On a assassiné avec sang-froid des projets ambitieux pour l'Algérie. La Direction de la culture a abrité, au siège du Mechouar le 15 mars 2005, un témoignage poignant sur l'assassinat par l'OAS des six inspecteurs des centres socio-éducatifs (CSE) dont faisait partie Le fils du pauvre. Mouloud Feraoun (1913- 1962). Le conférencier Hadj Sid Ahmed Dendane qui a écrit un livre intitulé Vie quotidienne à Tlemcen de 1936 à 1962 a vécu personnellement cette journée fatidique du 15 mars 1962 en tant que directeur du CSE de Valmy (El Kerma), près d'Oran. Ecoutons son témoignage: «La veille, le 14 mars 1962, M. Bekri, inspecteur des CSE pour la région d'Oran, partait vers Alger, accompagné de Sid Ahmed Dendane, chef du CSE de Valmy de Florès, son adjoint et de Lopez, adjoint-chef du centre. M.Bekri devait assister à la réunion des inspecteurs présidée par Max Marchand, inspecteur d'académie, responsable des CSE. Ils furent hébergés à Alger, au centre de formation des cadres de Tixeraïne, dirigé par l'inspecteur Basset. M.Aymart, professeur, chef du bureau d'études pédagogiques et M.Sellam, l'économe, étaient également présents au dîner. Le soir, avec les Oranais, ils se retrouvèrent ensemble autour de la même table. Le lendemain, vers 9h30, ils se rendirent tous à Château Royal à Ben Aknoun, commune d'El Biar, la réunion devant avoir lieu à 10 heures. Le domaine de Château Royal appartenait au ministère de l'Education. Les inspecteurs des CSE de tout le pays arrivaient au fur et à mesure, dans l'allée face aux bureaux administratifs. Ils se saluaient et échangeaient les nouvelles, attendant le regroupement des collègues. M.Mouloud Feraoun était là. S. A. Dendane et son adjoint Florès allèrent lui présenter leurs respects. M.Feraoun mit ses bras sur leurs épaules, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche et leur parla avec beaucoup de simplicité comme à ses propres enfants. Je fus agréablement surpris par la bonté et l'humilité qui se dégageaient de cet homme célèbre mais modeste. Vers 10h20 environ, presque tous les responsables des CSE d'Algérie (18) pénétrèrent dans la salle de réunion en préfabriqué. Nous nous sommes retrouvés avec Florès et moi, seuls devant les bureaux administratifs. C'est ainsi que vers 10h30, nous vîmes arriver une voiture berline assez large, dans laquelle plusieurs hommes étaient entassés. Avant de s'arrêter, le chauffeur manoeuvra son véhicule qu'il gara à droite, face au portail, prêt à partir. Trois hommes descendirent, les nouveaux venus étaient en civil, élégants, dans leur tenue du dimanche et rasés de près. Le plus âgé était blond, il semblait être le chef. L'atmosphère qui y régnait était électrique, on nous conduisit sous la menace de la mitraillette dans un bureau exigu et on nous demanda d'exhiber nos cartes d'identité. Un jeune homme fut chargé de surveiller le personnel administratif regroupé dans une pièce. Il pointait sa mitraillette sur les six inspecteurs aussitôt une rafale partit. La mitraillade se poursuivit un long moment. Elle fut suivie de six coups de feu séparés. M.Sellam, l'économe de Tixeraïne, réagit le premier. «Ça y est! Ils les ont eus», cria-t-il en se lamentant. Tous les employés tenus prisonniers sortirent rapidement. Le spectacle qui s'offrit à leurs yeux était hallucinant. Les corps des six chefs des CSE étaient étendus sur le sol dans des positions diverses. Une outenait la tête de Feraoun et lui prodiguait des soins avec des compresses alcoolisées sur le visage criblé de balles. A trois jours du cessez-le-feu historique du 19 mars 1962, six enfants de l'Algérie qui traçaient des projets ambitieux dans le domaine de l'éducation et la prise en charge des jeunes, furent assassinés de sang-froid par les hordes sauvages de l'OAS parrainées par le Général Massu. L'Algérie n'oubliera pas le sang de ces six martyrs.