verra la participation de nationaux ou d'étrangers? Comme je n'ai de cesse de le réitérer, je tiens à ce que ce genre de travail soit effectué par de jeunes Algériens. Ces derniers le font d'ailleurs merveilleusement bien. Ce thème principal ne requerra pas l'intervention de personnalités étrangères. Nous allons donc reconduire l'expérience que nous avons capitalisée au bout de trois ans et ce, en confiant à nos jeunes résidents ce travail. Ces résidents sont impliqués corps et âme dans leur mission et tiennent à la réussite de ce rendez-vous qui a pour thème le microbiote. Quels seront les débouchés et les perspectives de cette Journée d'études? Les perspectives ne sont pas immédiates car le sujet est en cours d'exploration. Beaucoup de travail reste à faire et il faudra établir la cartographie génomique de ce microbiote avant de passer à l'étape suivante qui est l'étape thérapeutique. Les choses commencent néanmoins à évoluer vers cet objectif, puisque dans certaines maladies comme la maladie de Crohn qui est une maladie inflammatoire intestinale assez grave, l'on essaye d'éviter les traitements et ce en optant pour la greffe d'un microbiote équilibré au microbiote disbiotique (déséquilibré). Un microbiote équilibré étant riche en germes alors qu'un microbiote déséquilibré ou pathologique en est pauvre. La diversité microbienne est synonyme de bonne santé. Les études thérapeutiques tendent à imposer la greffe au niveau intestinal chez les gens atteints de la maladie de Crohn pour rétablir la symbiose et la diversité microbienne et guérir cette maladie. Est-ce à dire que l'on s'écarte de la pharmacopée traditionnelle, un nouveau virage est-il en train d'être amorcé? C'est là une véritable révolution dans la compréhension de la médecine. Cette approche veut que l'on s'écarte du classique schéma «Un germe, une maladie»; le concept inédit oriente vers: «Un germe qui va dominer un microbiote, qui risque de donner une maladie». Cela ne veut pas dire que tout le reste est mauvais, mais l'essentiel consiste à pouvoir rétablir le microbiote qui est diversifié et équilibré pour chaque individu. C'est là le meilleur garant pour éloigner le spectre de la maladie. Finalement, le concept «Un germe, une maladie» est en train d'être battu en brèche.