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Du système économique de l'Islam
Publié dans L'Expression le 02 - 03 - 2005

Le problème central de notre époque, dont des milliers de gens, même dans le monde occidental, commencent à prendre conscience, c'est que le modèle de croissance développé par l'Occident depuis cinq siècles et qui consiste à produire de plus en plus, et de plus en plus vite, n'importe quoi, utile, inutile, nuisible ou même mortel, et à créer de faux besoins pour écouler cette production, a fait faillite, dans sa version capitaliste et dans sa version socialiste, dans sa version américaine et dans sa version soviétique.
Le problème de l'avenir de l'Islam se pose donc en termes très simples et très clairs: ou bien il entrera dans l'avenir à reculons, les yeux fixés sur le passé, rabâchant des commentaires et des commentaires de commentaires sur les problèmes juridiques qui se posaient au temps des Omeyyades et des Abbassides(1); ou bien il se montrera capable de résoudre le problème d'un nouveau modèle de croissance qui ne conduise pas le monde à un suicide planétaire, (comme dirait le professeur Roger Garaudy dans l'Islam vivant) et il prendra son vol victorieux comme au temps où il résolvait au 1er-siècle de l'Hégire, les problèmes posés par la décadence des deux empires de Byzance et de Perse.
On sait que l'Islam se présente comme un guide efficace aussi bien- sur le plan matériel de la vie que sur le plan spirituel. Même dans le domaine de l'économie* ; l'enseignement de base est tiré du Saint Coran qui affirme en maints versets, la nécessité pour l'homme de ne pas mépriser son propre bien-être matériel. Loin de mépriser le bien-être matériel, il reconnaît ( S4/5) : «les biens vôtres dont Dieu a fait votre subsistance...» ; il commande: «N'Oublie pas ta quote-part d'ici bas»
(Coran S-28/77). D'autres versets précisent que Dieu a créé pour l'homme tout ce qui se trouve sur la terre, dans la mer et même dans les cieux etc. ... il va de soi qu'il appartient à l'homme de savoir comment profiter de ce que Dieu a créé et d'en profiter d'une façon rationnelle, avec un regard sur l'avenir.
La politique économique de l'Islam est également précisée dans le Coran en des termes non équivoques: «afin que cette (richesse) ne reste pas dans le cercle des riches d'entre vous» (S - 59/7).
(1)- Ce furent les deux premières dynasties après les quatre Califes du prophète.
Gradation de la richesse
En effet, l'égalité de tous les êtres humains devant la richesse et le confort, même si c'est un idéal, ne promet pas d'être un bien absolu et sans mélange. Parce que d'abord les talents naturels ne sont pas les mêmes chez les différents individus, si bien que si l'on pouvait instituer un groupe d'hommes dans une égalité complète, bientôt le gaspilleur tomberait dans des difficultés économiques et regarderait avec avidité et envie la fortune de ses camarades. Puis sur la base philosophique et psychologique, il semble qu'il soit souhaitable, dans l'intérêt même de la société humaine, qu'il y ait une gradation de la richesse.
Quand on sait qu'on va profiter des gains de son effort, pour soi-même, pour sa famille et pour ses héritiers, on s'efforce de travailler et d'inventer. Au contraire, si chacun savait que même en travaillant plus qu'on ne lui impose comme devoir, il ne serait pas récompensé en conséquence, il deviendrait paresseux et négligent, et il perdrait tout esprit d'initiative et tout talent pour le grand malheur de l'humanité.
C'est à partir de ce principe fondamental que l'Islam a construit tout son système économique. S'il tolère la minorité des riches, il leur impose des obligations plus onéreuses : ils doivent payer des impôts dans l'intérêt des pauvres, et il leur interdit de pratiquer les moyens immoraux d'exploitation, de thésaurisation et d'acquisition de la richesse. Après avoir posé la distinction entre le minimum nécessaire et la plénitude souhaitable, il distingue parmi les moyens à mettre en jeu, pour parvenir à un juste équilibre, entre les commandements coercitifs (base de sanction) et les commandements de persuation, (à base d'éducation).
