Un tournant de la Révolution Les manifestations du 11 Décembre 1960 sont pour beaucoup d'historiens et acteurs de la révolution algérienne, le 1er Novembre bis. Non pas parce qu'elles ont eu lieu à travers tout le territoire national, mais parce qu'elles ont constitué un second refus collectif des Algériens de la présence coloniale. Sans la voix des armes ce jour-là, le but dans lequel la révolution a eu lieu était longuement scandé et entendu par les Français. Le général de Gaulle qui disait en France que la guerre en Algérie était terminée et que les choses allaient suivre leurs cours normal, fut choqué par la mobilisation des Algériens, principalement dans les rues d'Alger. Au cours de son discours: «Je ne négocierai pas avec le FLN», les Algériens ont bien choisi les slogans pour la circonstance. Là où De Gaulle passait, les «Vive le GPRA, vive le FLN, l'Algérie indépendante», fusaient de partout. Pour le moudjahid Mouloud Menni, vice président de l'Association du 11 Décembre 1960, les Algériens ont certes payé cher cette mobilisation, en enregistrant de nombreuses victimes, mais ce que De Gaulle devait entendre, il l'avait entendu. M.Menni garde encore des séquelles de cette journée qui fut longue et douloureuse pour tous les Algériens. Il confie: «Le 10 décembre, je me trouvais aux abattoirs (Ruisseau) en compagnie de Zarroug Rachid, Cheniti Mohamed et Messaoud Arris, dit Houga. Nous avons eu vent de manifestations ayant éclaté en début d'après- midi dans le contexte de la visite du général De Gaulle, porteuse du projet de l'Algérie algérienne qui aurait arrangé les Français d'Algérie, tandis que nous, nous étions attachés au serment fait depuis le 1er Novembre 1954 d'aller vers l'indépendance», narre-t-il. «L'incident éclata lorsqu'un vieux musulman a été frappé par un policier français, provoquant l'ire de ses compatriotes, poursuit le témoin, rappelant que des instructions ont été données pour préparer des drapeaux et des slogans prônant «l'Algérie musulmane et indépendante». «Les femmes ont alors veillé toute la nuit pour les confectionner, de sorte qu'au lendemain et à la première heure, Belcourt en serait tout envahie». Avant d'ajouter que «tous les quartiers de la capitale ont suivi les manifestants affluant du Clos-Salembier, du Climat de France, de Bab-El-Oued». Ces détails sont importants pour M.Menni, car ils battent en brèche les échos selon lesquels les manifestations du 11 Décembre1960 étaient «spontanées, irréfléchies et nullement préparées». Cette version a été largement rapportée, souligne le moudjahid Menni, par la presse française le lendemain du 11 Décembre. Et de poursuivre «Pour ma part ce jour-là, j'étais affairé avec mes compagnons à organiser la manifestation à Léveilly, de sorte à éviter l'effusion de sang», ponctue-t-il, soutenant que «même si l'incident de Belcourt ne s'était pas produit, les événements du 11 Décembre se seraient tout de même passés». Outre le fait que les revendications des Algériens furent largement entendues ce jour-là par les manifestants, M.Menni souligne que «le 11 Décembre 1960 avait rapproché le peuple, de la Révolution en le libérant de la terreur instaurée dans la capitale et du climat de défiance et de suspicion qui y régnait». Assistant lui aussi à cet événement, Abdelhamid Bouafia, dit Abdelkrim, affirme avoir «vu venir l'indépendance du pays, tant l'enthousiasme et la détermination populaires étaient à leur comble». «La veille des événements j'ai été informé par mon frère d'armes Boualem Souag de l'agitation provoquée par les ultras de l'Algérie française, lequel en informa, avec d'autres militants, le capitaine Si Zoubir. Nous sommes tous descendus à Belcourt dont la SAS avait été au coeur d'un important attroupement. Le frère Souag a demandé à la foule de scander «Algérie musulmane». «La foule dont faisait partie beaucoup de femmes répétait les slogans à gorge déployée». «Les policiers français, qui étaient mobilisés pour réprimer la manifestation, furent dépassés par l'immensité de la manifestation», conclut-il.