Deux bandes de jeunes se moquent du parler de la région de Khemis El Khechna. La rixe qui s'ensuivra se terminera dans le sang. Après avoir suivi durant six heures de débats une sanglante histoire de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort du jeune Fatah, 19 ans tout rond, les membres du tribunal criminel de Boumerdès ne sauront jamais exactement ce qui s'est passé le 30 juillet 2002. Fin février 2005, la blessure du père de Fatah est encore brûlante. Samir, le jeune et beau costaud, accusé principal, donne l'impression, depuis le box où deux non moins jeunes agents de police le tiennent à l'oeil, qu'il n'a pas encore réalisé, trente mois après le coup de couteau donné en plein coeur, ce qui lui est arrivé et ce qu'il est advenu de Fatah. M.Boudjaâtit, président du tribunal criminel de Boumerdès, n'a pas du tout avalé la version de l'accusé. En effet, Samir a appris à l'assistance et aux juges que le défunt avait pris le dessus bien que plus jeune. «Il était au-dessus de mon thorax. Il a tenté de m'immobiliser, je l'ai déséquilibré. Il a chuté sur le couteau», dit Samir calmement mais sans beaucoup de conviction et avec une face livide, sans teint, fade, comme seuls possèdent les criminels, car Med Allane, le PG, s'étalera longtemps sur le meurtre, le guet-apens, la préméditation. Me Soumia Mahjoub-Kihel ne sera pas d'accord du tout. Elle le criera lors de sa plaidoirie. Il l'a récité dix fois jusqu'au rude et impitoyable réquisitoire au cours duquel il expliquera que l'histoire de la blague du bus, selon quoi on se moquait du parler de Khemis El Khechna, n'était qu'un vulgaire subterfuge pour cacher le traquenard. «L'accusé a suivi le défunt. Il avait un couteau sur lui. Couteau qui a disparu comme par hasard», s'est écrié le PG qui va demander une peine de vingt ans de réclusion criminelle pour Samir et dix-huit mois de prison pour les trois autres poursuivis pour rixe. Me Amar Khial les assiste, alors que Maîtres Tafat et Lamouri représentent Samir qui est plus que sûr d'y laisser des plumes et perdre quelques décennies en taule. Il a beau tenter de bien répondre aux questions courtes du tribunal criminel, il a beau chercher les mots, rien n'y fit. Me Kihel, elle, songe à son client... Passe encore que ses amis accusés mais qui se sont présentés dans la salle d'audience en liberté passe, que ses deux conseils aient tout tenté, Samir écopera de la peine pas capitale, mais longue peine de quinze ans. Et lorsqu'on sait que Samir n'a que 24 ans en 2005, l'avenir du condamné n'est pas à envier. Pour ce qui est des jeunes «protégés» de Me Khial, qui a mené la vie dure au tribunal criminel par des interruptions polies, certes mais agaçantes pour les magistrats et surtout pour un des jurés qui n'a pas trouvé mieux que de passer de bons moments à rigoler alors qu'un drame était à la «une» et que des jeunes risquaient gros. D'ailleurs, Me Khial a jeté un pavé dans la mare en demandant acte pour un vice de forme dans la liste des jurés. Ces derniers devraient être ce qu'ils étaient jusqu'en 1993, date à laquelle la liste des jurés avait pris une autre tournure, celle qui allait de pair avec les risques qu'a fait naître la bête immonde. Me Kihel opine du chef. Dans la foulée, le conseil a demandé la relaxe après avoir défini le mot «rixe», dictionnaire à la main et décortiqué l'article 270 du code. Auparavant, il a posé vingt fois la même question aux témoins qui ont défilé à la barre: «Aviez-vous vu ou entendu les jeunes ici présents et poursuivis, s'insulter, s'injurier ou se battre?». Les réponses formaient un seul: «Non». Me Lamouri, lui, a demandé à voir, à toucher, à manipuler l'arme du drame. Il a mis sur le tapis l'excuse de provocation. Il a même évoqué des CBV réciproques. «Les coups et blessures? Autant que la victime, Samir a été agressé par Abdenour et d'un coup de tête à l'arrière», s'est exclamé le défenseur qui perdra l'haleine en entendant le verdict. Me Khial, lui, avec les dix-huit mois de prison assortis du sursis, planait carrément et a trouvé merveilleux le tribunal qu'il n'a pas cessé de «harceler», jouant son rôle tel que le définit la déontologie. N'est-ce pas Me Mahjoub?