Les forces spéciales irakiennes foncent vers Mossoul La multitude d'acteurs sur le champ de bataille: l'armée irakienne et son service de contre-terrorisme, la police fédérale et locale, les milices chiites équipées par l'Iran, les peshmergas du Kurdistan, la Turquie, les Etats-Unis, d'autres pays occidentaux et les Etats du CCG. Retardée depuis des mois, pour cause de divergences au sein du gouvernement irakien de Haider al Abadi, l'offensive pour la reprise de Mossoul a été lancée hier, engageant l'armée irakienne, bien sûr, mais aussi des forces étrangères et des factions locales aux intérêts parfois opposés. Après avoir libéré la province de Ninive dont Mossoul est la capitale, les Irakiens mènent donc l'ultime bataille pour en finir avec l'organisation Etat islamique (EI). La deuxième ville du pays, occupée par le groupe terroriste depuis 2014, a servi de base arrière pour la conquête des villes voisines, comme Raqqa en Syrie. Malgré l'ampleur des moyens mobilisés, les experts estiment que cette offensive prendra des semaines, voire des mois, avec le risque probable de voir les éléments de Daesh se fondre au sein de la population. L'appui aérien de la coalition internationale conduite par les Etats-Unis et la présence active de forces pro iraniennes vont permettre aux soldats irakiens de progresser depuis la base de Makhmour, éloignée de 20 km des premières lignes de l'EI, et de rééditer la victoire de Fallouja, en juin dernier. Déjà, ils sont parvenus à reprendre la base aérienne de Qayyarah, distante de 60 km par rapport à Mossoul et dont le rôle stratégique sera déterminant au cours de cette offensive, en terme logistique autant qu'opérationnel. La complexité de l'attaque résulte de la multitude d'acteurs qui se bousculent sur le champ de bataille: l'armée irakienne et son service de contre-terrorisme, la police fédérale et locale, les milices chiites dont la plupart sont équipées par l'Iran, les peshmergas du Kurdistan irakien (PKK), la Turquie, les Etats-Unis et les pays occidentaux et autres membres du CCG agissant sous couvert de la coalition internationale. Cela fait beaucoup de monde, avec des calculs et des objectifs pas nécessairement concordants. Rien que la coalition précitée compte 7000 soldats dont 4600 américains. Face aux 30.000 éléments des forces armées irakiennes, les peshmergas sortis de leur zone autonome et les milices chiites ont de quoi inquiéter la Turquie qui n'entend pas rester à l'écart d'une bataille cruciale pour le sort de la région de Mossoul, riche en pétrole, et qu'elle considère comme son pré-carré. Contestée par Baghdad, la présence turque est à la fois un défi et une menace, au point que le Premier ministre Al Abadi a «interdit» l'entrée future à Mossoul aux combattants autres qu'irakiens. Une décision qui relève de la gageure lorsqu'il s'agira de réduire les dernières poches de résistance de Daesh. Comme à Syrte, en Libye, l'organisation terroriste vaincue va disperser ses quelque 4000 éléments parmi les 1,5 millions d'habitants que compte Mossoul. L'armée irakienne va suivre probablement la même tactique qu'à Tikrit et Ramadi, reprises en mars 2015 et février 2016, et encercler la ville avant l'assaut final. Les forces d'élite du contre-terrorisme pourraient alors se trouver en première ligne pour tenter de percer sur plusieurs dizaines de kilomètres le territoire contrôlé par Daesh. Celui-ci va recourir à tous les modes habituels, tels que les voitures piégées, les mines et les snipers. Et la population lui servira, bon gré mal gré, de bouclier humain. Réagissant à ce début d'offensive, le président Recep Tayyip Erdogan n'a pas mâché ses mots, pour dire qu'il «est hors de question pour la Turquie de demeurer à l'écart de la reprise de Mossoul, une ville massivement sunnite dans un Irak à dominante chiite. Nous ferons partie de l'opération, nous serons à la table. Il est hors de question que nous restions à l'écart», a averti Erdogan dans un discours télévisé à Istanbul, quelques heures après le lancement de l'offensive. «Que disent-ils? Que la Turquie n'entre pas dans Mossoul. J'ai une frontière de 350 km. Et je suis menacé à cette frontière», a rétorqué Erdogan hier, ajoutant: «Nous avons des frères à Mossoul: des Arabes, des Turkmènes, des Kurdes, ce sont nos frères» avant de menacer de recourir à un plan B. Non sans raison, Ankara met en garde contre le risque d'une modification de «l'équilibre démographique et confessionnel de Mossoul», source de «conséquences graves». Les soldats turcs basés à Bachiqa, taxés par Baghdad de force d'occupation, recevront-ils l'ordre d'entrer dans la bataille? Il semble que le plus dur est à venir, une fois que Mossoul sera affranchi des griffes de Daesh mais l'avenir de l'Irak dans la région est rien moins qu'incertain.