C'est là l'aspect moral du problème, dont il convient de dire d'abord quelques mots: certains exemples permettront de mieux saisir son implication : les termes les plus vigoureux ont été employés par l'Islam pour dire que mendier est chose abominable, ce sera un motif de honte, au jour de la Résurrection. Mais en même temps des éloges sans limites ont été faits de ceux qui viennent en aide à autrui ; «le meilleur des hommes est celui qui fait des sacrifices et préfère son prochain à lui-même», comme dirait le prophète dans ses nobles citations. Egalement, on interdit à la fois l'avarice et le gaspillage.
Un jour que le prophète de l'Islam - Salut divin Sur—Lui— avait besoin de fonds considérables pour une cause publique, un de ses amis apporte une certaine somme, et à la demande du prophète, il répondit: «je n'ai laissé à la maison que l'amour de Dieu et de son messager». Il reçut les éloges les plus chaleureux. Mais, un autre jour, un autre compagnon, gravement malade, à qui le prophète rendait visite pour prendre de ses nouvelles, lui dit: «O messager de Dieu, je suis un homme riche et je veux léguer tous mes biens à la cause des pauvres», le prophète Mohammed - que le Salut divin Soit Sur Lui-, répondit: «Non, il vaut mieux laisser à tes proches parents de quoi vivre indépendants plutôt que de les laisser mendier». Le prophète ne lui accorda pas non plus de faire charité des deux tiers de ses biens- ni même de la moitié; il lui conserva le tiers et dit: «Bien, mais le tiers, c'est beaucoup». Un jour, le prophète vit un de ses compagnons dans un état lamentable. A sa demande, il répondit: «O messager de Dieu, des biens, j'ai ce qu'il me faut, mais je préfère les donner au pauvres au lieu de les dépenser pour ma propre personne». Le prophète répondit: «Non, Dieu aime voir sur son serviteur les traces de ce qu'il lui a donné».
Il n' y a aucune contradiction dans ces différentes directives, chacune a son propre contexte et se rapporte à des cas d'espèces : par contre, elles nous permettent d'établir les limites de la discrétion, là où la charité s'aventure au-dessus du minimum obligatoire.
En interdisant la mendicité qui est en elle même humiliante et asservissante, l'Islam réhabilite au plus haut point le travail des hommes, il le considère comme le facteur fondamental de la production et de l'accumulation et comme la source principale de tout progrès social et de la richesse économique.
À la notion du travail doit être liée celle de la dignité. Ce qui fait la dignité de l'homme, c'est son travail, ce qui entraîne sa déchéance, c'est l'oisiveté. Sans travail, le citoyen devient une charge pour la société.
Le travail est rémunéré selon la quantité et la qualité du travail fourni. Cela permet de récompenser l'effort, de stimuler l'initiative et de favoriser la production. Il rejette l'égalitarisme simpliste qui ne tient pas compte du mérite personnel et des talents individuels et constitue une prime à la médiocrité.
Contre le positivisme des systèmes économiques opposant la prétendue «science pure» à la morale, dans une économie islamique idéale, morale et économie sont inséparables. Il ne s'agit nullement d'exclure la science au nom de l'utopie ou la rationalité au nom de la foi; mais au contraire de ne pas mutiler la raison de ses fonctions les plus hautes: la rationalité ne consiste pas seulement à trouver les moyens les plus efficaces pour atteindre n'importe quel but, mais aussi, et d'abord, à choisir le but.
Les rapports avec les autres hommes découlent de ces rapports avec Dieu: dans l'acte le plus humble, celui même de l'échange sur le marché, nous ne pouvons tricher, ni tromper: car cette tricherie ou cette tromperie que notre partenaire humain peut ne pas voir, n'échappe pas à l'oeil de Dieu, le Puissant et l'Omniprésent. Par conséquent, en Islam, tous les aspects de la vie économique sont commandés par cette vision de l'homme et du monde.
Du droit d'hériter et de tester en islam
Toute législation de l'héritage se doit de sauvegarder à la fois le droit de l'individu à disposer librement de ses biens, et le droit de la collectivité vis-à-vis des biens de chacun en tant que membre de cette société.
Dans l'intérêt de la collectivité, l'Islam se propose de protéger celle-ci contre les tempéraments variables des individus et les aléas imprévisibles du temps, d'abord en rendant obligatoire la répartition des biens d'un défunt (de cujus) entre ses proches parents, et ensuite en restreignant la capacité de léguer par testament.
