L'armée irakienne aura la tâche facile.. En rompant à Mossoul, l'EI n'aura plus d'autre choix que de livrer son ultime combat à Raqqa, en Syrie, alors que les réfugiés seront des dizaines de milliers à frapper aux portes de l'Europe. Au deuxième jour d'une offensive de grande ampleur contre Daesh à Mossoul, les quelque 30.000 combattants irakiens ont progressé de plusieurs km, protégés par des cohortes de véhicules blindés et par d'intenses bombardements de la coalition internationale conduite par les Etats-Unis. Selon plusieurs agences de presse, ils ont ainsi traversé plusieurs villages où les éléments de l'Etat islamique ont opposé une résistance farouche, mais vaine. En désespoir de cause, ils ont appliqué la tactique prévue en mettant le feu aux puits de pétrole, notamment aux alentours de la base de Qayyarah, à 70 km de Mossoul dont la région est partiellement couverte par un épais nuage de fumée. En agissant de la sorte, Daesh cherche à contrecarrer, grâce au manque de visibilité les raids aériens qui affaiblissent sa riposte, laquelle ne parvient pas, durant ces dernières 48 heures, à contenir les forces loyales au gouvernement de Baghdad qui attaquent non seulement depuis Qayyarah mais aussi Khazir, à l'est de Mossoul, son dernier grand bastion en Irak. Selon Sabah al Nuaman, le porte-parole des services de contre-terrorisme, une des unités d'élite engagée dans cette offensive, les troupes «ont atteint leurs premiers objectifs» et «s'en tiennent au plan» fixé par l'état-major. C'est ainsi qu'il promet davantage de «surprises» aux terroristes une fois qu'ils seront entrés dans Mossoul où les attendent quelque 4500 combattants de Daesh, lourdement armés. La thèse est confirmée par le Pentagone qui indique que 52 cibles ont été détruites par les raids de l'aviation coalisée dès le premier acte de l'offensive. Mossoul est la seconde ville d'Irak, au nord du pays, et elle est peuplée majoritairement de sunnites alors que la population est, dans son ensemble, chiite. Tombée aux mains de Daesh en juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi, y avait aussitôt proclamé un «califat» avant de planter ses griffes en Syrie, notamment dans la ville de Raqqa proche de la frontière irakienne. C'est d'ailleurs l'objet de la dernière «sortie» du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault qui a proposé, ni plus ni moins, de pousser l'avantage d'une reconquête de Mossoul en s'emparant de Raqqa, une façon comme une autre de couper l'herbe sous le pied de la Syrie et de son allié russe. N'est-ce pas plus de la forfanterie que de la realpolitik? Car on voit mal avec quelles forces présentes sur le terrain les pays de la coalition internationale iraient prendre Raqqa, eux qui ont déjà tant de peine à sauver leurs chairs à canon terroristes ou «rebelles», assiégées dans Alep. Mais on n'en est pas encore là et loin des rodomontades inconséquentes. La bataille de Mossoul va être longue et meurtrière, et l'expérience de Syrte, en Libye, fait craindre à juste titre un nouvel exode massif de la population. Le million et demi d'habitants que compte Mossoul risque vite de se retrouver sur les routes, gonflant le flot de migrants qui se pressent sur les côtes turques et helléniques au moment où l'Europe brandit ses fourches caudines pour barrer la route à cette «invasion» nourrie, plus ou moins, et plutôt plus que moins, par ses armées. Avant l'Irak et la Syrie, n'y eut-il pas la Libye? Et depuis, quoi de neuf sur les bords de la Seine? Prudentes, les ONG revendiquent déjà des couloirs humanitaires en anticipant sur le siège que l'armée irakienne sera amenée à imposer aux dernières poches de résistance de Daesh. Dans une semaine, tout au plus, nous verrons si elles ont raison. Car l'ONU est également de la partie, qui prévoit une marée de 200.000 déplacés dans les deux semaines à venir, leur préparant sans attendre plusieurs refuges dans trois zones prioritaires dont la capacité n'excède pas 30 à 40.000 personnes. C'est dire si le vent est à l'optimisme du côté de la communauté internationale qui redoute la répétition des abus antérieurs sur des milliers de civils, torturés et exécutés arbitrairement par les milices kurdes et même les forces spéciales irakiennes, selon le président turc Erdogan. En rompant à Mossoul, l'EI n'aura plus d'autre choix que de livrer son ultime combat à Raqqa, en Syrie, alors que les réfugiés seront des dizaines de milliers à frapper aux portes de l'Europe. Pis encore, l'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Irak risquent d'être dynamitées, entraînant un nouvel équilibre des forces dans le nouveau Moyen-Orient. La bataille de Mossoul ne sera pas dans l'histoire, le front hétéroclite de 30 000 combattants irakiens, appuyés par une coalition de 60 pays et quelques cohortes de peshmergas, n'ayant pas d'incertitude face à un maximum de 4500 «guerriers» de Daesh. Mais avec la fin du mythe de l'EI, s'ouvrira la page du «day after» pour un Irak où Tikrit, Sinjar, Ramadi ont déjà été totalement détruites et où le futur sera rythmé par les appétits des pays voisins, l'Arabie saoudite bien sûr, la Turquie et l'Iran qui ont tous trois des leviers et des forces de frappe à faire valoir, quitte à déclencher d'autres conflits entre milices chiites et peshmergas, autorités de Baghdad et celles d'Erbil, entre chiites et sunnites. Entre confessionnalisme et corruption généralisée, le pauvre Irak est toujours assis sur un baril de poudre.