Au lendemain de cette tripartite éprouvante et importante pour tous, le secrétaire général de l'Ugta, Abdelmadjid Sidi-Saïd, a accepté de répondre à nos questions pour dresser un bilan de cette rencontre, répondre aux attaques dont il a été l'objet et expliquer clairement et techniquement que l'ensemble des préoccupations des travailleurs ont été correctement prises en charge. L'Expression : Vous venez d'essuyer un véritable lynchage à la suite de cette tripartite. Pensez-vous avoir véritablement échoué dans la quête de vos objectifs? Abdelmadjid Sidi-Saïd: Notre objectif premier était ce fameux article 87-bis, à cause duquel nous avons été tant attaqués. Notre première étape a été d'en parler publiquement afin d'en imposer à tous la nécessaire révision. Cette quête a été obtenue, puisque le 87, lui, stipule, qu'en cas de refus de l'une ou l'autre partie, la demande est automatiquement rejetée. Une fois acquis le principe, nous avions le choix entre la confrontation ou bien la concertation. Certes, il est facile de taper sur la table. Mais si le patronat ou le gouvernement s'étaient cabrés, nous nous serions retrouvés face à un mur infranchissable. L'inscription même de ce point à l'ordre du jour est en soi une très grande victoire pour nous. Comme je l'ai clairement expliqué dans mon discours d'ouverture, j'ai préféré perdre deux ou trois mois pour obtenir quelque chose en faveur des travailleurs, au lieu d'aller vers un clash dommageable pour l'Ugta et le monde du travail. La mise en place d'un groupe de travail technique est également un grand acquis. Il nous appartient, dès lors, de trouver les bons arguments pour faire accepter nos propositions d'amendements. Le fait que dans le document final, les organisations patronales acceptent le principe de la révision du 87-bis et que le gouvernement le qualifie d'injustice en direction du monde du travail est aussi une victoire qui confirme sa révision dans des délais plus que raisonnables. Contrairement à certaines assertions, le gouvernement, qui a pris acte de notre demande, n'y a jamais opposé une fin de non-recevoir. Un triple objectif consensuel a pu être dégagé. Il s'agit d'arriver vers une solution juste pour les travailleurs, rentable pour le pouvoir d'achat et bénéfique à la cohésion sociale. L'Ugta, qui préconise le statut de partenaire au lieu de celui d'adversaire s'inquiète aussi des conséquences de ces hausses par crainte que les entreprises ne fassent faillite et que des emplois ne soient perdus. Pensez-vous pouvoir concilier ce souci avec celui des travailleurs? L'Ugta, qui refuse de verser dans le populisme et les revendications mortelles pour l'économie algérienne et les entreprises, doit elle aussi écouter ce que les employeurs peuvent donner sans grever lourdement leurs équilibres financiers. Une dizaine de conventions de branches ont déjà été signées sur les 18 prévues. Or, une fois modifié le 87-bis, les grilles des salaires en seront lourdement bousculées. Nous en sommes parfaitement conscients. Pour les employeurs et la fonction publique, il convient aussi de dégager le budget nécessaire. Car, même si nous avions décroché immédiatement cette abrogation, il n'y aurait pas eu d'argent pour la prise en charge des incidences financières. C'est pourquoi, nous espérons arriver à une solution consensuelle avant la loi de finances complémentaire, normalement prévue pour la fin du mois de juin prochain. D'ici là, un grand travail de lobbying nous attend. Fini le populisme. L'Ugta est un syndicat responsable, qui sait où il met les pieds et qui n'a jamais perdu de vue les objectifs véritables et immédiats des travailleurs. L'attente des travailleurs est prise en charge. Le fait que nous nous acheminions inéluctablement vers une solution consensuelle autour de cette question, est en soi une très grande victoire pour nous. La presse peut véhiculer toutes les idées qu'elle veut. Elle est libre. Cela ne m'empêche pas de rester froid et de garder la tête sur les épaules. Je suis comptable face au congrès. Votre second grand objectif, qui constitue une revendication de la Centrale vieille de dix ans, est bel et bien le pacte économique et social. Pouvez-vous nous en décrire les principaux objectifs? Les trois parties en concertation se sont déjà entendues sur les principes généraux de ce pacte. Il s'agit maintenant de le construire afin de le mettre en place dans les plus brefs délais. Il est très important pour le monde du travail, mais aussi pour l'équilibre général de la société. Nous y travaillons très sérieusement, comme nous le faisons aussi pour le code du travail. Ce dernier point constitue également une demande de la Centrale. Idem pour l'acceptation très claire de la part des organisations patronales et du gouvernement du respect du droit syndical, tout en reconnaissant le caractère incontournable de ce droit. C'est tout simplement inédit dans une économie de marché en formation comme la nôtre. Hélas, les mentalités avancent trop lentement pour relever ce genre d'acquis. D'où cette idée fixe sur l'article 87-bis. Est-il vrai, comme le craignait Louisa Hanoune dans un entretien qu'elle nous a accordé, que le pacte en question prévoit une trêve sociale durant une période donnée? Bien entendu. Cela n'empêche pas que les préoccupations des travailleurs soient prises en charge dans ce pacte. De même que celles des organisations patronales et des pouvoirs publics. Un pacte, ne l'oublions pas, engage les trois parties contractantes. Il comporte des droits et des devoirs. Mon sentiment est que cette initiative doit donner une nouvelle dimension au pays afin de rattraper les retards accumulés et de se mettre à niveau des pays développés. Cela est tout simplement impossible si les tensions sociales sont volontairement entretenues. Bien entendu, cela n'empêche pas du tout le droit syndical de s'exercer librement. Cette tripartite n'a donc pas été un échec pour vous? Pas du tout. On pourrait évoquer ce mot s'il y avait eu rien du tout. Or, c'est tout le contraire que nous constatons. Le 87-bis sera révisé. Cet article était valable en 1994, quand l'Algérie était en situation de cessation de paiement. L'Ugta l'avait accepté parce qu'elle a le sens des responsabilités. Aujourd'hui, les situations économique, politique et sécuritaire sont au beau fixe. Nous posons donc ce problème au bon moment, afin que les pouvoirs publics prennent conscience des énormes sacrifices consentis par les travailleurs et qu'ils leur renvoient enfin l'ascenseur. Les négociations ne sont pas une mince tâche. Celui qui pense le contraire n'a qu'à venir prendre notre place. J'accepte de recevoir les coups les plus injustifiés, sans jamais y succomber pour verser dans le populisme comme le souhaitent certains. Cette tripartite a permis une meilleure écoute et compréhension entre les partenaires. Il y a désormais moins de crispation entre nous. C'est très important pour l'avenir du pays, de l'économie, du monde du travail et de la bonne gouvernance. J'accorde une dimension supérieure et nouvelle à cette rencontre. Le fait que ce soit l'Ugta qui ait proposé un code du travail est significatif en soi, puisque dans tous les pays développés, ce sont les pouvoirs publics, au contraire, qui prennent ce genre d'initiatives. Pour nous, il est vital de s'adapter rapidement et efficacement aux grands bouleversements internationaux en train de se faire. C'est dans cette optique nouvelle que j'ai mis en avant dans mon discours de jeudi, la volonté de l'Ugta d'accompagner et d'aider le patronat algérien à cette condition qu'il joue loyalement le jeu. Quant aux acquis de cette tripartite, je préfère ne rien dire et attendre que les choses viennent d'elles-mêmes. A ce moment-là je saurais quoi dire. Comme dit le vieil adage algérien: «Lakhbar i'ydjibouh ettouala».