Si sa vie bouillonnante n'avait pas été écourtée par la bête humaine, Matoub Lounès, le militant, le poète, le musicien et l'interprète, aurait fêté aujourd'hui, mardi 24 janvier, son soixante-et-unième anniversaire. Parce qu'il était trop libre, parce qu'il échappait à toute chapelle, que Matoub a été assassiné un certain maudit 25 juin 1998 laissant des millions de fans, des quatre coins d'Algérie et de tous les pays où il y a des Berbères orphelins. Car, en plus d'avoir été un repère pour ses fans, Matoub Lounès était un artiste hors du commun. Depuis qu'il avait commencé à titiller sa muse, il n'a cessé de surprendre tout le monde. D'abord, par sa voix malléable, selon les thèmes et les contextes. Il avait aussi des textes d'une richesse métaphorique et lexicale incroyable. Le tout agrémenté par les compositions musicales souvent inspirées du patrimoine chaâbi algérien auquel le Rebelle insufflait une âme kabyle qui en faisait des merveilles. Jusqu'au jour d'aujourd'hui, personne n'a pu prendre la place sèche laissée par le départ prématuré de Matoub Lounès. Même si la part du lion de son oeuvre était engagée, il n'en demeure pas moins que Matoub a aussi consacré une partie de sa poésie à chanter l'amour d'une manière inédite puisqu'il a raconté sa propre histoire. Il en a été de même concernant les chansons qu'il a consacrées à sa vie qui n'avait pas été un long fleuve tranquille, mais un véritable volcan en constante éruption. Matoub Lounès était un révolté. Dès son jeune âge, il ne pouvait rester insensible à toute injustice, d'où qu'elle vienne. C'est pourquoi, dans ses textes, il y avait cette graine de colère qui ne cessait d'écumer son oeuvre. Matoub Lounès n'était pas un hypocrite. Ça, tout le monde le sait. Sa sincérité est perceptible dans tous ses poèmes. Il était, en revanche, l'homme de tous les excès. C'est pourquoi, il ne cessait de revoir sa copie à chaque nouvelle évolution d'une situation. On le disait versatile quand il n'arrivait pas à suivre les changements de position des partis politiques pour lesquels il avait des sympathies. Il aimait l'Algérie. A sa manière, certes, mais il l'aimait. Il la voulait démocratique, émancipée, ouverte sur toutes les religions et où sa langue maternelle, tamazight, devait avoir sa place à part entière au même titre que la langue arabe et pourquoi pas avec d'autres langues véhiculant le savoir et la modernité. Matoub Lounès refusait également l'hypocrisie de la société algérienne et plaidait pour plus de clarté et de franchise. Matoub Lounès a milité de toutes ses forces pour sauver la langue et culture amazighes. Au prix de sa vie: mitraillé en 1988, kidnappé en 1994 et assassiné en 1998. Il était présent à toutes les grandes étapes ayant marqué cette lutte. C'est lui qui a été chargé par le Mouvement culturel berbère (MCB-Commissions nationales) lors de la marche du 25 juin 1992 à Alger de remettre la lettre de revendications du Mouvement au président de l'APN. Dans son oeuvre aussi, la revendication amazighe était omniprésente. Il a consacré un album tout entier aux événements du Printemps berbère. Il a dénoncé la tyrannie du parti unique. Il a vilipendé le terrorisme intégriste. Il a tiré sur les opposants de salon. Il a réécrit l'histoire falsifiée. Il a rédigé une très belle histoire d'amour. Tragique certes, mais pathétique. Matoub est le premier poète kabyle à aborder une multitude de thèmes tabous comme la déshérence et la liberté sexuelle de la femme entre autres. Il n' y a pas un poète qui a consacré autant de textes à la guerre d'Algérie dans son oeuvre. Matoub en a parlé dans des dizaines d'oeuvres dont la célèbre épopée ́ ́Afalku bezru n leghrib ́ ́. Dans cette oeuvre, Matoub raconte l'histoire d'un jeune maquisard qui s'adresse à sa mère pour raconter les affres du maquis, sa solitude et surtout la proximité permanente avec la mort. Mais tous les sacrifices sont permis car il s'agit de libérer l'Algérie, explique le narrateur en fin de texte. Le volet musical, chez Matoub, est impressionnant. Féru de chaâbi, il a puisé chez les piliers de ce genre authentique comme El Anka, Amar Ezzahi, Boudjemâa El Ankis, Fadhéla Dziria, Cheikh El Hasnaoui, Cheikh Arav Bouyezgarene, Slimane Azem... Il s'agit des maîtres du Rebelle. Il s'en est inspiré afin d'en extraire des supports musicaux pour ses textes mais aussi pour interpréter de manière souvent unique ses chansons. Aujourd'hui, Matoub n'est pas là pour fêter ses 61 ans. Pourtant, il est là. Il suffit de se rendre particulièrement dans n'importe quelle ville de Kabylie, dans n'importe quel café, bar, bus de transport pour écouter sa voix et voir son image devenue celle d'une sorte d'ange gardien de cette jeunesse qui s'identifie de plus en plus à Matoub dans son combat et son oeuvre.