En effet, les héritiers légaux n'ont besoin d'au estament, comme le souligne notre prophète Mohammed Salut divin sur lui- dans sa noble citation, c'est-à-dire ils héritent automatiquement dans les proportions prescrites par la loi coranique, les biens du de cujus. Quant au testament, il est admis uniquement en faveur de ceux qui n'ont pas le droit d'hériter d'un défunt.
Il y a égalité entre parents du même degré: on ne peut pas donner à un fils (aîné ou cadet) plus qu'à un autre, majeur ou mineur. Ceci posé, les biens laissés par un défunt doivent être distribués comme suit : on en prélève d'abord les frais d'enterrement; en second lieu, ce qui est nécessaire pour acquitter les dettes, les créanciers ont toujours priorité sur les héritiers; en troisième lieu, on exécute le testament, dans la mesure où il n'excède pas le tiers de ce qui reste après les deux premiers prélèvements (frais d'enterrement et dettes). C'est seulement après ces catégories prioritaires que vient le tour des héritiers. Le conjoint (ou la conjointe), les parents ascendants (père et mère) et les descendants (fils et fille) sont les héritiers de la première classe: ils héritent toujours, les frères et les soeurs ainsi que les parents plus éloignés héritent lorsque le défunt n'a pas laissé de plus proches parents. Dans la nomenclature des parents éloignés se trouvent: les oncles, les tantes, les cousins, les neveux entre autres...
Toutefois, sans entrer dans les détails techniques, (1) signalons certaines règles de base : celui qui a causé la mort de quelqu'un est exclu de l'héritage de sa victime, même si le tribunal a décidé qu'il s'agissait là d'un homicide involontaire. Il semble qu'on ait eu là l'intention de prévenir toute tentation de tuer un parent aisé pour en hériter plus tôt. Le prophète a également décrété d'empêcher l'héritage entre deux parents de religions différentes, même entre deux époux. (Mais alors le droit laisse la faculté d'intervenir par don ou par testament en faveur du déshérité: le mari par exemple peut léguer sur son lit de mort une partie convenable de ses biens en faveur de sa femme non musulmane, à noter que le mariage d'une musulmane à un non-musulman (chrétien, juif, polythéiste...) étant exclu en Islam)).
Se basant sur les rapports internationaux et moeurs politiques de leur époque, les juristes musulmans ont institué un autre empêchement: celui de la disparité de nationalité, entre des parents n'habitant pas le même territoire politique; mais cette question de droit international privé pourrait fort bien être réglée par une base de réciprocité au moyen de traités bilatéraux ou internationaux.
Dans les pays où la loi islamique de l'héritage n'est pas appliquée, mais où le droit de tester est reconnu, les musulmans peuvent et doivent se servir de cette facilité pour s'acquitter de leur devoir religieux quant à la disposition de leurs biens après leur mort.
Cette disposition testamentaire poursuit, semble-t-il, un double but : laisser à l'individu la possibilité de rétablir la justice, dans les cas où, par extraordinaire, la règle morale causerait un tort; et en second lieu, empêcher le cumul des richesses entre les mains de quelques bénéficiaires, ce qui ne manquerait pas d'arriver parfois, si l'on pouvait disposer de beaucoup plus du tiers ou de la totalité de ses biens.
L'Islam désire la circulation des richesses entre un plus grand nombre d'individus, possible, en tenant compte, bien entendu, des intérêts de la famille et des dépendants du défunt. Dans cet ordre d'idées, le Saint Coran énonce à propos des partages successoraux dans la Sourate «les » 11-12: «Voici ce que Dieu vous en jouit au sujet de vos enfants; au garçon, une part comme celle de deux filles. S'il n' y a que les filles, même plus de deux, à elles alors deux tiers de ce que le défunt laisse ; et s'il n' y en a qu'une ; à elle alors la moitié.
Et quant aux père et mère du défunt, à chacun deux le sixième de ce qu'il laisse, s'il a un enfant; s'il n'a pas d'enfants et que ses père et mère héritent de lui», à sa mère alors le tiers, mais s'il a des frères, à la mère alors le sixième; après exécution du testament qu'il aurait fait ou paiement d'une dette.
(A suivre).


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