Le mois dernier, l'émirat de Sharjah, aux Emirats arabes unis, accueillait pour la 20e édition de son festival, les éditeurs du monde arabe. L'Algérie faisait partie des exposants pour la première fois de son histoire... A peine débarqué de son voyage aux Emirats arabes unis, nous retrouvions Bachir Mefti, le chef de bord de la galère El Ikhtilaf, une maison d'édition, récemment secouée par la chute d'une partie du plafond de son siège flanqué au dos du cinéma l'Afrique. Un monument qui a depuis longtemps perdu sa véritable vocation. Aujourd'hui, cette imposante bâtisse ne vit que grâce à une cafétéria et de quelques projections de films détournés à la vidéothèque du coin. Malheureuse image que nous contournons pour nous enfoncer dans des escaliers jamais éclairés. Bachir Mefti, la mine quelque peu creusé, même s'il avoue que la nourriture était bonne là-bas, étale sur la table les coupures de presse émiraties qu'il a réunies durant son séjour. Du 4 au 13 novembre dernier, l'émirat de Sherajah, parmi les plus riches des Emirats arabes unis, accueillait pour la 20e édition de son festival les éditeurs du monde arabe. L'Algérie faisait partie des exposants pour la première fois de son histoire, ce qui n'a pas manqué d'attirer l'attention des médias. La Ligue des écrivains de la différence, plus connue dans le milieu de l'édition sous «El Ikhtilaf», devait répondre à un silence littéraire qui a trop duré. Grâce à elle, la littérature algérienne s'est fait un petit espace au milieu de pays plus ancrés dans l'écrit arabe. L'Egypte, la Syrie et le Liban, entres autres, devaient faire connaissance avec une écriture inédite. Avec 26 ouvrages sur ces étals, Bachir Mefti s'est chargé de transmettre le fruit d'un travail qui n'a duré en réalité pas plus de sept ans, âge de cette ligue. Sur un plan purement littéraire, l'expression d'une crise, comme celle dont l'écrit algérien est chargé, reste le plus intéressant des répertoires. Nous devions rendre compte il y à quelques mois d'une des parutions d'El Ikhtilaf. L'ouvrage était de Kamel Berkan et avait pour titre Une femme sans traits. Un conte poétique, mêlant les dimensions d'un récit tantôt sombre et silencieux, tantôt braise et emphatique. L'auteur a envoyé un manuscrit à la Ligue à tout hasard. Son livre faisait partie de l'exposition d'El Ikhtilaf à ce salon. Selon Bachir Mefti, les visiteurs étaient plus intéressés par les livres à caractère documentaire plutôt que par les fictions. L'Ane d'or, la traduction qui se veut la plus fidèle du premier conte de l'humanité, s'est révélée être une pièce très remarquée. Le récit d'Apulée de Madaure traduit à l'arabe par le Dr Abou El Aïd Doudou est paru cette année aux éditions El Ikhtilaf. Le secrétaire général de la Ligue a profité des interviews accordées à la presse émiratie pour passer le message d'El Ikhtilaf. Une maison d'édition qui, comme toutes celles existant en Algérie, fait face à des conditions pas toujours favorables. Il diagnostiquera le mal, en mettant sur la table les altercations linguistiques qui ont, à un moment donné, constitué l'essentiel de l'effort intellectuel d'une certaine classe de «penseurs». Dix années de crise ont ensuite enfanté une génération perdue sur des repères vaporeux. Une expression littéraire nouvelle est venue répondre aux doutes. Maladroite, peu rodée aux subtilités de l'écrit, mais assurément animée d'un esprit plus libre que jamais, elle rend compte malheureusement d'un fatalisme étouffant. Les écrits des premières années de la libération, en revanche, étaient chargées d'une idéologisation qui assassinait l'oeuvre une fois sortie de son contexte. Aujourd'hui, même si une certaine ghettoïsation se fait sentir, les deux camps linguistiques ont fini par déposer les armes. Désormais, chacun de son côté, tournant parfois le dos à l'autre, baigne dans la sauce qui lui est chère. Il arrive que des unions entre les deux blocs s'effectuent sous forme de travaux de traduction, une pratique de plus en plus répandue. Pour Bachir Mefti, la littérature algérienne est bilingue et ne peut l'être autrement, en attendant l'émergence d'une nouvelle production en langue kabyle. Il s'agit pour les éditeurs de capitaliser cette richesse en s'ouvrant un peu plus. La participation d'El Ikhtilaf à ce salon lui a permis de côtoyer les prestigieuses maisons d'éditions du monde arabe, une expérience qui aura sans doute des répercutions sur les prochaines productions de la ligue. Nous les attendons avec impatience.