La France était présente à la cérémonie en la personne de son ambassadeur en poste à Alger. Dès l'aube du 15 mars 1962, l'OAS (Organisation armée secrète), une organisation terroriste, déclenche en Algérie une journée d'attentats quasiment ininterrompus. Ce jour-là, à Château-Royal, Ben Aknoun, Max Marchand, chef des centres socioéducatifs a réuni dans les locaux du service tous les cadres venus de l'Algérie. Soudain, un groupe de six hommes fait irruption dans la cour. Trois de ces hommes mettent en batterie des fusils-mitrailleurs, tandis que les trois autres se dirigent vers la salle, l'un d'eux sort un papier de sa poche et sans précipitation aucune, appelle des noms: Eymard Robert, Barsset Marcel, Feraoun Mouloud, Hamoutène Ali, Marchand Max et Ould Aoudia Salah. Les six hommes quittent la salle et sont conduits vers le mur de l'établissement qui leur est désigné par l'un des hommes. Et soudain, c'est la fusillade, l'un des fusils-mitrailleurs et les mitraillettes crachent en longues salves les balles meurtrières. Six fonctionnaires de l'éducation nationale sont là, figés dans leur sang. Ces hommes sont morts parce qu'ils ont cru et ont travaillé pour une Algérie plus fraternelle, fondée sur la tolérance, l'égalité fortement imprégnée des valeurs de la République. Ce témoignage est celui de l'Association des Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons, présents hier à la commémoration rendue à ces hommes par les ministères de la Culture et de l'Education au lieu même où a été perpétré ce crime abominable. «Max Marchand était natif de Normandie. Il était voué à l'éducation. Il avait choisi de venir enseigner en Algérie. Il est intéressant de savoir que Feraoun et lui ont eu le même parcours: l'Ecole normale, instituteurs puis inspecteurs. Ils voulaient oeuvrer pour les Algériens les plus défavorisés. Ils se sont retrouvés à oeuvrer pour les populations les plus démunies. Bien qu'ils ne dispensaient pas uniquement l'enseignement, ils s'occupaient également d'action sociale. Ils formaient les adolescents et même les adultes analphabètes. Moi-même j'ai travaillé en Algérie depuis 1956 et ce, jusqu'à 1982 dans l'éducation nationale. Max Marchand était originaire du même village normand que mon oncle. Mouloud Feraoun qui était devenu un ami, m'avait accueilli très fraternellement. A chaque fois qu'il écrivait un ouvrage, il nous dédicaçait l'oeuvre», confie Michel Lambert, vice-président de cette association. Ce dernier évoquera, en présence de Khalida Toumi, Boubekeur Benbouzid, Abdelmalek Sellal, l'ambassadeur de France, Colin de Verdière, de quelques moudjahidine - dont Amina et Malika Ighil Ahriz dont le petit frère avait assisté à l'âge de 10 ans à l'assassinat de son instituteur Mouloud Feraoun - ainsi que d'un groupe de jeunes du Lycée international notamment, du passé douloureux et cet épisode historique qui ne fera, selon lui, que renforcer les liens franco-algériens. Il citera le poète, feu Djamel Amrani, qui disait: «Je savais qu'on ne tuait pas l'idée de la justice. Mon instituteur n'est pas mort.» Michel Lambert exhortera la ministre de la Culture à classer ce haut lieu historique, «ne serait-ce comme une réponse noble à tous ces martyrs». Une proposition à laquelle Khalida répondra par l'affirmative et s'engagera à réfléchir sérieusement en ce sens. «Il faut rappeler à nos enfants que le 15 mars 1962, un groupe de l'OAS armé jusqu'aux dents est venu arracher à la vie six éducateurs qui travaillaient pour l'avenir de l'Algérie indépendante, même si le peuple était déjà libre. ils ont vidé sur eux plus de 100 cartouches. Aujourd'hui, nous sommes ensemble pour nous remémorer et ne pas oublier ces moudjahidine. En tant qu'Algériens, nous sommes fiers d'appartenir à un pays construit à partir de sacrifices. Le combat de ces six hommes et celui de l'indépendance démontrent bien que ce n'était pas une lutte contre le peuple français, mais contre le système colonial. Ce groupe était composé de Français et d'Algériens. Les dissidents de l'OAS n'ont pas fait la différence entre eux car ils n'ont pas tué des personnes, mais plutôt leur projet d'une Algérie ouverte, d'espoir et de paix. Il faut continuer leur travail. On peut tourner la page mais non la déchirer, c'est-à-dire ne pas oublier ces gens et leurs exploits», fera remarquer Khalida Toumi. Accompagnée par les notes de l'orchestre symphonique national, la cérémonie fut ponctuée par le dépôt d'une gerbe de fleurs au bas du mur où les impacts des balles restes encore visibles. A noter qu'une conférence de presse a été organisée avant-hier à cette occasion à l'Institut des sciences sociales à Constantine où la vie des six martyrs a été retracée.