Les Afghans ont veillé dans la nuit de samedi à la lueur des bougies. Kaboul a pleuré et enterré ses morts hier, journée de deuil national, au lendemain du sanglant attentat revendiqué par le groupe Etat islamique. Ils ont veillé et prié entre les flaques de sang et les débris de l'attaque place DehMazang, rebaptisée «place des Martyrs» par le président Ashraf Ghani en hommage aux 80 morts et 231 blessés, des membres de la minorité chiite hazara essentiellement. Le double attentat suicide s'est produit en fin d'une manifestation contre le tracé d'un ligne électrique délaissant la province de Bamyian, fief hazara négligé de longue date par le gouvernement central. A la mosquée Mazari voisine, les autorités ont étalé sur un immense drapeau afghan, convoyé la veille par les manifestants, les effets collectés sur le site: chaussures, vêtements, châles ensanglantés qui déclenchent des scènes emplies de pleurs et de désespoir, face à la mort d'un frère, d'un ami. En début d'après-midi, les 80 corps ont été portés en terre dans un grand vent de poussière sur la «Colline des Martyrs» (Tapa Shahada), en surplomb de Kaboul, dans un cimetière improvisé pouvant accueillir toutes les tombes, creusées à la pelle les unes à côté des autres. Le carnage de samedi est la pire attaque conduite dans la capitale afghane depuis l'intervention américaine qui a chassé les taliban en 2001 et la plus importante jamais conduite par l'EI dans cette capitale de 5 millions d'habitants. Le représentant de l'ONU à Kaboul, Tadamichi Yamamoto, a assuré dans un communiqué qu' «une attaque qui cible délibérément une large concentration de civils relève du crime de guerre». La tension restait forte hier parmi la foule blâmant les organisateurs de la manifestation autant que la police - les uns et les autres incapables d'avoir su garantir la sécurité du défilé. «Moi j'en veux aux forces de l'ordre, elles ont été négligentes», disait un homme, Subhan Ali. «Les policiers ont été les premiers à fuir les lieux après l'explosion. Nous voulons une vraie enquête et que ceux qui ont failli soient traduits en justice». Le chef de l'Etat a ordonné samedi soir la création d'une commission pour conduire «une enquête exhaustive» sur l'attentat. Il a promis «de venger les victimes des auteurs de l'attaque, où qu'ils se trouveront» et de «sanctionner les coupables, au sein ou à l'extérieur du gouvernement». Pour les 10 prochains jours, le ministère de l'Intérieur a interdit tout rassemblement ou défilé - officiellement afin d'offrir un temps de recueillement aux victimes et à leurs proches. En filigrane, se profile la suspicion que les autorités n'ont pas dédié suffisamment d'attention ni de moyens à la protection de la manifestation hazara, une minorité chiite de trois millions de personnes dans un pays majoritairement sunnite, persécutée pendant des décennies. Et c'est bien cette communauté chiite que Daesh (EI) a ciblée en dépêchant ses kamikazes. Avec cette attaque sans précédent dans Kaboul, l'organisation Etat islamique, présente dans l'est du pays depuis fin 2014, fait une entrée spectaculaire dans la capitale afghane et contredit le discours officiel qui tend à minimiser sa présence et sa menace. Alors que l'armée et le gouvernement épaulés par l'OTAN luttent vaille que vaille pour contenir la progression des taliban dans de nombreuses provinces, le président Ghani avait annoncé la défaite des combattants de l'EI en mars dernier. Début juillet, le général américain John Nicholson, commandant des forces de l'OTAN en Afghanistan, se montrait également confiant: les frappes aériennes concentrées sur les positions de Daesh dans la province de Nangarhar avaient déjà permis de les expulser de la plupart de leurs positions. «Ils sont acculés et désormais réduits à deux ou trois districts, contre neuf en janvier».