«J'ai perdu treize ans de ma vie. Et quand mon frère Matoub fut assassiné, ma triste vie s'est complètement arrêtée.» De loin, avec son chapeau et sa veste en cuir à la cow-boy, elle avait l'air d'une texane et/ou d'une gitane qui vit au rythme des migrations. Mais de près, elle ressemblait à une sirène, sortant de l'eau, toute belle souriante, timide et surtout élégante. Après 13 ans d'exil, la star de la chanson kabyle, Mme Malika Domrane, avait du mal à se maîtriser, hier, lors de sa rencontre avec la presse nationale. «Pardonnez-moi, je ne suis pas une bonne oratrice», lance timidement la chanteuse, les larmes aux yeux. Très heureuse de retrouver l'Algérie après une longue période d'absence, l'invitée d'Art et Culture se produira aujourd'hui à la salle Ibn Khaldoun en compagnie de son orchestre dirigé par le grand Arezki Barodi. «J'ai toujours caressé le rêve de revenir chanter en Algérie. Mon intention est de faire une tournée à l'échelle nationale, je suis prête à le faire à condition que les gens s'entendent autour de moi», dira Mme Domrane. Le verbe simple et l'âme modeste, la chanteuse se met à raconter ses treize années d'exil, regrettant sur un ton triste cette escale «forcée» qui a fait d'elle, à la fois, «une ensible, humaniste et révoltée». Le 19 septembre 1994, quelques jours avant l'enlèvement du regretté Matoub Lounès et l'assassinat à Oran de Cheb Hasni, Malika Domrane quitte l'Algérie pour s'installer en France. «J'ai perdu treize ans de ma vie. Et quand mon frère Matoub fut assassiné, ma triste vie s'est complètement arrêtée. Sincèrement, je n'ai pas envie de parler de mon exil, ça me fait très mal, j'étais loin de mes enfants, je pensais la même chose que Fadma Ait Mansour, j'avais peur de mourir en terre étrangère», dira la conférencière sur un ton mélancolique. C'est en larmes qu'elle raconte son «misérable» passage à Paris. L'assistance fut très touchée, au point qu'un silence religieux régna dans la salle. Ses souvenirs l'ont plongée dans la désolation. Elle préfère alors parler d'autre chose, et elle dira, d'une voix basse, «je fais ma propre thérapie et je vais me consacrer entièrement à la jeunesse algérienne.» De quelle manière? Malika Domrane ne répondra pas aussitôt. Au sujet de son concert, elle promet une surprise à son public et à ses admirateurs. Elle annonce que son spectacle est composé de deux parties. La première représente la surprise promise à son public, tandis que la deuxième constitue une sorte de best of. Sur son travail pendant ses treize ans d'exil, Malika Domrane fera savoir qu'elle a pu, en dépit d'un climat peu favorable, enregistrer un album. Elle est en train d'en préparer un second au bonheur de son large public. «C'est un hymne à la paix, à la joie et un hommage à toutes les algériennes». La force qui lui permet de «se maintenir à flot», elle la doit à huit années de travail auprès de dont elle s'est occupée lorsqu'elle était infirmière à l'hôpital psychiatrique de Tizi Ouzou. «Elles m'ont donné énormément. Elles me racontaient tout. Tout ce qu'on cache, elles me le livraient sans gêne. Elles m'ont beaucoup inspirée dans le choix des thèmes de mes chansons, elles m'ont appris des poèmes avec lesquels j'ai fait un recueil», confia Mme Domrane aux journalistes. Il y a lieu de signaler enfin que Malika Domrane a entamé sa carrière artistique en chantant en kabyle dans une chorale et en écrivant ses premières chansons. Elle s'est distinguée au festival panafricain d'Alger en 1969 et a composé, à quinze ans, le premier titre qui va la faire connaître : Tirga Temzi (Rêves d'adolescence) toujours inscrit à son répertoire aujourd'hui.